Comme chaque année, les assemblées générales des grands groupes, qui pour l’essentiel se tiennent au printemps, sont autant d’occasions de disséquer les rémunérations des grands patrons. Fin avril dernier, les 36,5 millions d’euros touchés par le PDG de Stellantis, Carlos Tavares, ont focalisé l’attention. A raison. La somme astronomique surclasse de loin la rémunération de ses homologues en France, et représente 518 fois le salaire moyen perçu par les salariés de Stellantis, contre 232 en 2019 !

Ces chiffres sont inscrits noir sur blanc dans les documents financiers du groupe. C’est une obligation aux Pays-Bas – où se situe le siège social du groupe –, mais aussi en France. Depuis la loi Pacte, promulguée en mai 2019, les sociétés cotées françaises ont l’obligation de comparer la rémunération des dirigeants avec celles des salariés. Ce qu’on appelle le ratio d’équité, également de rigueur aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon sous le nom de pay ratio.

Un geste de transparence plutôt bienvenu, en principe.

« Qu’un patron gagne 4 ou 9 millions d’euros, la perception reste la même. Le ratio d’équité, lui, permet de mieux toucher du doigt l’écart de salaire. On ne peut pas soutenir que la valeur du travail d’un dirigeant est 400 fois supérieure à celle d’un salarié moyen », estime Sylvain Macé, secrétaire national de la fédération des services CFDT et ex-délégué syndical central de Carrefour.

Des entreprises peu transparentes

Problème : les entreprises ne jouent pas totalement franc jeu.

« La loi a été mal faite. Elle permet de calculer le ratio d’équité sur la seule société mère, qui peut représenter un nombre très réduit de personnes », souligne Charles Pinel, directeur de l’agence de conseil de vote Proxinvest Glass Lewis.

Pour un minimum de comparabilité, le Medef et l’Association française des entreprises privées (Afep) recommandent donc de calculer les salaires moyens d’au moins 80 % des effectifs dépendant de l’entité cotée en France.

Une consigne suivie par seulement 49 % des entreprises de l’indice boursier SBF 120 et 47 % du CAC 40.

« Les entreprises publient un ratio d’équité dans la grande majorité des cas, mais elles n’apportent pas toujours assez d’éléments pour rendre cette information lisible et transparente », souligne Julia de Queiros, consultante au sein de l’agence de communication financière Labrador, qui pousse à davantage de transparence.

Du Haut Comité de gouvernement d’entreprise, chargé par l’Afep et le Medef de surveiller l’application de leur propre code, jusqu’à l’Autorité des marchés financiers, tous reconnaissent cette lacune.

L’effet de ce manque de rigueur ? Une foire aux ratios. Si l’on s’en tient aux chiffres officiels communiqués par les entreprises, le ratio d’équité moyen du CAC 40 s’élève à 73, selon une étude de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse), de PwC France et Maghreb et du Pacte mondial de l’ONU-Réseau France, publiée en janvier.

Les calculs de l’agence de conseil en vote Proxinvest Glass Lewis donnent des résultats différents : un ratio moyen de 130 en faveur des dirigeants du CAC 40 pour l’année 2022, proche de celui calculé par l’ONG Oxfam.

Certaines entreprises n’assument guère ces écarts. Chez Teleperformance, l’écart « officiel » est de 488 en 2022, sur la base d’un effectif de 1 500 salariés, contre 1 453 selon Proxinvest et 1 484 d’après Oxfam, ces derniers calculant le ratio sur le périmètre complet des groupes.

Même cas de figure chez Carrefour, qui communiquait sur un ratio de 49 en 2022, contre 406 selon Proxinvest Glass Lewis et 426 d’après Oxfam. Le groupe de grande distribution assume de compter les seuls salariés du siège employés par Carrefour Management, et non les paies des 85 000 salariés en France hors franchisés ou les 305 000 du monde entier.

« Le ratio d’équité est finalement peu transparent et ne dit rien de plus sur la dérive d’une financiarisation de l’économie au détriment des salariés », estime Nicolas Blanc, secrétaire national de la CFE-CGC chargé de la transition économique.

Plus précis, Schneider Electric détaille son ratio d’équité international, qui s’élève à 126 en 2022. Le groupe va donc plus loin que les recommandations de l’Afep et du Medef. A l’échelle de la France, le ratio du groupe électrique était de 67 en 2022.

Peu d’effet sur les pratiques 

Cette mesure a-t-elle un quelconque effet sur les investisseurs ?

« Le ratio n’a pas mordu dans l’opinion publique comme la parité femmes-hommes. Et comme il n’y a pas de mise en cause de la réputation d’une entreprise, l’effet du ratio d’équité sur la valorisation des actions d’une entreprise est faible », observe l’économiste Pierre-Yves Gomez, directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises. Comme si « remettre en cause le « gagner plus » de certains revenait à contester le « gagner plus » de tout le monde ».

Certains acteurs fixent leurs limites. Dans sa politique de vote, Proxinvest Glass Lewis recommande d’éviter toute augmentation de la rémunération du dirigeant « lorsque l’écart entre la rémunération totale du premier dirigeant et la rémunération moyenne des salariés de son groupe au niveau mondial (« ratio d’équité ») excède 100 ou a été grandissant sur les derniers exercices ». Mais encore faut-il que cette recommandation soit suivie par ses clients, des actionnaires.

« Pour nous, le ratio d’équité est un outil d’alerte. Mais un ratio très élevé dans une entreprise de la tech, où les salariés sont globalement bien payés, va moins nous préoccuper que celui d’une entreprise où les salaires sont bas », observe Olivier de Guerre, président de la société de gestion responsable Phitrust, qui gère un fonds dédié aux entreprises du CAC 40 et surpondère celles qui affichent un ratio d’équité normal ou faible.

Au-delà de ces activistes, qui tient compte du ratio d’équité ? Sycomore AM, une société de gestion contrôlée par l’assureur Generali, analyse les rémunérations excédant 250 fois la moyenne des salaires minimums légaux. Celle de Groupama s’engage aussi à analyser le ratio d’équité mais seulement « en cas d’augmentation de la part fixe de la rémunération ».

Tout est donc possible sur la partie variable. Idem du côté de la Caisse des dépôts, qui s’oppose à l’augmentation de 5 % du fixe des dirigeants « si le ratio d’équité s’est dégradé sur les deux dernières années », précisait-elle dans sa politique de vote 2023.

Suffisant pour peser ? Pas vraiment. L’an dernier, aucune rémunération n’a été rejetée par un vote majoritaire au sein du CAC 40…

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