RICHARD BOUHET/AFP
Photo d’illustration prise en 2006 dans une école primaire du Port, à La Réunion.

ÉDUCATION – Si vous avez été à l’école -primaire, collège et lycée – dans un territoire ultramarin avant les années 2000, il y a fort à parier que vous ayez très peu de souvenirs de cours d’histoire propre aux Outre-mer. Pas parce que vous étiez un cancre, non. Mais parce qu’elle n’était pas enseignée – à moins de tomber sur un professeur “militant”.

“Pourquoi nous enseigne-t-on ‘nos ancêtres les Gaulois?’”. La remarque est caricaturale. Mais récurrente. Elle illustre le reproche d’une grande partie de la population ultramarine à l’encontre de l’Éducation nationale: dans le cursus scolaire, la part accordée à l’histoire des DROM-COM (départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer) est minime, après avoir été longtemps inexistante.

Cet article fait partie de notre dossier “La mémoire en mouvement”. Alors qu’Emmanuel Macron appelle à la création d’une liste de personnalités pour mieux représenter “la diversité de notre identité nationale”, Le HuffPost se plonge dans l’histoire de France et dans l’actualité pour interroger notre mémoire collective.  

L’intérêt des populations pour leur histoire locale ne date pas d’hier. En 1971, dans un manuel d’histoire “Les Antilles Françaises, XVe, XVI, XVIIe siècle – Supplément à l’Histoire de 4e, par J. Adélaïde”, la préface était déjà conçue comme suit:

“Ce manuel est destiné à répondre à l’intérêt qui se manifeste à juste titre, depuis quelques années, pour l’histoire des Antilles Françaises. Il a d’autre part été conçu pour permettre une insertion de cette histoire antillaise dans les programmes élaborés pour la classe de 4e.”

Il a pourtant fallu attendre longtemps pour que l’État se penche sur la question. Le 18 octobre 2000 plus exactement et Jack Lang, ministre de l’Éducation nationale. En présence du secrétaire d’État à l’Outre-mer Christian Paul, il prononce un discours centré sur les Outre-mer qui prône un système éducatif  “souple” et qui ”épouse la réalité du terrain”: les “adaptations de programmes” sont nées. Mais 21 ans plus tard, leur concrétisation est loin d’être évidente.

“Adapter le programme” 

L’objectif des “adaptations de programme” est le suivant: sans bouleverser le cursus national du primaire au lycée, elles doivent permettre de travailler de manière approfondie sur l’histoire locale de chacun des territoires d’Outre-mer. 

Pour les mettre en place, des professeurs sont sollicités pour faire partie des “Groupes de Formateurs Réseau”. En lien avec l’inspectrice pédagogique d’histoire-géographie, ces professeurs, le plus souvent forts d’une certaine ancienneté ou experts du sujet, repèrent dans le programme national les thématiques où l’histoire locale peut être abordée. Leurs propositions remontent ensuite jusqu’au ministère de l’Éducation nationale. 

Une fois validées rue de Grenelle, les adaptations de programme deviennent officielles. Elles sont d’ailleurs accessibles sur le site des Académies d’Outre-mer, plus ou moins détaillées en fonction des territoires.

Sur le papier, le cadre est donc posé. Les adaptations sont officielles et donc obligatoires… ou presque. Car, sur le terrain, les enseignants peinent parfois à enseigner cette partie du programme. Et preuve que le succès n’est toujours pas au rendez-vous, le reproche d’“enseigner les Gaulois” se transmet de génération en génération. 

 “Il est déjà difficile d’arriver au bout d’un programme…”

Trois ou quatre heures de cours d’histoire-géographie par semaine, au moins cinq ou six grands thèmes chaque année, selon le niveau. Dans ce programme chargé, difficile de trouver une heure ou deux à consacrer à l’histoire locale.

Pourtant, le ministère de l’Éducation nationale l’assure: les enseignants “savent articuler le programme national et les adaptations” et il faut leur ”faire confiance”, nous répond-on rue de Grenelle. Un discours à l’opposé des remontées du terrain. 

“Il est déjà difficile d’arriver au bout d’un programme, a fortiori d’y ajouter des adaptations. Les adaptations ne sont pas un ajout et elles interviennent plutôt en remplacement d’un autre sujet. Mais encore faut-il arriver à la thématique du programme où l’on peut les intégrer. Même avec toute la bonne volonté du monde, ce n’est pas évident, sauf pour les professeurs chevronnés et qui mettent un point d’honneur à le faire”, explique Josiella Thyot-Joseph, professeure d’histoire-géographie en Martinique

Certains pionniers sont d’ailleurs restés dans la postérité: en Martinique, on se souvient encore d’Édouard Delépine. Ancien maire du Robert, la troisième ville de l’île, il fut aussi un enseignant dont “les écrits ont permis à plusieurs de ses élèves d’exceller à leur tour dans la tâche ardue de la réhabilitation de la personnalité martiniquaise”, avait souligné l’ancien député Bruno Nestor Azérot à son décès

La bonne volonté et ses limites

Intégrer l’histoire ultra-marine dans le programme est souvent plus évident en géographie. Les Terminales abordent par exemple “La France, puissance maritime”, du “pain béni” pour se pencher sur les territoires d’Outre-mer, sans lesquels ce ne serait pas le cas.

Autre exemple en classe de Seconde, avec le thème de la protection et la valorisation des territoires. “Sur les quatre études de cas proposées, j’ai choisi celle sur l’Outre-mer française”, confie Josiella Thyot-Joseph. En classe de 6e, le thème sur l’histoire de l’humanité et les migrations est l’occasion d’évoquer ”les premiers peuplements des territoires ultramarins en soulignant les spécificités, chronologiques et culturelles, pour chacun d’entre eux”, souligne le Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale de mars 2017.

“Tout dépend de la problématique, du sujet, qui permet d’y consacrer plus ou moins de temps. Quelques fois, faire un focus sur les Outre-mer se justifie. Mais parfois, ça relève un peu plus de l’activisme”, concède Brigitte Louise-Palix, qui souligne cependant que beaucoup d’enseignants font le choix d’y consacrer le maximum d’heures possibles… en fonction de leur progression sur le programme national

Déjà limités en matière de volume horaire pour aborder les sujets, les professeurs peuvent aussi se heurter à une autre difficulté: le manque de ressources pédagogiques. 

Si les manuels scolaires tiennent compte pour la plupart des adaptations de programmes, ce n’est pas toujours fait de manière égale: ainsi, un livre pourra aborder l’abolition de l’esclavage avec pléthore de documents, tandis qu’un autre en aura à peine deuxCertains thèmes sont aussi plus documentés que d’autres. C’est le cas de la traite négrière ou de l’abolition de l’esclavage, pour lesquelles les ressources ne manquent pas. Mais en ce qui concerne l’histoire contemporaine – sociale ou politique – des Outre-mer, la matière n’est pas encore là. 

Pour les enseignants, le déséquilibre est parfois gênant. Les professeurs déterminés à enseigner certains sujets peu documentés nationalement peuvent faire appel aux “professeurs-formateurs” pour obtenir des ressources. Mais là encore, cela demande du temps. Et une volonté personnelle de l’enseignant.

Les Outre-mer à l’échelle nationale?

Bien qu’obligatoire parce que dans le programme, l’enseignement de l’histoire propre aux Outre-mer peut donc se heurter à la réalité du terrain. Concrètement, les Outre-mer ne “tombent pas” aux examens écrits nationaux. Aucun élève n’a jamais eu à plancher lors du bac sur “La loi de départementalisation de 1946 – la fin des colonies françaises dans les Outre-mer” par exemple. 

La raison est simple: les sujets d’examens – regroupés dans la Banque Nationale de Sujets – doivent être le plus généraux possible, pour ne pas pénaliser un élève qui n’aurait pas abordé tel ou tel point spécifique pendant son année, nous explique Josiella Thyot-Joseph. En revanche, les élèves peuvent utiliser leurs connaissances locales pour un thème général: un sujet sur la décolonisation dans le monde peut permettre d’aborder les cas français et de glisser avec un paragraphe sur la particularité de la départementalisation en Guadeloupe, Martinique, Réunion et Guyane française. 

Mais à quoi bon consacrer de longues heures à un sujet sur lequel on ne sera pas interrogé? Dans une perspective strictement scolaire, la question se pose, y compris chez les enseignants. “Le programme est tellement lourd, il y a tellement de choses à apprendre… Ça ne veut pas dire qu’on n’intéresse pas nos élèves à la question locale. On peut le mentionner. Mais on ne va jamais traiter à fond un sujet qui ne va pas tomber à l’examen”, regrette Josy-Thyot Joseph.

Le nouveau baccalauréat, dont la mise en place a été perturbée par la crise sanitaire, pourrait peut-être permettre de faire évoluer les choses: avec le contrôle continu, les établissements auront davantage la main sur le choix des examens. Mais encore faudrait-il qu’un sujet disponible dans la Banque nationale se prête à une étude de cas ultramarine. 

Au HuffPost, le ministère de Jean-Michel Blanquer assure que “bien sûr, un sujet sur les Outre-mer pourrait tout à fait être proposé au baccalauréat, en histoire comme en géographie”. Mais “l’exigence de confidentialité sur les thématiques des sujets prévaut: on ne peut être plus précis.” Seul l’avenir dira si cette possibilité se concrétisera… ou restera de l’ordre des possibles. 

En attendant, certains professeurs ultra-marins aimeraient bien voir l’Outre-mer mieux étudiée en dehors de leurs frontières. “L’histoire ne peut se faire que d’un seul côté”, souligne Brigitte Louise-Palix, du lycée Acajou 2 en Martinique. “Il faut aussi qu’en France hexagonale on connaisse cette histoire-là, cette diversité de la France. C’est vers cela qu’il faudrait aller.”

Là encore, le ministère balaie les remontrances: l’histoire des territoires ultra-marins est enseignée à l’échelle hexagonale. Et de citer la classe de 4e avec l’étude du XVIIIe siècle “et plus précisément des échanges liés au développement de l’économie de plantation dans les colonies”. D’autres exemples suivent. Mais certains illustrent malgré eux toute la complexité de cet enseignement. “En Terminale générale, les outremers peuvent être abordés dans le Thème ‘Les remises en cause économiques, politiques et sociales des années 1970 à 1991’”, nous explique le ministère. “Peuvent être abordés”. Pas “doivent” être abordés ni “seront” abordés. La boucle est bouclée. 

À voir également sur Le HuffPost: À Paris, les statues de femmes sont rares, mais en plus elles sont problématiques

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