Que se passe-t-il ?
Le géant britannique de la pétrochimie Ineos prévoit de construire une nouvelle implantation dans le port d’Anvers pour y produire de l’éthylène et du propylène ; essentiels à la fabrication de plastique. Le nouveau site de production serait donc composé d’un craqueur d’éthane pour l’un et d’une unité de déshydrogénation du propane pour l’autre.
Depuis que l’accord entre Ineos, la ville d’Anvers et le gouvernement flamand a été finalisé il y a deux ans, le projet « Project One » s’est heurté à l’alerte de plusieurs organisations environnementales telles que Greenpeace, Extinction Rebellion ou Ineos Will Fall, qui s’inquiètent de l’impact qu’aura cette entreprise sur la nature et le climat. La potentielle utilisation de gaz de schiste suscite notamment de vives réactions.
Pourquoi on s’inquiète
Le profil du PDG
Après des mois de négociations entre le PDG d’Ineos Jim Ratcliffe et les principaux candidats de Rotterdam et d’Anvers, le Britannique a choisi de s’installer en Belgique en janvier 2019. Les activistes du climat ont immédiatement réagi. Il faut dire que Ratcliffe n’est pas une personnalité irréprochable. En plus d’être l’un des hommes les plus riches du Royaume-Uni (même si domicilié à Monaco), il est aussi propriétaire de plusieurs terres en Islande. Ce milliardaire pro-Brexit a également lutté contre la taxe climat et d’autres lois mises en place pour protéger l’environnement.
En plus, il ne cache pas qu’il investit dans une entreprise polluante et achète en même temps des terrains naturels vierges et non-exploités pour que les gens s’y rendent par la suite. Sur la chaîne islandaise RÚV, il avait déclaré : « Il y a une sorte d’unicité des lieux non touchés par les êtres humains. Il y aura une valeur, parce que les gens aiment aller dans des endroits qui ne sont pas encore exploités. » De quoi faire peur niveau préservation de la nature.
Risques de séismes et de contamination des eaux
« Project One » voudrait transformer le gaz de schiste des États-Unis dans le port d’Anvers en matières premières pour l’industrie du plastique. Pourquoi ce processus est-il si polluant ? D’abord parce que pour extraire le gaz de schiste, un puits doit être foré. De l’eau, du sable et des produits chimiques doivent ensuite être injectés dans le puits à très haute pression, de sorte que la roche-mère (qui contient le gaz de schiste) développe des fissures qui permettent au gaz de s’échapper.
Mais les produits chimiques utilisés à cette fin polluent le sous-sol, qui devient instable à cause des fissures, ce qui peut provoquer de petits séismes. De plus, des études montrent que les eaux souterraines autour d’une telle installation de fracturation sont souvent contaminées par du méthane, ce qui nuit à la nature, à notre santé et celle des animaux.
40% pour des emballages jetables
Ineos fait valoir que sa nouvelle usine de plastique sera plus innovante que la moyenne des usines de plastique en Europe et incitera donc les autres usines à moderniser leur processus de production. Mais dans un article du magazine MO*, Olivier Beys du Bond Beter Leefmilieu affirme l’inverse. Selon lui, les pratiques d’Ineos ne vont pas rendre les autres usines obsolètes ou superflues, mais seulement baisser encore plus le prix du plastique et développer davantage son marché.
Ineos défend également l’idée que le « Project One » n’émettra que la moitié du CO2 généralement émis par des usines de plastique similaires, mais omet tout de même de mentionner que 40 % de tout le polyéthylène et le polypropylène en Europe (plastiques dont Ineos fournit la base) est utilisé pour les emballages jetables. C’est ce qu’indiquent les chiffres de PlasticsEurope, l’association professionnelle européenne qui représente les producteurs de matières plastiques.
Pourquoi on ne s’inquiète pas
Ineos voulait travailler en trois phases pour le « Project One ». Le géant de la chimie comptait défricher 55 hectares de forêt (première phase) pour construire l’usine de propane qui produit du propylène (deuxième phase) et le craqueur d’éthane qui produit de l’éthylène (troisième phase).
Fin octobre 2020, Ineos a reçu l’autorisation de commencer la déforestation de la part de la ministre flamande de l’environnement, Zuhal Demir (N-VA). Cependant, quatorze organisations environnementales dont ClientEarth, Bond Beter Leefmilieu, Natuurpunt, Klimaatzaak, Grootouders voor het Klimaat, WWF België et Greenpeace, ont réagi à sa décision et introduit un recours auprès du Conseil du contentieux des permis. Celui-ci a fait savoir qu’Ineos n’avait pas évalué équitablement tous les impacts environnementaux. Le Conseil s’est donc prononcé en faveur des organisations environnementales, et a récemment suspendu le permis de déforestation. Ce faisant, le Conseil semble approuver les critiques de la part des organisations environnementales, celles-ci estimant que le permis octroyé à Ineos n’expose qu’une partie de l’impact total du projet.
Bref, on s’en inquiète ou pas ?
Oui et non.
Après qu’Ineos se soit vu refuser un permis de déforestation, le géant de la pétrochimie a décidé de suspendre momentanément la construction de l’usine de propane. La question est donc de savoir si la construction aura lieu au final. L’annulation signifierait que la moitié du « Projet One » initial ne sera pas réalisée. Mais quoiqu’il en soit, le projet de la construction du craqueur d’éthane est toujours sur la table.
En attendant, les réglementations européennes sur l’utilisation des plastiques sont de plus en plus strictes. Des voix s’élèvent pour dire qu’au moment où le craqueur d’éthane sera terminé et mis en service, les investissements initiaux d’Ineos ne seront plus rentables, en raison des réglementations européennes plus strictes sur les plastiques.
En parallèle, la population belge est de plus en plus consciente du problème. Outre les groupes d’action comme Extinction Rebellion et Ineos Will Fall, sept artistes anversois·es – Charlotte Dumortier, Karen François, Cazzimir Meulemans, Fred, El Neoray et Rein Vyncke –, ont uni leurs forces pour réaliser des stickers de protestation, dénonçant le « Project One ». Une campagne de distribution a été lancée par des militant·es et les autocollants sont maintenant partout dans les rues d’Anvers.
Reste donc à voir si Ineos trouvera suffisamment de soutien pour donner naissance à ce fameux craqueur d’éthane.
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