Toutes les images sont issues du documentaire Détruire rajeunit, de Benjamin Hennot
« Il faut repenser la question de la violence mais aussi du vocabulaire, lance Benjamin Hennot. Pourquoi on appelle ça la “violence” uniquement quand ça va dans un sens ? Quand je participe à des luttes, je vois que ces questions délicates sont posées, donc je vais chercher des gens qui y ont répondu dans l’histoire. » Dans leur forme, les documentaires peuvent être chiants comme la mort quand ils ne font que relater des récits du passé. Avec Détruire rajeunit, qu’il a écrit et réalisé, Benjamin lance un gros pavé vers l’avenir en actualisant des réflexions sur les luttes sociales et le rapport à l’action à travers l’histoire de la grève générale qui a frappé la Belgique à l’hiver 1960-1961 – la plus longue grève de la Belgique d’après-guerre.
Quelques mois plus tôt, c’était l’indépendance du Congo. La Belgique, qui doit donc faire une croix sur pas mal de ressources, traverse une période de crise économique. Et en tentant de remédier à la situation avec un programme d’austérité, c’est une crise sociale historique que va déclencher le gouvernement libéral du Premier ministre Gaston Eyskens. À l’hiver 1960 donc, une immense mobilisation populaire prend forme en réaction à la « Loi unique », qui prévoit entre autres une hausse des impôts et de strictes économies au niveau de la sécurité sociale ou des salaires pour les fonctionnaires. En bref, les travailleurs et travailleuses vont morfler. Alors, de jeunes activistes prennent le mouvement en main et mènent des actions de résistance, de l’arrêt des activités dans les industries aux affrontements avec les forces de l’ordre. Détruire rajeunit en fait le récit, mais du point de vue des activistes impliqué·es dans la lutte.
En plus d’avoir bouffé de l’archive à foison, Benjamin est allé rencontrer ces jeunes de l’époque pour récolter leurs souvenirs – des ouvriers, militant·es communistes, membres de syndicats opposés au gouvernement et étudiant·es. Dans le film, ces propos sont réinterprétés face caméra par des jeunes d’aujourd’hui. À travers ce procédé qui rajeunit les interventions, Benjamin veut s’éloigner de l’aspect commémoratif et rétrospectif que peut avoir un docu du genre et « ramener la vitalité du passé au présent », en gros transmettre l’énergie d’un temps où les idéologies derrière ces actions étaient puissantes.
Plus que le retrait du plan d’austérité, les activistes de l’hiver 1960-1961 veulent en réalité aller plus loin et obtenir une libération de l’emprise capitaliste. Alors qu’au début c’est la loi et le gouvernement qu’on remet en cause, après quelques jours de grève c’est l’État capitaliste qu’on veut abattre. On est en plein décembre quand la « grève du siècle » devient une lutte plus violente. La question du pouvoir est clairement posée et le mouvement prend un caractère insurrectionnel. Le gouvernement comprend que les gens ne se laisseront pas faire et durcit l’appareil répressif composé de policiers, soldats et gendarmes – les « sales bêtes », considérés comme vendus à la solde des patrons alors que des centaines de milliers de Belges se battent pour leurs droits et leurs conditions de vie.
Début janvier 1961, le mouvement s’essouffle en Flandre et à Bruxelles, même si des îlots de résistance persistent. En Wallonie par contre, ça durcit encore le ton. Le 6 janvier à Liège, des manifestant·es s’en prennent notamment aux banques mais aussi aux locaux de La Meuse, accusé d’être un journal réac’ et insultant envers les grévistes. Les sabotages continuent aussi. Certain·es grévistes ressortent les armes utilisées durant la Seconde Guerre mondiale ou de la dynamite pour faire sauter des pylônes et paralyser des usines, comme à Jupille par exemple. « On ne rejetait pas la violence, dit Denise Nihon, l’une des voix du film. Je pense même que c’était nécessaire, en fait. Toutes les destructions, les saccages qu’il y a eu, c’était nécessaire. On n’avait que ça pour se faire entendre. On essayait de faire passer une loi par la force, personne n’était d’accord, on ne nous écoutait pas, y’a un moment où il faut se donner les moyens. C’était la lutte. »
À travers un autre comédien, le témoignage de Claude Renard, directeur éditorial du quotidien communiste le Drapeau rouge, explique que les leurs acceptaient l’idée des sabotages, sans pour autant les considérer comme réellement efficaces. Comme c’est le cas ici, le film met en opposition plusieurs propos et idées – bien qu’elles proviennent du même « camp politique », de façon générale. « J’ai recomposé les discussions entre activistes qu’il pouvait y avoir, pour donner des éléments de pensée pour le présent et le futur », précise Benjamin qui, malgré l’adoption de la Loi unique en février 1961, refuse de voir ces événements sous le prisme de la défaite. « C’est une énergie positive qu’il faut transmettre, poursuit-il. Quand tu veux gagner une lutte, tu cherches le bon côté plutôt que le côté victimaire. »
Avec ce récit du passé joué au présent, le documentaire interpelle nos modes d’action actuels. « Je raconte la grève de 1960-1961 en montrant, aux gens qui luttent aujourd’hui, pourquoi ça n’a pas marché, conclut Benjamin. Le film soulève ce qu’il y avait de révolutionnaire dans cette grève et ce qui a été mis en place pour neutraliser ce mouvement révolutionnaire. » Détruire rajeunit insiste sur la dimension actuelle de ces idées qui ont mené à des actes de résistance face à l’État, comme il combat le fatalisme, souligne la combativité des activistes et donne de la matière pour considérer autrement les actions militantes et les luttes sociales à venir. De quoi avoir plus ambitieux comme perspective de lutte qu’une manif le dimanche.
Détruire rajeunit sera projeté à Flagey le samedi 7 mai à 19h15 dans le cadre du Festival international du film documentaire Millenium. Sept autres projections suivront tout au long du mois de mai.
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