On dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu, comme il n’y a pas de match de foot sans bières. De même, qui dit monde de la nuit dit drogues. En Belgique, on a cette réputation d’être un pays où la nightlife est bonne et la consommation de produits illégaux qui l’accompagne encore « meilleure ». Cette réputation a fait du royaume l’un des épicentres de l’émergence des subcultures et de toutes ces habitudes qui les accompagnent. De l’apparition de l’ecstasy à la fin des années 1980 à la réputation de nouvel Eldorado européen de la cocaïne en passant par le développement de nouveaux produits de synthèse, ici la drogue est partout. 

Alors que les différentes politiques en matière de drogue n’ont pas évolué depuis des années, que la légalisation ou la dépénalisation n’est pas encore à l’ordre du jour, que les différentes salles de consommation à moindre risque connaissent une forte contestation et que le testing (la dernière innovation dans la matière) peine à se démocratiser, il serait temps de réfléchir à une nouvelle approche, ou du moins à une compréhension plus actuelle du phénomène. 

Pour apporter un vent de fraîcheur au débat, le Listen! Festival a invité des programmateur·ices de soirées, des gérant·es de lieux culturels et des consommateur·ices, dans le cadre de tables rondes. L’idée était de pouvoir aborder la question de la consommation en soirée et réfléchir sur certaines lignes directrices qui, à défaut de révolutionner le monde, pourront en inspirer plus d’un·e. Parce que s’il existe depuis quelques années une charte de la vie nocturne à Bruxelles, en général les interpellations de la part du milieu de la nuit ont lieu suite à des incidents ou accidents, de manière informative post-drame. Ici, le panel prend les devants pour proposer des solutions dans le but d’anticiper plutôt que de réagir.

Décloisonner une idée reçue : la drogue ne frappe pas qu’en milieu festif

Oui, la drogue est présente en soirée. Mais il serait assez réducteur d’imaginer que le problème soit inhérent au milieu. Selon une enquête de Sciensano, la consommation de drogue en Belgique a significativement augmenté entre 2013 et 2018. D’après cette étude publiée en 2019, cette augmentation est entre autres notable avec la cocaïne et l’ecstasy, dont la consommation a triplé en cinq ans (0,5% contre 1,5). 

Personne n’y échappe, c’est partout, tout le temps. Et puis quand on dit partout, c’est dans tous les milieux. « On connaît plein de proches qui en consomment sur leur lieu de travail, en journée – le strict minimum, pour juste travailler : le speed, la cocaïne et même du GHB », explique Théo*, organisateur de soirées à Bruxelles.

« En Belgique, t’as beaucoup cette histoire de vouloir en acheter, puis vu qu’il y a une promo, on se met à plusieurs pour avoir 1g gratuit, que tu vas filer à tes potes. Puis t’as le “3 pour 2” et tu finis par avoir plus de drogue que ce que tu voulais initialement commander. »

Il faut quand même séparer les drogues. Certaines sont vraiment inhérentes à tous les milieux comme la cocaïne ou l’herbe et l’alcool. D’autres sont réservées à certains publics. « On a l’impression que le GHB c’est répandu parce qu’on en voit beaucoup autour de nous, mais je pense pas que tout soit aussi répandu que l’herbe ou la cocaïne », explique Samia*, qui s’occupe de la prévention pour un club. « Chez nous, les gros abus de drogue c’est souvent après les soirées, en after. La soirée est quasiment devenue l’apéro. Ça part après sur 24 heures d’after. Les gens chez nous arrivent parfois en fin de week-end, en after de l’after du vendredi. »

Le rapport européen sur les tendances et usages des drogues publié en 2021 rapporte également que parmi les usager·es admis·es en soins, la plupart consomment plus ou moins 3 à 4 jours par semaine des drogues comme la cocaïne, les amphétamines ou la méthamphétamine. Pire, 30% quasi quotidiennement. La preuve que la drogue n’est pas essentiellement une histoire de fête. « Aujourd’hui, c’est devenu plus facile de trouver un dealer de cocaïne qu’un dealer de weed, précise Théo. En Belgique, t’as beaucoup cette histoire de vouloir en acheter, puis vu qu’il y a une promo, on se met à plusieurs pour avoir 1g gratuit, que tu vas filer à tes potes. Puis t’as le “3 pour 2” et tu finis par avoir plus de drogue que ce que tu voulais initialement commander. » 

Selon Henry Fisher et Fiona Measham, qui ont co-écrit un article scientifique sur le sujet, Night Lives : Reducing Drug-Related Harm in the Night Time Economy, l’expression « dance drugs » était au départ utilisée pour décrire les drogues prises par les gens quand ils dansaient dans des raves. À la fin des années 1990, la terminologie est passée à « club drugs », vu que les gens prenaient de la drogue dans les boîtes de nuit et pas seulement dans des fêtes non autorisées dans des hangars désaffectés ou en plein air. Ce changement reflétait également l’élargissement de la palette des drogues consommées : les « dance drugs » secondaires (comme la kétamine, la weed, le GHB/GBL) viennent s’ajouter, à partir de la fin des années 1990, aux « dance drugs » primaires (l’ecstasy, les amphétamines et le LSD), non pas pour exacerber les sensations, mais pour renforcer ou atténuer les « dance drugs » primaires. Plus récemment, l’expression « party drugs », ou drogues festives, a été privilégiée en raison de l’élargissement des lieux de consommation de ces drogues en dehors des boîtes de nuit : festivals, fêtes sur la plage, after ou soirées posées. Même si l’usage de drogues à des fins récréatives est étroitement lié à la contre culture, il ne s’y limite plus. De nos jours, la consommation de drogue dans le but d’exacerber les expériences récréatives se généralise finalement de plus en plus, de même que les sorties et la consommation de substances psychoactives pour améliorer l’expérience récréative ne se limitent plus aux fêtes du week-end. Aujourd’hui, toute une série de contextes sociaux sont de bonnes occasions pour consommer.

L’effet « première fois » qui met une claque à tout le monde

« Je trouve qu’il y a beaucoup de choses qui ont changé dans la nightlife, les gens doivent apprendre ou réapprendre à faire la fête, poursuit Samia. Notre clientèle a beaucoup changé : avant c’était plus les 25-35 ans. Maintenant ça commence à plus jeune, 18-25. » Du fait des confinements successifs, beaucoup de jeunes qui ont 18 et 19 ans commencent à sortir pour la première fois sans faire attention aux basiques.

Les jeunes de 18 ans en avaient 16 quand le confinement est arrivé, et ont commencé à consommer des trucs seul·es dans leur coin. Quand on parle de prévention ou de réduction des risques à ce sujet, le panel d’invité·es du Listen! est loin de faire consensus. En ce qui concerne la génération pré-Covid, on a tou·tes un peu exploré, mais en suivant une réelle évolution de l’expérimentation : peu à peu, dans les soirées apparts, les bars, les petites soirées puis les gros festivals. Avec la génération actuelle et la situation particulière liée à la pandémie, davantage de jeunes ont fait le grand écart entre le fait d’être chez les parents puis ensuite se lâcher dans des soirées de 2 000 personnes. J’ai personnellement pu voir des personnes plus jeunes que moi foncer tout devant, les pupilles qui vrillent, sans enlever leur veste à peine les portes ouvertes, à 23 heures. Il y a eu une surexcitation lors des déconfinements, mais ça semble s’être calmé depuis, selon les gens du métier en tout cas.

Mario* est organisateur de raves à Anvers. « Nous c’est un peu différent, c’est en extérieur, un peu en mode free party, dit-il. Du coup, on a deux générations différentes qui viennent : à 23 heures, les 16-18 ans, et puis ensuite, vers 2h, les 25-35. Ce qu’on essaye de faire c’est de sensibiliser le jeune public à consommer leurs propres drogues, s’ils sont amenés à en consommer. » Le risque dans ces soirées, c’est le regroupement de générations différentes, qui seraient amenées à consommer ensemble. En gros, le message de Mario est clair : vous n’avez pas la même expérience, vous n’avez pas le même âge, vous n’avez pas la même résistance, donc faites gaffe. C’est pas forcément une question de mauvaise influence, mais les mauvais côtés de l’esprit de partage véhiculé par la fête peuvent faire des ravages.

De nouvelles pratiques liées à la drogue (et donc de nouveaux risques)

Ne me faites pas dire ce que j’ai pas dit, les plus âgé·es sont tout autant exposé·es à ces fléaux. C’est pas parce que ce sont des habitué·es que le risque diminue. Vous pouvez prendre de la drogue tous les jours, « gérer ça » et d’un coup vous dire « Ah cette soirée, ça va être un truc de malade, je me lâche. » Et puis faire de la merde.

Ces dernières années, les soiréesqueer notamment – ont vu arriver en masse le tristement populaire duo GHB/GBL. Il y a beaucoup de flou autour de ça. Entre GHB et GBL, les gens pensent prendre l’un alors que c’est l’autre sous une appellation commune « du G ». Et c’est dangereux d’entretenir ce flou. Le GBL peut s’acheter sur des sites de carrossiers, c’est du produit d’entretien légal, utilisé comme solvant-décapant. C’est une fois qu’il est absorbé par l’organisme qu’il devient du GHB. 

« Le GHB, dans 2-3 ans ce sera la drogue base du clubbing, sauf que ça sera un peu bizarre comme façon de danser en club si tout le monde est sous G. »

« Il y a 20 ans, il n’y avait que du GHB, puis le GBL est arrivé, explique Samia. Et depuis quelques années, en soirée, on  commence à voir des gens prendre des doses ridiculement petites. À cause de nos habitudes avec le GHB, on avait l’habitude de faire des doubles doses de GBL. ». Vous pensez avoir du GHB en main, mais vous risquez de faire une surdose directe. Les gens ont compris maintenant l’importance de prendre une pipette pour millimétrer sa dose. Mais il y a quand même trois gros soucis : l’alcool, qu’il ne faut surtout pas mélanger avec ; prendre sa dose toutes les heures fait en sorte qu’au bout de la Xème heure, votre système n’a pas eu le temps de digérer… et c’est la surdose ; surveiller sa boisson et ne pas faire en sorte que quelqu’un d’autre se serve dedans. Sans parler de l’épidémie de spiking qui touche le monde de la nuit.

« Il y a trois ans, on disait que la kétamine allait se démocratiser partout, et c’est arrivé », m’explique Fabrice*, qui travaille pour une ASBL qui s’occupe de la prévention liée aux drogues. « Le GHB c’est pareil, dans 2-3 ans ce sera la drogue base du clubbing, sauf que ça sera un peu bizarre comme façon de danser en club si tout le monde est sous G. » Dans certains pays, les clubs ont fait du GHB l’ennemi public numéro 1 – si on en trouve sur vous, vous êtes banni·e. À Berlin, c’est l’exclusion pour 3 mois, 1 an ou définitivement.

Au niveau de l’ecstasy, on a récemment trouvé des pilules qui viennent d’Afghanistan faites à base de méthamphétamine – les Punisher, notamment. « Avant le confinement, les produits étaient vachement forts : coke ou kétamine, poursuit Fabrice. Depuis qu’on a déconfiné, c’est du jamais vu, c’est comme dans les années 2000. On se retrouve à tester des pilules à 40-50mg aujourd’hui. Avant elles montaient jusqu’à 200mg. Et aujourd’hui tout se mélange, du coup sur 10 taz t’en as huit qui seront peut être à 40-80mg et deux qui seront à 160mg. C’est super dangereux pour les consommateur·ices. Il y a cinq ans on s’est déjà retrouvé avec des pilules à 280-300mg » En cause, les superman bleu, les pyramides, les têtes de pharaon orange avec marqué « WARNING 330mg » – pour écrire autant sur une pilule, faut le faire. Quoiqu’il en soit, Fabrice me confie qu’à l’ABSL où il travaille, des personnes habituées à la consommation d’ecsta se plaignent parfois de tachycardie ou de paranoïa.

Outre ces drogues, on ne pointe pas forcément du doigt les gens qui titubent à cause de l’alcool, mais ça reste un des gros problèmes, notamment quand ça débouche sur la surconsommation et les comas éthyliques. « Les urgences de Saint-Pierre m’ont demandé de parler au personnel au niveau des abus de consommation, rapporte Fabrice. Il faut rappeler qu’il y a plein de comas éthyliques en semaine liés à l’alcool, les gens ont tendance à oublier que l’alcool aussi est une drogue et c’est tout aussi grave. D’un autre côté, à partir de jeudi jusqu’à dimanche ou lundi, les différents services travaillent davantage sur des psychoses toxiques sur Tina [la méthamphétamine, NDLR]. » 

La discussion sur la polytoxicomanie est importante. Quand chacun·e vient avec son produit, met tout sur la table et que tout le monde prend ce que tout le monde a à proposer, on se retrouve avec cinq, six ou sept drogues différentes consommées sur les dernières 24 heures. Pour les intervenant·es de la conférence au Listen! Festival, c’est quelque chose, dans la prévention, dont on ne prend pas énormément en compte. Sur internet, il y a des sites comme TripSit qui évaluent les effets des mélanges de drogues dans le corps.

« J’ai assisté à des scènes de gens qui baisaient et qui étaient presque dans le coma en même temps. Il y a une dimension presque suicidaire dedans. Et souvent, on oublie les limites, notamment la capote. »

Une des dernières nouvelles pratiques de la scène, c’est le chemsex (pour « chemical sex ») ou P’n’P (Party and Play), qui consiste à baiser sous produit – le plus souvent sous cocaïne, GHB/GBL, kétamine, méthamphétamines (crystal meth) ou cathinones (méphédrone, 4-MEC, 4-MMC, etc.). Le chemsex englobe tout un processus, et c’est donc pas juste histoire de prendre une pilule en soirée et rentrer chez soi pour niquer. Votre soirée, vous la préparez en mode « On va aller chez des potes avec plein de drogues pour baiser ». Il existe des formes de pratiques quasi industrielles qui se créent, avec des applis de rencontres qui proposent ce genre de plans – plutôt tournés orgies. « J’ai assisté à des scènes de gens qui baisaient et qui étaient presque dans le coma en même temps », m’explique Thibaut* qui tient des groupes de sensibilisation liés au chemsex. « Il y a une dimension presque suicidaire dedans. Et souvent, on oublie les limites, notamment la capote. »

Quelle que soit la drogue, les gens s’identifient dans les consommations ; il y a un sentiment d’appartenance. Dans les soirées où ça prend du G, ne seront pas invités les gens qui n’en prennent pas. Ça devient exclusif, presque sectaire. Même chose avec la méthamphétamine. Il y a la volonté de ne pas se mélanger avec les gens qui n’ont pas d’expérience. « J’ai des jeunes de 22 ans qui se retrouvent pour la première fois dans une orgie qui s’injectent, qui essayent le GHB, pas parce qu’ils en ont spécialement envie mais parce que c’est une norme pour appartenir à ce groupe social », détaille Thibaut. Avec le G ça va au-delà du chem sex, c’est l’ambiance du dancefloor. Il y a des clubs qui en font leur marketing, on y va parce que les dark rooms sont exclusivement réservés à ça.

Les prix aussi ont évidemment leur importance concernant les nouvelles habitudes. « Avant, on avait le gramme de méthamphétamine à 150 euros. Cet été, t’en trouvais à 80 euros », détaille Fabrice. Pareil pour le 3MMC, Cathinone et tout ce qui est produit à la frontière avec les Pays-Bas. On constate qu’en termes de drogues, on a une évolution constante. Les producteur·ices vont changer une isomère, soit pour sortir de l’illégalité soit pour proposer un produit nouveau mais qui comporte son lot de précautions et de risques. En changeant les molécules, les designers drugs changent leur constitution. En parlant avec Fabrice, il me donne un exemple concret : « À une époque où la kétamine était déjà illégale, t’avais la méthoxétamine qui était légale en Angleterre. On arrive sur des personnes qui ont des addictions de produits nouveaux et quand on essaye de les orienter vers un parcours de soins, on est confronté à une idéologie assez ancienne du suivi qui sépare en deux héroïnomanes et cocaïnomanes, et c’est tout. »

Ne jamais cesser d’expérimenter dans son approche pour trouver des solutions 

Lors de la table ronde, j’entends d’une oreille une conversation parallèle : « Faut arrêter de croire qu’on est trash si on accepte le fait qu’il y a de la drogue dans nos soirées, on est juste pas dans le déni. » Si beaucoup d’organisateur·ices ont peur d’innover en matière de prévention, c’est parce que cette dernière est encore vue comme l’acceptation d’une récurrente consommation de drogue dans leurs lieux que ça bloque : reconnaître que ça prend de la drogue dans son événement, ça ne plaît ni aux équipes de comm’ ni aux pouvoirs publics. Or, ce déni est une erreur majeure. Car fermer les yeux n’est ni bon pour faire avancer les choses ni pour trouver des moyens d’action nouveaux. Ni pour proposer des solutions.

« On a toujours un espace en backstage pour accueillir les gens trop fracass et les filles qui se sont fait emmerder aussi. C’est un espace à l’abri qui permet de décanter la situation, prendre l’air et libérer la parole. »

Heureusement, certain·es innovent dans le milieu. Outre les fameuses capotes à verre – les couvercles pour protéger ses boissons -, qui peuvent tantôt servir à éviter que l’on mette quelque chose dans votre conso ou au contraire que quelqu’un ne boive votre cocktail ++, des initiatives plus ou moins directes sont prises pour limiter la casse et responsabiliser plutôt que d’interdire.

Si à Berlin, le GHB est strictement interdit, ce n’est pas forcément l’approche la plus prisée parmi les organisateur·ices belges. Ne faudrait-il pas traiter ces nouvelles consommations comme toute drogue : donner accès à l’information, sensibiliser, fournir des pipettes (ou tout autre équipement de réduction des risques). « C’est plutôt à chacun·e de trouver sa réponse, me dit Samia. En amont, on essaye de diffuser des messages. On ne va pas faire semblant de mettre en place une politique no drugs, parce que ce n’est pas la vibe qu’on a envie de passer. On essaye de faire des messages positifs du style : “Ton G-hole n’est pas sexy” ou “Retiens-toi, ne dépasse pas tes propres limites, l’eau a toujours été gratuite”. » En parlant aux gens, en identifiant les comportements à risque, les personnes à risque, il est plus facile de personnaliser son approche et trouver des solutions adaptées. Le monde de la nuit est un espace de fête, de tolérance et d’ouverture, mais faites attention aux autres. « J’y croyais pas vraiment parce que c’est parfois des sales gosses, mais on a vu des résultats assez rapides, poursuit Samia. Il y avait une réaction globale de care. » Et puis, comme partout, l’exclusion ne marche pas ; ça ne fait que reporter le problème ailleurs.

Le club, la teuf, la rave et l’after doivent rester des endroits hédonistes au possible. L’objectif c’est d’avoir une bonne soirée, dans de bonnes conditions. « On a toujours un espace en backstage pour accueillir les gens trop fracass et les filles qui se sont fait emmerder aussi, précise Théo. C’est un espace à l’abri qui permet de décanter la situation, prendre l’air et libérer la parole. » Les relax zone, de plus en plus populaires dans certains événements, sont des endroits où l’on peut se reposer, faire une pause, se rencontrer mais aussi consommer. Comme pour les salles de consommation en ville, les relax zones offrent à la fois la possibilité de réduire les risques liés aux lieux de prise, à la précipitation, au matériel qu’on utilise, et c’est aussi un bon moyen pour éviter les accidents de surdose ou désencombrer l’accès aux toilettes, par exemple.

Les clubs sont pas mal observés par les pouvoirs publics et, malheureusement, ceux qui prennent la décision de mettre en place des stands de prévention ou ces initiatives précédemment cités sont vus comme des trous à after ou des repaires de drogué·es… et ça rend plus difficile – voire impossible, selon l’expérience des intervenant·es – l’obtention future de subventions, d’autorisations…

Informer, éduquer, sensibiliser

Tout passe par la communication, et encore plus en matière de prévention. « Dans nos event’, au moment de publier la line-up – ce que beaucoup de gens vont suivre comme publication -, on publie aussi des guidelines qui sont très positives, pour encourager les gens à venir faire la fête mais aussi faire des rappels catchy et courts », explique Théo. Une façon d’inclure tout le monde sans pointer du doigt les mauvais·es élèves. Parce qu’une seule approche ne suffira pas à régler ce type de problématique, tout un tas d’acteur·ices peuvent apporter leur soutien, modifier leur comportement, devenir des personnes ressources pour une fête plus saine.

Mais comment distribuer les rôles pour faire ce travail ? 

De plus en plus d’orgas mettent en place une awareness team. En termes législatifs, l’équipe de prévention n’a pas le droit d’intervenir si ses membres n’ont pas une formation de premiers secours. Il faut créer des procédures de rapport entre les équipes awareness et la sécurité, en plus de s’occuper de leur formation

Bien sûr, la formation des agent·es de sécurité reste aussi hyper importante. D’après mes recherches,  il n’y a rien à ce sujet sur les sites de formation d’agent·es de sécurité dans l’événementiel. Certain·es de ces agent·es débarquent dans le milieu sans avoir entendu parler ni de drogue ni d’harcèlement sexuel. « On devrait faire des meetings avec des gens de la sécurité, explique Samia. Requérir des formations supplémentaires aux agences pour ces types d’événements. » Pour ça, les orgas ont souvent besoin d’engager des personnes assermentées – label régional ou national –, mais ces mêmes personnes, qui coûtent plus cher, et ne sont pas forcément mieux formées selon les personnes présentes à la table ronde.

« C’est assez particulier, notamment dans les soirées gay, remet Samia. Tu sens que certains ont de l’expérience et qu’ils savent gérer les foules. Pour d’autres, c’est déjà compliqué de suivre les directives d’une femme. Ces gens ne sont absolument pas formés à ça, il ne faut pas leur jeter la pierre, ils ne s’amusent pas. Ce qui serait super efficace, c’est de les sensibiliser. » Ça peut se traduire sous différentes formes. Quand s’est posée la question : « Qu’est ce qu’on attend de la sécu’ ? » voici quelques pistes qui sont ressorties lors de la rencontre :

  • Faire en sorte que la sécurité soit invisible (et pas oppressante). 

Vous voyez ces soirées où les types viennent se mettre à côté du DJ Booth et sont hyper molosses/gorilles ? Difficile de créer un délire sympa. Il faut que ce soit des personnes conscientes de ce qui peut se passer dans un club. La sécurité ne doit pas faire peur, elle doit rassurer. On est dans une sphère privée où tout le monde vient faire la fête. Les dérapages, ça arrive mais c’est pas une raison pour gâcher le plaisir de tout le monde en restant planté·es devant la scène, qui plus est aux meilleurs spots pour danser.

  • Mettre en place un modèle qui évite de dégager les gens à la première remarque. 

Et donc être davantage dans le dialogue. Le rôle de la sécu n’est pas d’être une extension de la police. Les gens devraient pouvoir aller vers eux en toute conscience et se sentir en sécurité. Même s’il y en a qui savent très bien faire ça, il serait peut-être temps de passer à des équipes plus inclusives, avec plus de femmes.

  • Désescalader les confrontations.

Dans les festivals notamment, on se rend compte que les pires situations sont liées aux forces de l’ordre. On a besoin de modules de sensibilisation avec la police, les bénévoles, la sécurité pour que tout le monde soit briefé·e de la même façon. « On a eu des cas de personnes qui étaient complètement défoncées sous carton, ultra illuminées et difficiles à contrôler, et les flics avaient peur, raconte Fabrice. Du coup, ce qu’ils faisaient c’est de se mettre à quatre sur une personne, la menotter et lui hurler dessus… »

C’est un message pour les organisateur·ices : il faut réunir ses équipes avant la soirée et les briefer, leur rappeler les situations probables (notamment au niveau de la drogue, évidemment) et leur dire qu’on ne peut pas, en tant qu’individus, passer au-dessus des politiques de l’orga.

C’est difficile de casser les habitudes des personnes qui sont parfois là depuis plus de vingt ans en tant que sécu’ dans des événements. Dans un monde parfait, il faudrait faire un briefing chaque weekend pour rappeler les règles, parce que chaque soirée est différente et nécessite une attention particulière. La plupart des gens de la sécu sont de chouettes types mais tout le monde a besoin d’une piqûre de rappel. Le fait d’avoir une équipe awareness qui fasse tampon entre les fêtard·es et la sécurité, ça aide aussi ; ça les recentre sur leur travail de sécurité et ça peut les délester d’une gestion de personnes un peu trop arrachées. À suivre.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intervenant·es

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