PREMIER CONFINEMENT – “Ici, on vit, on se déplace, on s’instruit, on se distrait”. Un an jour pour jour après le début du confinement à Wuhan, berceau de l’épidémie de Covid-19 dans le monde, le médecin français Philippe Klein assure que la vie a repris sont cours quasi-normalement dans cette ville de 11 millions d’habitants.
Celui qui dirige une clinique privée dans le centre de Wuhan a vécu de l’intérieur les premiers mois de ce qui allait se transformer en une pandémie mondiale. Le 5 janvier 2020, une dépêche était diffusée par l’AFP avec pour titre: “Mystérieuse pneumonie en Chine: 59 cas, le SRAS exclu”. Quelques semaines plus tard, Wuhan devenait une bulle sanitaire.
“On avait l’impression que tous les yeux s’étaient retournés sur nous, se remémore le Dr Philippe Klein. Je me souviens du nombre de cas en train d’augmenter de manière exponentielle; de l’effervescence qui monte ; des rumeurs, des notifications en permanence. J’étais obligé de couper mes notifications pour pouvoir dormir”. Le 23 janvier, les autorités prennent finalement une décision drastique: confiner toute la ville.
“C’était vertigineux”, explique Philippe Klein. Vous imaginez? Mettre à l’arrêt une ville de 11 millions d’habitants et une province de 60 millions d’habitants…” Le médecin demande à sa femme et ses enfants de rentrer en France et très rapidement, une majorité d’expatriés quittent eux aussi le pays. “J’ai fermé ma clinique et décidé de pratiquer mon travail à domicile.”
Entre le 23 janvier et le 17 février, le médecin français décrit un “confinement plutôt mou”: “On pouvait continuer à sortir, aller dans les magasins. Ça freinait le phénomène, mais ça ne le stoppait pas”. Le 17 février, les autorités décident alors un confinement total: plus personne ne peut sortir de chez soi, même pas pour faire ses courses.
“Vous voyez le film ‘Je suis une légende’ avec Will Smith ? C’était la même chose”
“Vous voyez le film ‘Je suis une légende’ avec Will Smith ? C’était la même chose, nous raconte Philippe Klein. Je circulais dans une ville fantôme. Je croisais parfois quelques ambulances, des chiens sauvages ou des belettes qui traversaient la route, mais la ville était déserte. C’était une expérience inouïe.”
Ce confinement a duré jusqu’au 8 avril. “52 jours qui ont permis à la Chine de gagner, assure le médecin français. Il fallait à tout prix maîtriser l’épidémie sur un temps le plus court possible de façon à limiter un minimum les privations des libertés, le nombre de morts et les conséquences psychologiques sur les habitants et économiques pour le pays”.
Le médecin ajoute qu’à ce confinement extrêmement strict a été couplé une politique de traçage “massif” des malades et des cas contacts et leur placement en quarantaine. “Les sujets contacts étaient placés dans des hôtels, les sujets avec des formes mineures de la maladie dans des gymnases et les sujets atteints de forme grave dans les hôpitaux”. Une méthode qui aurait dû, selon lui, être appliquée en France et plus globalement dans l’Occident.
“Les choses auraient dû être beaucoup plus strictes” en France
“Les Français ont fait des efforts extraordinaires, reconnaît-il, mais les choses auraient dû être beaucoup plus strictes. S’il ne remet pas en cause le “type de confinement” choisi par l’hexagone (permettre aux Français de sortir faire les courses, se balader, faire du sport, etc., NDLR) il fallait selon lui “l’associer à meilleur traçage et isolement des malades et des cas contacts” afin de mettre en place “un déconfinement progressif et sous contrôle”.
Autre sujet selon lui: le contrôle des voyageurs aux frontières. “Au moment du déconfinement, il faut contrôler vos frontières de façon stricte, car si vous avez sorti le virus de votre pays, vous devez vous assurer qu’il ne revienne pas”. Au moment du déconfinement en Chine, les personnes venant de l’étranger et arrivant dans le pays devaient obligatoirement être placées en quarantaine.
Depuis le début de l’épidémie, et malgré un avis du Conseil scientifique allant dans ce sens, la France n’a pas rendu obligatoire la quarantaine pour les voyageurs arrivant sur le territoire, privilégiant les tests PCR négatifs.
Aujourd’hui encore, Le Dr Philippe Klein assure que les habitants de Wuhan qui reviennent de l’étranger sont soumis à une politique de quarantaine extrêmement stricte. “Une fois arrivé à l’aéroport d’arrivée, vous devez passer trois semaines à l’hôtel et passer des tests, explique-t-il. Au terme de cette période, il faut encore s’autoconfiner deux semaines chez soi, à Wuhan”. Des mesures radicales, difficilement imaginables dans l’Union européenne.
Et d’ajouter: “Cinq semaines avant de pouvoir reprendre mon travail, c’est le prix à payer pour se sentir dans cette bulle sanitaire et aller le samedi soir en boîte de nuit”.
“La peur du virus s’est installée”
Ces dernières semaines, des regains épidémiques très limités se sont manifestés dans plusieurs régions du pays, mais pas au Hubei, la province dont Wuhan est la capitale. “Depuis mi-avril, il n’y a plus de coronavirus à Wuhan”, assène Philippe Klein.
Entre une mer de drapeaux rouges, des mannequins en combinaison intégrale et des slogans à la gloire du Parti, Wuhan accueille d’ailleurs une exposition célébrant la victoire revendiquée de la Chine face au coronavirus. Une manière de faire oublier les aspects moins glorieux de la gestion de l’épidémie, comme les interrogatoires policiers infligés aux médecins qui avaient donné l’alerte dès la fin 2019.
Mais l’arrivée la semaine dernière d’une équipe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est venue rappeler que la ville des bords du Yangtsé est au centre de l’enquête internationale sur l’origine du virus.
À la veille de l’anniversaire de la mise sous cloche de Wuhan, un documentaire devait débarquer dans les cinémas chinois. Intitulé “Jours et nuits à Wuhan”, le film évite de s’appesantir sur les morts et la panique qui s’est emparée de la ville pour insister sur l’esprit de “résistance”.
Les craintes n’ont toutefois pas totalement disparu. Le Dr Philippe Klein reconnaît d’ailleurs que les choses ont un peu changé dans la mégalopole. “La peur du virus s’est installée, estime-t-il. Ici, comme dans le reste de la Chine, on vit dans une hypervigilance vis-à-vis d’un retour de l’épidémie”.
Signe que la prudence reste de mise: beaucoup d’habitants de Wuhan continuent à porter un masque, bien que ce ne soit pas obligatoire. Il y a un an, très peu d’entre eux avaient eu ce réflexe avant la mise en quarantaine, faute parfois d’avoir entendu parler du mystérieux virus.
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