Un immense « ouf » ! Au soir du second tour des élections législatives françaises, le Rassemblement national (RN), qui était aux portes du pouvoir, est finalement arrivé en troisième position.

Avec 182 sièges dans la nouvelle Assemblée, le Nouveau Front populaire (NFP) devance Ensemble, la formation macroniste qui peut se targuer d’en avoir décroché 168, et le parti de Jordan Bardella et de Marine Le Pen qui, en cumulant les votes pour les ciottistes, regroupe 143 sièges. Mais aucun de ces acteurs n’est proche de la majorité absolue, à 289 sièges.

Et malgré le soulagement, le RN réalise le meilleur score de son histoire : les 10 millions de voix qu’il a obtenues lui permettent de quasiment doubler sa présence dans l’hémicycle, lui qui comptait 88 députés sous la précédente législature, et « seulement » 8 en 2017. La participation atteint les 67 %, son plus haut niveau depuis 1997.

Le président de la République qui avait dissous pour obtenir « une clarification » après l’excellent score du RN aux européennes du 9 juin dernier, à 31 %, en est pour ses frais. Le front républicain a fonctionné à plein. Mais l’Assemblée nationale se trouve dans une situation inédite, avec trois blocs qui pourront chacun peser sur l’avenir politique du pays.

Le politiste Florent Gougou revient sur les enjeux et les résultats de cette séquence électorale à haute intensité émotionnelle.

Avez-vous été surpris par les résultats du second tour des législatives ?

Florent Gougou : Quiconque s’étant construit le monde politique décrit par les instituts de sondage pourrait être très surpris. Mais, en réalité, les rapports de force du premier tour ne disaient pas que le RN était capable d’avoir une majorité absolue ; ils ne disaient pas non plus quelle pouvait être l’ampleur du barrage contre le RN. Il n’aurait pas été surprenant que le RN arrive en tête, mais avec 50 sièges supplémentaires par rapport à ce qu’il a finalement obtenu.

Au premier tour, le RN a fait une poussée exceptionnelle dans son histoire électorale et obtenu ses plus hauts niveaux. Pour autant, cela représente à peu près la même chose que le total de la droite radicale au premier tour de la présidentielle de 2022 (le RN, à 23 %, Reconquête, d’Eric Zemmour, à 7 %, Debout la France, de Nicolas Dupont-Aignan, à 2 %).

Autrement dit, au premier tour de ces élections législatives, le RN a siphonné les formations les plus proches de lui (Reconquête a moins de 1 %) ; il arrive au second tour sans réserves de voix évidentes.

Ces apports au second tour auraient pu venir d’une grande dispersion des électeurs dont les candidats avaient été éliminés ou ne s’étaient pas maintenus. Mais ceux-ci ont trouvé une bonne raison de venir voter au second tour contre le RN.

Ce qui a été fondamental est l’entre-deux tours : la consigne donnée par les élites politiques – de gauche dès le soir du premier tour, de la majorité présidentielle au fur et à mesure de la semaine – a fonctionné, l’électorat s’est mobilisé pour « faire barrage ».

Est-ce la victoire du Nouveau Front populaire ou du front républicain ?

F. G. : Ce qui a joué à plein entre ces deux tours est la peur de l’arrivée du RN au pouvoir. Aux élections européennes, il n’y avait aucun enjeu de pouvoir. Au premier tour des législatives, c’était bien le cas, mais la question était : voulez-vous une alternance ?

Là, au second tour, la question posée était : « Voulez-vous du RN au pouvoir ou pas ? » Et au final, le RN n’arrive pas à transformer ses fortes progressions de voix en sièges. Or ce sont les sièges qui comptent, pas les voix.

« Au final, le RN n’arrive pas à transformer ses fortes progressions de voix en sièges. Or ce sont les sièges qui comptent, pas les voix »

Lors des élections législatives de 2022, le RN avait gagné la moitié de ses seconds tours lorsqu’il était opposé soit à la majorité présidentielle, soit à la gauche. Ce 7 juillet, il a gagné dans moins de 20 % des cas contre Ensemble, dans 40 % des cas face à la gauche.

Pour autant, cet échec du RN à remporter la plupart de ces duels de second tour ne doit pas empêcher de voir sa progression en sièges : il ajoute 50 sièges supplémentaires à son pactole de 2022, et arrive avec 143 députés au plus grand groupe de son histoire.

Par ailleurs, dans 39 circonscriptions, il n’a pas été question de front républicain, car elles ont été pourvues dès le premier tour pour le RN. Si l’on a l’impression qu’il a été battu hier, c’est aussi qu’on oublie qu’il a remporté ses fiefs dès le premier tour.

Le front républicain n’a cependant pas fonctionné de la même façon pour tous : il a mieux fonctionné en faveur de la majorité présidentielle, aussi bien chez les électeurs de droite et de gauche. Avec sa place centrale, c’est-à-dire au centre de l’échiquier politique, cette majorité a constitué un meilleur réceptacle de voix.

En dépit de l’insatisfaction que les résultats de ses politiques publiques provoquent dans l’électorat, elle n’entraîne pas le même effet repoussoir sur le plan idéologique que le NFP dominé par LFI ou la droite radicale dominée par le RN.

Les élites politiques et les électeurs ont utilisé les possibilités du mode de scrutin. Personne n’est dupe du fait qu’il y a deux tours, et que le second peut se baser sur des logiques différentes de celles du premier.

Ces résultats sont-ils le triomphe d’une forme de « en même temps », tant les lectures sont multiples pour chacun des blocs qui se dégagent ?

F. G. : Le verdict des urnes n’emporte pas une analyse aussi tranchée que cela pouvait l’être lorsque des majorités absolues se dégagent à l’Assemblée nationale. Pour toutes les forces politiques, il y a des aspects de satisfaction et de déception, qui dépendent largement du point d’où l’on observe les choses.

Si on prend pour point de comparaison les législatives de 2022, le RN est le principal vainqueur en raison de sa forte progression ; la gauche est arrivée en tête, avec une dynamique très favorable pour le PS et dans une moindre mesure pour les Ecologistes, mais un tassement de LFI ; et la coalition macroniste subit une défaite (elle n’a plus que 168 sièges contre 245 en 2022 et 351 en 2017).

Mais ces élections doivent aussi être lues à la lumière de la séquence dans laquelle elles s’inscrivent, séquence incluant les européennes et deux tours de législatives.

Depuis les élections européennes, le RN progresse, mais sa dynamique électorale bute sur le second tour et le front républicain. La majorité présidentielle, qui a obtenu 14,5 % aux européennes, est le deuxième groupe à l’Assemblée nationale, et dans une position où on ne pourra pas faire sans elle.

« Le NFP remporte une victoire en nombre de sièges mais celle-ci tient d’abord au front républicain »

Enfin, le NFP remporte une victoire en nombre de sièges, mais contrairement à ce que n’ont cessé de rappeler ses responsables, ce n’est pas son programme qui a été choisi. La victoire en sièges pour le NFP tient d’abord au front républicain.

On a beaucoup entendu, lors de la campagne électorale, qu’il fallait réformer le mode de scrutin. Le scrutin uninominal à deux tours, longtemps défendu car il permettait de faire barrage au RN, aurait pu favoriser son accession au pouvoir. Est-il urgent de changer de mode de scrutin ?

F. G. : Le front républicain a fonctionné hier soir mais personne ne peut garantir qu’il fonctionnera encore la prochaine fois. Au soir du second tour, on constate que l’Assemblée nationale qui en résulte aurait pu être produite par un scrutin proportionnel.

L’un des arguments qui restait en faveur du scrutin uninominal à deux tours – produire des majorités stables pour gouverner – ne marche plus compte tenu des rapports de force électoraux actuels en France. Le poids du premier groupe politique a encore diminué par rapport à 2022. On n’a jamais connu une telle configuration à l’Assemblée nationale sous la Ve République.

Pour toutes les personnes qui ont pour objectif de barrer la route au RN, la modification du mode de scrutin sera très haut dans l’agenda. On peut parier que cette question figurera en bonne place dans les négociations autour du programme d’un futur gouvernement sans le RN, quel qu’il soit.

Cette fois-ci, le RN a décroché 39 sièges au premier tour. Au bout d’un moment, le front républicain ne fonctionnera plus, car ce parti gagnera encore plus de sièges plus tôt, dès le premier tour. Avec un mode de scrutin à la proportionnelle, le RN obtiendrait 25 à 30 % de députés au sein de l’Assemblée nationale, comme aujourd’hui. Mais cela écarterait l’hypothèse d’une majorité absolue.

Vous avez publié début juillet dans AOC un article défendant l’idée qu’on assistait depuis 2019 à la stabilisation d’un nouvel ordre électoral, avec une tripartition dans l’arène électorale et une tripolarisation dans l’arène parlementaire. Les résultats d’hier soir semblent être une confirmation magistrale de cette proposition théorique…

F. G. : Je fais en effet partie des politistes qui défendent cette idée, et avec mes collègues, nous proposons de réserver le terme de « tripartition » à l’offre électorale, et de parler de « tripolarisation » pour l’arène parlementaire. Nous avons opté pour des critères statistiques simples pour mesurer ces phénomènes.

Si l’on prend l’arène parlementaire, nous retenons le seuil de 80 % des sièges : en cas de bipolarisation, la somme des sièges détenus par les deux premières forces suffit pour atteindre ce seuil ; en cas de tripolarisation, c’est la somme des sièges des trois premières forces.

Les résultats du 7 juillet sont très proches de cet idéal-type : les trois premières formations (NFP, ENS, RN) totalisent 493 sièges sur 577 soit 85 %. Les deux premières (NFP et ENS), 60 %. Au-delà des chiffres, on voit bien visuellement cette tripolarisation, avec trois coalitions électorales de taille quasi équivalente.

Cette analyse repose sur l’idée que nous avons là un nouvel ordre électoral, défini comme une nouvelle structuration de la compétition politique qui a une forme de stabilité qui se reproduit dans le temps.

Mais attention : cela ne signifie pas que cette structuration produit une vie politique que l’électorat et les responsables politiques considèrent comme stable ou rassurante. C’est pourquoi certains résistent à cette idée-là, dans le champ de la recherche notamment, en parlant par exemple de « rebipolarisation de la vie politique » ou en disant que « la tripolarisation est très fragile » ou encore que « le paysage politique français est toujours en recomposition ».

« L’idée que les forces politiques sont systématiquement en mesure de construire des majorités absolues à l’Assemblée nationale semble révolue »

Avec ces élections, on assiste à la poursuite d’un fonctionnement en place depuis les élections européennes de 2019, qui tranche très fortement avec le fonctionnement de la vie politique française jusque-là, et qui va construire de nouveaux sentiers de dépendance dont on ne voit pas bien là où ils vont – même si on voit déjà là où ils ne vont pas.

Par exemple, l’idée que les forces politiques sont systématiquement en mesure de construire des majorités absolues à l’Assemblée nationale semble révolue. Mais on ne perçoit pas encore tous les contours de ce nouvel ordre électoral.

Sommes-nous entrés dans l’ère des coalitions, que connaissent bien certains de nos voisins européens ?

F. G. : Ce serait mon hypothèse mais elle mérite d’être confirmée pour l’après 2024. Il faut d’abord qu’une coalition parlementaire se construise effectivement dans les prochaines semaines et que cette nouvelle manière de distribuer le pouvoir se confirme dans le temps, c’est-à-dire que les prochaines élections produisent les mêmes effets.

Il est possible que ce nouvel ordre électoral porte en lui les germes d’une parlementarisation forcée de la Ve République. En tout cas, c’est une des dynamiques des résultats des législatives de 2024.

Nous avons une Constitution qui, selon la concordance des majorités, peut produire un régime présidentiel ou un régime parlementaire, donc qui est adaptée à toute une série de fonctionnements.

En même temps, une partie de cette Constitution donne beaucoup de pouvoir au président de la République. Mais s’il existe actuellement un point de blocage, il est du côté de la culture politique des élites et des citoyens, qui n’est pas adaptée à un régime parlementaire.

Lorsqu’on entend « il est possible qu’on n’ait pas de gouvernement pendant trois mois », la réaction première en France est de trouver cela très étrange.

Si vous posez la question à des Belges ou même à des Allemands, ils vous diront « mais évidemment ! Négocier un programme de gouvernement, cela ne se fait pas en trois jours ».

Il est donc possible qu’aucun gouvernement ne soit formé dans les prochaines semaines et qu’un gouvernement démissionnaire assure la conduite des affaires pendant les JO ?

F. G. : C’est possible, oui. Et Gabriel Attal semblait plutôt à l’aise avec cette idée le 7 juillet, au soir [Après avoir remis sa démission ce lundi 8 juillet, le Premier ministre a été prié par Emmanuel Macron de rester « pour le moment » afin d’« assurer la stabilité du pays », NDLR].

C’est aussi le sens d’une partie des messages qu’a fait passer le gouvernement à l’issue des européennes : pour les JO, toutes les décisions ont été prises pour que les personnes en responsabilité n’aient plus qu’à piloter pendant l’événement.

Quel gouvernement peut sortir de ces résultats ?

F. G. : Je n’ai aucune idée de la formule gouvernementale à venir. Il ne faut pas sous-estimer le fait que la Ve République donne des pouvoirs extrêmement larges au président de la République, dont celui de nommer le Premier ministre. Emmanuel Macron a encore une forme d’initiative.

« Rien ne contraint Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre issu des rangs du Nouveau Front populaire »

La gauche a, ce 7 juillet, mis la pression en disant qu’il serait illégitime de ne pas nommer un Premier ministre issu des rangs du Nouveau Front populaire. Mais rien ne contraint Emmanuel Macron à le faire.

Il peut sortir de son chapeau des noms qui conviendraient à son camp, à une partie du NFP et aussi peut-être à certains membres de LR. Le pouvoir de nommer le Premier ministre reste une arme qu’a le Président entre ses mains pour décider des orientations politiques des années à venir.

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