Le 25 novembre, la grâce accordée par Donald Trump à son ex-conseiller à la Sécurité nationale Michael Flynn -le premier de ses proches à avoir été mis en cause dans le cadre de l’enquête russe- a relancé le débat sur la mansuétude dont il pourrait faire preuve envers les siens, mais aussi envers lui-même d’ici la fin de son mandat.
L’objectif serait d’écarter de possibles ennuis judiciaires futurs. Comme le rappelle le New York Times, une “enquête du procureur de Manhattan sur l’organisation Trump” pourrait être étendue ”à des déductions fiscales sur plusieurs millions de dollars d’honoraires de consultation de la société, dont une partie semble avoir été versée à Ivanka Trump”.
Jusqu’ici, Donald Trump a peu utilisé son droit de grâce comparé à ses prédécesseurs. Il a accordé des grâces ou des réductions de peine à plusieurs alliés politiques, dont son ancien conseiller de campagne Roger Stone, un ex-shérif controversé de l’Arizona Joe Arpaio, le militant républicain Dinesh D’Souza ou encore en début de semaine, son ex-conseiller Michael Flynn. Il pourrait toutefois aller plus loin dans les prochains jours.
“Le Président Trump devrait pardonner (…) tout le monde, allant de lui-même à son administration”, a clamé le 25 novembre un représentant républicain dans un tweet relayé par le président. De quoi faire ressurgir une publication de 2018, en pleine enquête sur l’ingérence russe dans laquelle le président affirmait: “Comme cela a été établi par de nombreux experts, j’ai le droit absolu de me GRACIER moi-même, mais pourquoi ferais-je cela quand je n’ai rien fait de mal?”
President Trump should pardon Flynn, the Thanksgiving turkey, and everyone from himself, to his admin, to Joe Exotic if he has to.
The Left has a bloodlust that will only be quenched if they come for those who fought with @realDonaldTrump to deliver for the American people. pic.twitter.com/wdTfu3Xwmp
— Rep. Matt Gaetz (@RepMattGaetz) November 25, 2020
As has been stated by numerous legal scholars, I have the absolute right to PARDON myself, but why would I do that when I have done nothing wrong? In the meantime, the never ending Witch Hunt, led by 13 very Angry and Conflicted Democrats (& others) continues into the mid-terms!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) June 4, 2018
On ne peut être juge et partie
Le pardon présidentiel lui permettrait-il, à lui et sa famille, d’échapper aux mains de la justice? En réalité, l’article II de la Constitution ne mentionne ni n’exclut l’hypothèse. Il stipule en effet que “le président aura le pouvoir de s’accorder des sursis et des grâces pour crimes contre les États-Unis, sauf dans les cas d’impeachment”.
Jusqu’ici, la Cour suprême n’a jamais eu à se prononcer sur la question. Mais nombre de juristes soutiennent qu’une auto-grâce contreviendrait aux principes fondamentaux du droit. D’après Jean-Éric Branaa, spécialiste des questions relatives à la société et à la politique des États-Unis, on ne peut être juge et partie de son propre cas: “C’est impossible de se gracier seul, c’est comme le mariage, il faut être deux. Le président pense qu’il y a une faille dans la Constitution, mais ce n’est pas le cas”, précise-t-il au HuffPost. Des dires confirmés par Brian Kalt, professeur de droit à l’État du Michigan, interrogé cette semaine par l’agence AP: “Vous ne pouvez pas vous accorder quelque chose. Vous ne pouvez pas vous pardonner.”
Une note du département de la justice datant de 1974 abonde d’ailleurs dans ce sens. En 1974, au cœur du scandale du Watergate, le président Richard Nixon avait envisagé l’option d’une auto-grâce. Réponse de la Justice: “il semblerait qu’un président ne puisse se gracier lui-même”. La note a toutefois mentionné un autre scénario juridiquement possible: le président pourrait se déclarer temporairement inapte à exercer le pouvoir en vertu du 25e amendement et transférer le pouvoir au vice-président qui lui accorderait une grâce.
“Que Donald Trump ne puisse pas se gracier ne signifie pas qu’il ne peut essayer”, prévient Jean-Éric Branaa. “C’est une autre question.” D’après lui, si le président tentait de s’accorder une grâce, les élus saisiraient la Cour suprême qui lui opposerait un refus en quelques jours. Cela aboutirait à une destitution immédiate. Et d’ajouter: “Politiquement, ce serait un scandale absolu de la part de Donald Trump. Les Américains ne retiendraient que cela de sa présidence et il ne pourrait jamais se représenter en 2024”. Sans compter que s’accorder une grâce reviendrait pour Donald Trump à admettre qu’il a commis une erreur, contrairement à ce qu’il martelait en 2018: “Pourquoi ferais-je cela quand je n’ai rien fait de mal?”.
Gracier ses enfants préventivement
Pour Jean-Éric Branaa en revanche, il est probable que le président élu Joe Biden accorde une grâce présidentielle à Donald Trump, contrairement à ce qu’il a affirmé jusqu’ici. “Ce serait pour lui l’occasion de se réconcilier avec les 74 millions d’électeurs de Donald Trump, de leur tendre la main”, concède-t-il.
Mais quid de sa famille et de ses proches? Donald Trump a envisagé la possibilité de gracier préventivement des membres de sa famille, à l’instar de Donald Trump Jr, Eric Trump, Ivanka et son époux Jared Kushner, d’après le New York Times.
Le quotidien américain a même révélé que le républicain aurait discuté avec ses conseillers de la possibilité d’accorder une “grâce préventive” aux trois plus âgés de ses enfants.
Or, d’après un jugement de la Cour suprême, le droit de grâce couvre les actes délictueux commis ou pas, et peut s’exercer avant le début des poursuites ou le prononcé d’une condamnation. “La Constitution lui permet de gracier ses enfants et ses proches. Ce serait scandaleux, mais Trump serait dans les clous”, explique au HuffPost Jean-Éric Branaa.
Dans une interview au journal américain Houston Chronicle, Brandon Rottinghaus, professeur de sciences politiques à l’Université de Houston, affirme lui aussi que Donald Trump “pourrait certainement pardonner à ses enfants, mais devrait préciser ce qu’ils ont fait de mal”. “Les pardons préventifs sont délicats. Cela peut être fait, mais implique généralement une infraction spécifique. Le président devrait préciser la raison de ses grâces”, conclut-il.
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