J’entre dans la salle avant la lecture, je dis bonsoir aux personnes présentes, ils me regardent bizarrement, personne ne me répond, j’essaie d’échanger avec certains, personne ne me parle. J’ai pensé avoir fait une bourde par inadvertance; je me renseigne auprès du responsable, il me répond laisse tomber, ils voient que tu es étranger.
Après la lecture, la fête commence, ils allument un grand feu, les flammes croisent les étoiles, les assiettes de viande grillée -le méchoui- tournent sur les tables, le vin corse, si fort, si bon, crée une ambiance chaleureuse, la soirée est longue en ce début d’été, la chaleur, le calme nous entourent, tout comme les arbres qui recouvrent la montagne.
Une heure plus tard, on commence à échanger des blagues, on rit ensemble, certains trinquent avec moi, l’alcool ne privilégie aucun sang, il a le même effet sur un Syrien sorti d’une guerre que sur un Corse qui n’a jamais quitté sa région.
Le feu s’éteint, on est étendus sous les étoiles plus visibles. Un des convives joue de la guitare, un autre interprète des chansons françaises traditionnelles, ce n’est pas seulement la fête de la Saint Jean, mais aussi celle de la musique. Au bout d’un moment, j’oublie où je suis, j’oublie le temps, et je commence à fredonner une ancienne chanson syrienne, en arabe, sans demander l’avis de quiconque, la guitariste me suit, ma voix n’est pas du tout bonne, mais je m’en fous. A la fin de la chanson les gens m’applaudissent fort, me demandent l’histoire de cette chanson, pourquoi je la chante, d’où je viens en Syrie, où je vis ici, etc…
Dans ma vie quotidienne en France, je suis traité comme un homme à la couleur et l’accent différents, qui doit rester dans le cadre prévu pour lui et les siens; vous venez de Syrie, vous êtes musulman ou chrétien? Vous buvez de l’alcool, vous mangez du porc? Voilà les trois questions phares posées à un Arabe. Ce n’est pas du racisme mais un cliché, celui que certains orientalistes ont façonné à propos du Moyen-Orient et il s’est incrusté dans la culture française. Il peut ouvrir la porte à d’autres représentations comme Arabe égal voleur…
Le paradoxe est que quand j’applique moi-même ce procédé aux Arabes, je suis parfois qualifié de raciste. Critiquer les Arabes en France est lié à l’histoire coloniale, au contexte français face aux extrêmes droites. Mais moi, tout ce que je dis sur ce sujet, je le disais déjà en Syrie. Par exemple, que je trouve que nous, les Arabes, ne sommes pas à l’avant-garde des peuples, mais globalement dominés par la haine, que nous vivons au Moyen Age. Dans le monde arabe, personne n’accuse ceux qui déclarent cela d’être racistes mais, en France, on fait attention au contexte et aux conséquences davantage qu’aux mots qui sont dits.
A la fin de la soirée à Ajaccio, j’ai balancé des blagues contre les Arabes, certains, qui étaient au début durs avec moi, à cause de mon origine, n’étaient pas contents; il ne faut pas généraliser, peut-être ont-ils aussi pensé que j’étais raciste à l’égard des Arabes, c’est-à-dire, de moi-même!
“Le dernier Syrien” de Omar Youssef Souleimane, en savoir plus ici
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