La question ici n’est pas de savoir si c’est souhaitable ou non, mais d’attirer l’attention sur l’impérative nécessité d’un véritable travail d’acceptabilité sociale à produire en la matière. À défaut d’un tel travail, on risque de tomber dans une version mise à jour du fameux discours sur la nécessaire adaptation que l’on entend depuis les années 1980, mais cette fois liée à la transition écologique, mêlée à des messages culpabilisants, et empreints de mépris social, en rajoutant la maison individuelle à la célèbre phrase de Benjamin Griveaux, alors porte-parole du gouvernement, qui parlait en 2018 “des gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel”… pour se rendre dans leur pavillon de banlieue pour regarder les émissions d’Hanouna. Une autre option est de recourir à la “pédagogie des catastrophes” (Denis de Rougemont) ou à l’“heuristique de la peur” (Hans Jonas), ce qui tend à générer des angoisses, mais pas à provoquer des actions dans la plupart des cas.
Le rêve par excellence des Français remis en cause
Pour une grande partie de la population, en effet, ce type de discours d’adaptation n’est plus audible, car, derrière ce discours, elle se dit: “Qu’est-ce que je vais perdre encore?”. Et en l’occurrence, ce qui est remis en cause par Emmanuelle Wargon, c’est tout simplement le rêve par excellence des Français de devenir propriétaire d’une maison individuelle avec jardin, en particulier dans une petite ville. Rêve qui a été d’ailleurs exacerbé par les différents confinements, comme on a pu l’observer avec la forte demande de résidences de ce type depuis cette période. Différentes études réalisées par l’institut de sondage OpinionWay pour SeLoger indiquent ainsi que “plus de la moitié des acquéreurs recherche une maison, tandis que les appartements n’attirent qu’un acquéreur sur quatre”.
Celles et ceux qui défendent la transition écologique considèrent que c’est une nécessité absolue et qu’il suffit, pour que les choses changent, d’informer la population, voire d’éveiller les consciences en lui faisant peur et en mettant en exergue les scénarios du pire si l’on ne fait rien. Malheureusement, on voit bien que cela ne marche pas. Comme le dit le spécialiste de la communication Thierry Libaert, “En matière climatique, la quasi-totalité des commentaires repose sur une croyance centrale: il faut informer les individus de la réalité du dérèglement climatique et de la gravité de ses conséquences. Toutefois, sur ce point majeur, les études s’inscrivent toutes autour de la même conclusion: la connaissance d’une information ne constitue pas le déterminant principal d’une modification des comportements”. Il évoque à ce propos une étude menée en 2008 par l’Université catholique de Louvain qui a montré qu’il n’existait pas de relation entre les informations diffusées en matière de changement climatique et les pratiques de consommation d’énergie. En clair, “Les ménages mieux informés sur les enjeux et facteurs de changement climatique ou sur les énergies renouvelables n’agissent pas de manière plus respectueuse de l’environnement”.
Entreprendre un travail d’acceptabilité de la transition écologique
À l’instar d’un projet d’infrastructure ayant un impact environnemental ou sur la vie de riverains, il paraît donc crucial d’entreprendre un travail d’acceptabilité de la transition écologique, même si l’on considère qu’elle est urgente et vitale, auprès des populations qui sont les plus susceptibles de subir son impact.
L’acceptabilité sociale est, en effet, le “résultat d’un processus par lequel les parties concernées conviennent ensemble des conditions minimales à mettre en place pour qu’un projet, un programme ou une politique s’intègre harmonieusement, à un moment donné, dans son milieu d’accueil” (Julie Caron-Malenfant et Thierry Conraud, Guide pratique de l’acceptabilité sociale: pistes de réflexion et d’action, Éditions DPMR, 2009). Cela vaut bien évidemment aussi pour la transition écologique.
Il convient également, comme le dit très bien Thierry Libaert, d’inscrire les discours sur la transition écologique dans un récit avec “un objectif qui puisse vraiment donner envie”, ce qui est loin d’être évident en ce qui concerne le logement.
Un accompagnement social pour les populations
Enfin, il apparaît indispensable de prévoir un accompagnement social pour les populations les plus impactées et/ou pour celles qui ont le moins les moyens de s’adapter à la nouvelle donne.
Si on ne le fait pas, il paraît assez évident qu’une partie de la population pourrait se braquer comme l’on fait les “Gilets jaunes” en 2018-2019. Avec le risque que la transition écologique ne soit assimilée par une partie notable de la population, notamment les catégories populaires, à des injonctions émanant de catégories favorisées –les “20%” étudiés par Monique Dagnaud et Jean-Laurent Cassely– injonctions qu’elles ne respectent d’ailleurs pas toujours elles-mêmes compte tenu de leur empreinte carbone souvent élevée, en leur confisquant leur rêve de devenir propriétaire d’une petite maison avec jardin alors que ces mêmes catégories vivent dans de grands appartements en centre-ville de grandes agglomérations et ont souvent une résidence secondaire à la campagne.
Il faut faire en sorte que, pour les catégories populaires, le “moins, c’est mieux”, ne soit pas assimilé à une forme de “descenseur social” alors que l’accession à la propriété était vue par ces catégories comme un objectif de vie et un symbole d’intégration à la société.
À voir également sur Le HuffPost: Voitures électriques, hydrogène vert, industrie décarbonée… les promesses écologiques de Macron pour 2030