Romy Schneider
Le film “Les choses de la vie” relancera la carrière de Claude Sautet et donnera un des plus beaux rôles à Romy Schneider qui venait de jouer dans La Piscine aux côtés d’Alain Delon. Cette histoire d’amour tragique la révélera auprès du grand public avec un Michel Piccoli grandiose. Claude Sautet ajoutera: “Dès le début du tournage des choses de la vie, j’ai compris que j’avais eu de la chance de rencontrer une comédienne et une femme, à un moment magique.”[1]
Romy Schneider jouera plusieurs films du réalisateur. Nous la retrouverons également dans “César et Rosalie”, “Max et les Ferrailleurs”, “Une histoire simple” et dans “Mado”. Leur complicité sera passionnante et indéfinissable. Elle s’endormit pour toujours le samedi 29 mai 1982 pendant que la France dormait. Les Français se réveilleront sous le choc. Claude Sautet encore plus. La perte était immense. Il ne s’en remettra jamais en réalité. Europe 1 lui rendra hommage avec Jean-Claude Brialy. Les témoignages se succéderont. Il y avait de la tristesse et des larmes. À l’ouest parisien, il fera chaud et les joueurs transpireront sur la terre battue de Roland Garros. C’est Mats Willander qui gagnera le tournoi le week-end suivant. Claude Sautet sera bien trop triste pour aller rendre un dernier hommage aux obsèques de la comédienne au cimetière de Boissy-sans-Avoir dans les Yvelines le 2 juin 1982. C’était un mercredi. Un mois plus tôt, elle avait acquis une maison ancienne dans le village qu’elle n’aura jamais occupé avec sa fille Sarah. Inconsolable de la perte de son actrice fétiche, après “Garçon” qu’il tournera avec Yves Montand, une page se tournera. Ces trois derniers films seront différents des précédents avec l’arrivée de nouveaux scénaristes et comédiens. “Quelques jours avec moi”, “Un cœur en hiver”, “Nelly et Monsieur Arnaud” compteront beaucoup pour Claude Sautet.
Des scènes mémorables
Avec ces films intemporels qui nous accompagnent à tout moment, Claude Sautet est toujours parmi nous. Ses chefs-d’œuvre ont mûri avec le temps comme de grands crus. Château Petrus ferait l’affaire même si Claude Sautet était avant tout un homme simple. Un bon Bourgogne était suffisant autour d’une cuisine familiale. Les scènes dans les restaurants et bars enfumés sont présentes dans tous ses films. On y mangeait, on y buvait, on y fumait, on s’engueulait, on rigolait, on se cherchait et on se retrouvait. Ses scènes n’ont pas pris une ride. Bien au contraire. La scène du gigot dans Vincent, François, Paul et les autres en est un bel exemple. Ou lorsqu’Yves Montand présente ses excuses à Romy Schneider et à Sami Frey alors qu’ils sont en train de manger au bord de la plage. Combien de fois les avons-nous revues sans nous lasser ? Combien de fois les reverrons-nous avec plaisir?
Les thèmes abordés dans ses films sont plus que jamais d’actualité et nous rappellent à quel point Claude Sautet était en avance sur son temps. Les relations humaines seront toujours paradoxales avec ses fragilités et ses imprévues. Nous retrouverons dans tous ses films les ambiances de copains, les femmes et les coups durs.
Sa complicité avec Jean-Loup-Dabadie
Claude Sautet observait comme personne. Son scénariste et dialoguiste préféré (Claude a été co-scénariste de tous ses films), Jean-Loup Dabadie avait le même don. Tous deux étaient des observateurs de la vie, de nos vies. De la rue animée aux bistrots enfumés en passant par la maison de campagne, rien ne leur échappait. Ils saisissaient le quotidien de chacun. Ils décodaient les codes de la société. Une société en pleine évolution, en pleine mutation. Ils prenaient des notes, écoutaient les discussions, regardaient les gens passer. Ils aimaient la musique et les mots. L’écrivain Pascal Jardin écrira: “Sautet est tout à fait comparable à un musicien. Ses images sont musique, et sa manière de raconter et d’écrire en image est toujours la transposition et l’écho de quelque chose de sonore.″[2]
Des virgules aux dialogues, tout était précis comme les aiguilles d’une montre. Une nouvelle phrase arrivait et la scène évoluait. En un mot, tout pouvait les intéresser, de la futilité à la complexité. Jean-Loup Dabadie dira: “Le metteur en scène est le commandant de bord, le scénariste, lui, règle le cap, se préoccupe de l’altitude… Quand j’écris, j’écris. Quand Claude met en scène, il met en scène.”[3] Leur collaboration sera toujours productive et remarquable. Tout était pensé, dit et joué. Du travail d’orfèvre diront certains. Si Claude Sautet avait été un bijoutier, il aurait travaillé Place Vendôme, tant le souci du détail et de la perfection le résumait. Rien de moins, rien de plus. Témoin de son temps, il l’a été avec le message de ces films aussi puissants et profonds les uns que les autres. La qualité des scénarios, des dialogues et de la musique était essentielle avant de choisir le comédien final. Je me souviens d’un soir d’été sur l’Île-de-Ré, il faisait bon, le rosé était frais, sous la “Varangue”, nous étions bien. César et Rosalie passait à la télévision. Jean-Loup Dabadie se leva et appela immédiatement son ami Claude Sautet. Durant une trentaine de minutes, ils se remémoraient tant d’anecdotes et de souvenirs passés. Les émotions étaient-là. C’était les choses de la vie qu’ils se racontaient en quelques minutes, histoire d’un instant ou d’une vie. C’était ici et maintenant.
Son dernier film
Son dernier film sera “Nelly et Monsieur Arnaud” avec Michel Serrault et Emmanuelle Béart qui sortira en 1995. On retiendra une scène où Nelly (Emmanuelle Béart) présente à Monsieur Arnaud (Michel Serrault) son nouvel employeur, un ordinateur: “Comment trouvez-vous l’engin? J’ai voulu m’en servir, j’ai tout effacé”, s’exclamera Monsieur Arnaud. Nelly lui répondra dans la foulée: “C’est simple, c’est comme une machine à écrire mais avec une mémoire”. Monsieur Arnaud déclarera: “C’est ça qui est effrayant. Une mémoire et pas de souvenirs”. À cette occasion, Claude Sautet obtiendra le César du meilleur réalisateur et Michel Serrault, le César du meilleur acteur, son troisième.
Certains diront que c’était un film autobiographique où Michel Serrault jouait quelque part le rôle de Claude Sautet. “Les choses n’arrivent jamais comme on croit. C’est le sujet de tous mes films” dira Claude Sautet.1 À l’annonce de sa mort le 22 juillet 2000, j’étais dans la Silicon Valley. Je me suis rendu aussitôt dans un vidéo club indépendant qui se trouvait sur El Camino road à quelques minutes en voiture de Palo Alto. Aujourd’hui, ce magasin n’existe plus. “Nelly et Monsieur Arnaud” était disponible en version originale en cassette VHS au rayon films étrangers. Je le reverrais plusieurs fois à 9000 km de la France. C’était une chance, un privilège.
La fin d’une époque
Dans ces films, nous retrouvons la nostalgie d’un monde qui disparaît peu à peu. Le monde ouvrier a été remplacé par les robots, le big data et la blockchain. WhatsApp a pris le relais des conversations qu’il y avait dans les espaces publics, le petit commerce est concurrencé par les géants du web, les restaurants ont été rachetés par des enseignes étrangères, les marchands de journaux et les librairies ont fermé. Le même scénario se produisit dans le quartier de Claude Sautet aux Gobelins. La secrétaire médicale n’est plus là. Pour la prise de rendez-vous chez le médecin, les plateformes sont devenues incontournables. Les automates et les serveurs vocaux compensent l’absence humaine. Tout se concurrence, se monétise, s’ubérise et s’individualise.
C’est la fin d’une époque aurait dit Claude Sautet. Pour reprendre la réplique de Serge Reggiani d’une manière ironique dans Vincent, François, Paul et les autres: “François a raison. Ceux qui n’ont pas d’argent n’ont qu’à s’arranger. Ou pour en avoir, ou pour s’en passer. (…) S’adapter, ça signifie quoi? Ça signifie bouger avec son temps, bouger avec la société. Comme François. Naturellement, une seule devise: pour changer de vie, changer la vie.” Visionnaire de la vie, il l’était. Réaliste, aussi. Sensible? À l’extrême. Passionné? Totalement. Il a filmé la vie, nos vies, les choses de la vie sous toutes ses formes, sous toutes ses coutures. C’était un contemporain. S’il avait vécu plus longtemps, quel film aurait-il pu réaliser dans le monde de Google et d’Instagram? Au paradis, seul Claude Sautet connaît la réponse. Michel Piccoli et Jean-Loup Dabadie sont allés le rejoindre pour préparer ensemble la suite des choses de la vie.
[1] – Michel Boujut. Conversations avec Claude Sautet. Institut Lumière. Actes Sud. 2014.
[2] – Pascal Jardin. Guerre après-guerre, édition Bernard Grasset, 1973.
[3] – Propos recueillis par Claude Beylie, Catherie Shapira et Jean-Paul Török, L’Avant-Scène, n°319-320, janvier 1984.
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