ALIMENTATION – Réunions secrètes dans des hôtels, coups de téléphone répétés… Douze industriels du jambon et de la charcuterie ont été condamnés jeudi à payer 93 millions d’euros au total pour des ententes sur les prix entre 2010 et 2013.
La plus forte sanction (35,5 millions d’euros), rendue publique jeudi par l’Autorité de la concurrence, vise le leader français de la production porcine, la coopérative Cooperl, qui possède six sites intervenant dans la fabrication de charcuterie.
Suivent le groupe de distribution Les Mousquetaires (Intermarché, Netto), qui fabrique également des produits sous ses propres marques comme Monique Ranou (31,7 millions d’euros d’amende), et le groupe Fleury Michon (près de 14,8 millions d’euros d’amende).
La Cooperl et Fleury-Michon feront appel de cette décision, ont-ils annoncé à la mi-journée.
“Les industriels concernés (les ‘charcutiers-salaisonniers’) se coordonnaient pour acheter moins cher les pièces de jambon auprès des abatteurs et/ou s’entendaient par ailleurs sur les hausses de prix des produits charcutiers qu’ils entendaient pratiquer auprès des enseignes de la grande distribution, pour leurs marques de distributeurs (MDD) ou ‘premiers prix’”, indique l’Autorité de la concurrence dans un communiqué.
“Les ententes ont concerné de très nombreux produits de consommation courante (jambon cru, jambon cuit, saucissons, rosette, chorizo…)”, est-il ajouté.
Dans le cas de l’entente sur le prix de la matière première, “les charcutiers-salaisonniers se contactaient individuellement par téléphone avant le début des négociations avec les abatteurs, généralement le jeudi après-midi ou le vendredi matin, afin d’aboutir à une position commune de négociation”, décrit l’Autorité.
Concernant les prix proposés à la grande distribution, “ces échanges ont eu lieu, s’agissant des produits crus/secs de charcuterie, à travers de multiples échanges téléphoniques bilatéraux ainsi que lors d’au moins six réunions multilatérales secrètes entre concurrents dans des hôtels de Paris et de Lyon”, ajoute-t-elle.
Une “manipulation”, selon la Cooperl
Les pratiques mises au jour ont “notamment été révélées grâce à la procédure de clémence, qui permet aux entreprises ayant participé à une entente d’en dévoiler l’existence à l’Autorité et d’obtenir, sous certaines conditions, le bénéfice d’une exonération totale ou partielle de sanction pécuniaire”, précise l’Autorité.
“En l’espèce, deux groupes, Campofrio et Coop, ont sollicité la clémence et apporté des éléments à l’instruction”, est-il indiqué. Ils ont néanmoins été sanctionnés, à hauteur respectivement d’un et six millions d’euros.
La demande de clémence de Campofrio, qui commercialise notamment les marques Aoste et Jean Caby, remonte à octobre 2012.
Dans un communiqué, la Cooperl dénonce une “manipulation”.
“Cette décision sanctionne de manière extrêmement lourde un groupe coopératif sur la base d’éléments aussi faux que calomnieux qui ont été créés de toutes pièces par un groupe concurrent”, affirme la coopérative du Grand Ouest.
Elle estime l’accusation “basée sur un seul document”, le carnet du directeur commercial de la société Aoste, selon elle “un faux tant dans la forme que dans le fond” qui “constitue l’instrument d’une véritable escroquerie au jugement”.
Dans sa décision, l’Autorité affirme qu’il n’y a “pas lieu de remettre en cause l’authenticité matérielle du carnet”.
De son côté, l’entreprise Fleury Michon “regrette que l’Autorité de la concurrence n’ait pas tenu compte des éléments qu’elle a communiqués pour sa défense” et “déplore d’autant plus la décision de l’Autorité de la concurrence que la sanction pécuniaire est particulièrement lourde et frappe un secteur fragilisé”.
L’Autorité dit avoir, “pour déterminer le montant des sanctions (…) notamment pris en compte l’existence du fort pouvoir de négociation des enseignes de la grande distribution – qui a limité dans une certaine mesure l’effet des pratiques sur les prix à la consommation -, la situation économique dégradée du secteur de la charcuterie-salaison, ainsi que les difficultés financières individuelles rencontrées par certaines entreprises”.
Ce n’est pas la première fois que la filière porcine se retrouve dans le collimateur de l’Autorité de la concurrence. Le 13 février 2013, celle-ci avait condamné à 4,5 millions d’euros d’amende cinq abattoirs bretons pour avoir “diminué de façon coordonnée leurs abattages de porcs” en 2009 afin de faire baisser le prix de la viande payé aux éleveurs.
À voir également sur Le HuffPost: Dans le Cher, ces vignerons à l’épreuve de la crise sanitaire et économique