La crise sanitaire et économique a, certes, engendré une baisse d’activité globale et une récession inédite mais elle a fait naître, en même temps, une nouvelle économie florissante: celle du “confiné sédentaire”. Une partie des Français ont été contraints de revoir à la baisse leurs dépenses et 36% assurent être plus vigilants sur les prix, comme l’a montré une étude Ipsos publiée fin novembre par L’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations.
Mais les Français qui le peuvent ont, eux, réorienté leurs dépenses liées à certains loisirs ou déplacements (bars-restaurants, carburants, vacances en France ou à l’étranger, places de cinéma, événements culturels et sportifs…) vers d’autres secteurs, quand ils ne l’ont pas massivement épargné en attendant des jours meilleurs ou par peur du lendemain.
Mais ces Français confinés, qu’ont-ils acheté de plus qu’avant? Cela dépend bien évidemment de leur revenu, de leur âge ou encore du type de logement dans lequel ils vivent. Le “consommateur moyen” n’existe pas. Reste que les Français, plus sédentarisés que jamais en 2020, sont devenus en moyenne -et souvent par la force des choses ou par besoin de réconfort-, plus actifs en cuisine, plus joueurs et plus “jogging”.
Plus de cuisine et de propreté
Commençons par le bien “essentiel” par excellence: la nourriture et les produits de grande consommation. Au-delà de la spectaculaire ruée vers les supermarchés lors de l’annonce du premier confinement (hausse des ventes de +237% le 16 mars comparé à 2019) et les très médiatisées ruptures de stock de farines, de chocolat (pâtissier et gourmand), de pâtes ou de PQ, certains produits de “première nécessité” ont vu leurs ventes bondir sur l’ensemble de l’année 2020.
Et c’est l’ensemble de la grande distribution qui en profite, bien que cette embellie (+5,3% sur l’année) ne soit pas égalitairement partagée. “La situation sanitaire n’a que très peu profité aux hypermarchés et a plutôt favorisé la livraison, le drive et les sites de ventes en ligne”, explique au HuffPost Emily Mayer, directrice Business Insight chez le panéliste Iri, spécialiste des tendances de consommation des produits de grande consommation.
Pour les produits de grande consommation, elle table sur une croissance proche des 7% en 2020. “Les produits ‘bruts’, comme la farine, le sucre ou encore la levure, devraient clôturer l’année avec des ventes en hausse moyenne de près de +13%”, ajoute-t-elle, parlant d’une volonté de “faire maison pour manger mieux et à moindre coût”. Car la grande tendance de 2020 est celle des Français aux fourneaux. 69% des Français ont ainsi profité du confinement pour cuisiner plus de plats maison, selon l’enquête menée par L’Observatoire E.Leclerc.
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Les fermetures des restaurants et des cantines expliquent ces chiffres, mais pas que… “Au-delà du simple aspect nourricier, la cuisine s’est imposée comme une activité fédérant le foyer, ce qui est loin d’être accessoire”, explique Julien Bouillé, maître de conférences en Marketing-Comportement du consommateur à l’université de Rennes 2, en marge de l’étude réalisée par Ipsos. “La cuisine n’était plus seulement le lieu où se créent et se prennent les repas, mais également un espace de partage, de discussions, un espace de décompression psychologique et parfois même un lieu de télétravail.”
Le chercheur note également un positionnement accru sur “les produits frais et locaux” et constate une hausse des “achats plaisirs” ou réconfort. Exemples types? L’explosion des ventes de tisanes, d’infusions ou d’appareils à raclette, avec une hausse “jamais vue sur le marché” lors de ces dernières semaines pour le dernier d’entre eux. “On voit des +300-400 % par rapport à l’an dernier et de vrais cartons comme le modèle pour deux personnes”, expliquait le directeur des produits du groupe Fnac-Darty, Olivier Garcia, sur France inter le 24 novembre. Les ventes de fromages ont, elles, logiquement suivi (+15% sur un an), faisant même craindre une pénurie pour cet hiver.
Autre secteur à avoir vu ses ventes grimper: les produits surgelés, qu’ils soient vendus en grande surface ou dans les magasins spécialisés. Depuis le début de l’épidémie, 54% des Français déclarent chercher à “cuisiner avant tout des choses faciles et rapides”, selon l’enquête Ipsos. L’enseigne Picard en profite: elle a séduit près de “200.000 nouveaux clients supplémentaires en 2020” et table sur une croissance de 10% cette année. Près de 400 salariés ont été embauchés sur la période, annonçait la nouvelle présidente de l’entreprise Cathy Collart Geiger, le 7 décembre au Parisien.
“Le confinement a fait que les clients ont redécouvert les bénéfices du surgelé. Les gens sont restés chez eux, ont envie de cuisiner, et ils ont découvert le bénéfice du surgelé”, faisait-elle valoir en novembre sur franceinfo. “Le surgelé est stockable, il y a une longue date de conservation, vous pouvez prendre le juste besoin sans gaspiller, il y a moins de pertes”, ajoutait-elle notant que le surgelé est également “une réponse à l’anti-gaspi”. Une tendance confirmée par la panéliste Emily Mayer.
À l’inverse, les salades, le snacking et les barres de céréales ont vu leurs ventes s’effondrer cette année, sans rebond majeur en dehors des périodes de confinement. Pour Julien Bouillé, “il existe désormais trois types de consommateurs” dans le secteur alimentaire. “Aux deux extrêmes se trouvent ceux qui sont focalisés sur la variable budget et ceux focalisés sur les variables écologie et sanitaire. Pour ces deux extrêmes, le confinement a cristallisé leurs comportements (…) Reste la population des consommateurs situés entre-deux qu’il est possible de qualifier ‘d’indécis’”.
La pandémie a également incité les consommateurs à renforcer leur hygiène et la propreté de leurs lieux de vie. Selon une étude du cabinet Asterès publiée en septembre pour les industriels du secteur, “la demande dans le secteur s’est envolée de +155% au printemps 2020”. Gels hydroalcooliques, savons, produits désodorisants et lingettes nettoyantes ont ainsi connu des hausses de leurs ventes allant de 50% à 200%, selon le cabinet qui précise que les sociétés n’ont pas toujours pu répondre à la demande des Français. En revanche les ventes de déodorants ont chuté, précise Emily Mayer.
Plus de jeux
Le confinement a également incité les petits et les grands à jouer plus. Malgré l’effondrement des ventes lors des semaines du premier confinement (-32%), les achats des jeux de société ont progressé de 15% entre janvier et mi-octobre 2020, selon le panéliste NPD. 37% des Français confirment avoir joué davantage cette année, selon l’un de ces sondages.
“Certaines catégories comme les jeux et puzzles (+17% depuis le début de l’année) ont connu un engouement inédit pour représenter 23% des ventes pendant le confinement par rapport à 14% en 2019 à ces mêmes dates”, précise NPD. Les jouets dédiés aux nourrissons et au premier âge ont connu une croissance inédite depuis le déconfinement de mai (+22%), portée par les catégories éducatives dopées par la période sans scolarisation (+36%) et les jeux d’imitation (+38%).
“Cela prouve encore une fois que l’enfant est au cœur des préoccupations de la famille et que son bien-être et son équilibre restent la priorité des parents et grands-parents, quelles que soient les difficultés qu’ils traversent”, précisait début septembre l’experte de l’industrie du jouet, Frédérique Tutt, en complément de l’étude.
Et ce sont les “valeurs sûres”, les plus connues (Uno, La Bonne Paye, Monopoly…) qui l’emportent et avec elles les géants du secteur: les Américains Hasbro et Mattel ainsi que l’Allemand Ravensburger pour les puzzles. Portés par le confinement mais surtout par la série américaine “Le Jeu de la Dame” diffusée sur Netflix, les échecs connaissent également un engouement mondial en cette fin d’année 2020.
“Nous avons doublé nos ventes en ligne de jeux d’échecs depuis la sortie de la série, par rapport à la même période l’an dernier”, expliquait mi-novembre au Figaro Franck Mathais, le porte-parole du groupe JouéClub, le leader de la vente de jouets en France, qui table sur une croissance à deux chiffres cette année.
Enfin, la catégorie jeux en plein air s’est imposée comme le deuxième segment le plus performant pendant le premier confinement avec 20% des ventes, soit 4 points de parts de marché en plus par rapport à la même période l’année passée. À voir si toutes ces tendances se confirment lors des achats des cadeaux de fin d’année, période cruciale pour le secteur.
Le top 5 des ventes de jeux de société en France en 2020 (classement non définitif, NPD): Le Uno, la Bonne Paye, le Monopoly, le Scrabble et le Blanc Manger Coco.
Les Français n’ont pas pour autant lâché leurs écrans. Et les grandes plateformes de streaming, type Netflix, Disney+ et Amazon prime, ne sont pas les seuls à en profiter. Côté jeux vidéo, c’est le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) qui fournit les chiffres et les tendances. 32% des Français jouent plus qu’avant le confinement, explique le syndicat dans son étude annuelle “Les Français et le jeu vidéo” réalisée avec Médiamétrie et publiée en novembre.
Parmi les sondés, 36% expliquent par ailleurs que la pratique du jeu vidéo leur a permis de garder contact avec leur famille et leurs amis. “Le jeu vidéo a joué un rôle essentiel dans de nombreux foyers pendant le confinement et confirme ses vertus sociales: 52% des joueurs déclarent que la pratique du jeu vidéo permet de créer du lien social”, écrit le syndicat qui promeut les intérêts des éditeurs.
Parmi les plus de 18 ans, ce sont sans surprise les personnes au chômage partiel ou en cours à distance qui ont vu leur pratique le plus progresser. Enfin, la période a permis à 2% des Français de jouer pour la toute première fois à un jeu vidéo.
SELL / MEDIAMETRIE
Le top 5 des ventes de jeux vidéo sur Amazon en 2020:
– Animal Crossing, Mario Kart Deluxe 8, Mario Kart 3D, Minecraft et Hyrile Warriors (Zelda).
Les chiffres des ventes totales seront communiqués en février 2021
Les périodes de confinement sont également une aubaine pour le marché des jeux d’argent en ligne: paris sportifs et poker ont connu un boom avec une progression de 29% du nombre de joueurs en un an, selon l’Autorité nationale des jeux (ANJ).
Plus de joggings et de chaussons
Le secteur du textile-habillement est l’une des principales victimes de la situation sanitaire. Sa croissance pour 2020 est attendue au mieux à -17% par l’Institut français de la mode. “Le plaisir et l’aspect social du shopping sera très difficile à maintenir avec les mesures de distanciation sociale en place”, notait dès le mois de juin Marguerite Le Rolland, analyste chez Euromonitor interrogée par l’AFP.
La baisse des sorties et des achats en boutique entraînent dans son sillage l’industrie de la lessive (-5,5% lors du premier confinement) ou du cirage chaussures. Mais tout le secteur du vêtement n’est pas en berne. Car ici aussi figurent des entreprises qui n’ont pas connu la crise en 2020. Parmi les grandes gagnantes: les marques de “homewear” et de “leisurewear” (vêtements de confort ou décontractés).
Avec le télétravail et les confinements, place au combo jogging/chaussons, et plus seulement le weekend. Même la femme la plus influente de la mode, Anna Wintour a partagé une photo d’elle sur Instagram en pantalon de survêtement en avril. Cette tendance aux vêtements plus amples et aux pantoufles s’est même fait ressentir dans la dernière collection homme de Dior présentée le 8 décembre.
Effet de mode lié au contexte? “L’incertitude est complète sur le sujet (…) Mais on ne voit pas comment un événement d’une telle importance pourrait ne pas se traduire dans le style”, répondait à l’AFP Benjamin Simmenauer, professeur titulaire de l’Institut français de la mode. Même constat pour les ventes de baskets, leggings et joggings qui ont, eux, également profité de l’engouement des Français pour la course à pied, principalement lors du premier confinement.
Tendances temporaires ou permanentes? Pour tous ces secteurs, il faudra scruter les changements de comportement des consommateurs avec les différentes phases du déconfinement et le retour progressif à “la vie d’avant”. Mais certaines de ces habitudes de consommation pourraient rester durablement ancrées: certains abonnements ont été souscrits et pourraient le rester, notent les spécialistes.
Le Covid pourrait également enraciner et généraliser de nouvelles routines d’achats (comme faire ses courses en ligne), de déplacements (comme aller et rentrer du travail à vélo par exemple, secteur en plein boom dans les villes en 2020), comme de nouvelles habitudes de travail (achats de matériels informatiques ou de bureau) ou encore de loisirs (jeux en famille, bricolage, jardinage). Tout cela dépendra aussi de la situation sanitaire et de la fin ou non des périodes de confinement.
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