Comme d’habitude, ce jeudi après-midi, les usagers défilent dans les locaux de l’association Pimms médiation, au cœur du quartier prioritaire du Blosne, à Rennes. Chacun expose le motif de sa visite à Chloé Delalande, postée derrière un mini-guichet. La jeune femme traite les cas les plus simples et invite les autres à patienter, pour voir l’un des collègues qui reçoivent dans de petits bureaux fermés, juste derrière. Comme d’habitude, les demandes sont variées.

« Souvent, il s’agit de formulaires à remplir, de mails à envoyer, d’espaces en ligne à consulter pour voir où en est le dossier… Les gens qui viennent éprouvent des difficultés avec le numérique, la langue française ou tout ce qui touche à l’administratif », dépeint la conseillère, qui travaille là depuis un an.

Il y a cette maman au français hésitant, qui cherche de l’aide pour ­comprendre le questionnaire envoyé par le collège de son fils. Chaouki, Espagnol de 55 ans, veut qu’on lui installe l’appli pour suivre sa demande de logement social. Christian, lui, se « débrouille » d’habitude, mais son dossier de retraite est bloqué par un bug sur FranceConnect. Quant à Nino, elle souhaite remplir une demande de pension d’invalidité, avec l’aide de Chloé Delalande. Cette Géorgienne de 59 ans vient souvent là pour ses démarches.

« Je sais faire, mais parfois, il y a des choses que je ne comprends pas, je veux être sûre. C’est super ici, tout le monde est gentil », apprécie-t-elle.

2 750 espaces labellisés

Le Pimms du Blosne est l’un des 2 750 espaces labellisés France services par l’Etat. Ces lieux sont nés du Grand débat organisé en 2019 en réponse au mouvement des gilets jaunes. Le président Emmanuel Macron avait alors annoncé la création « dans chaque canton » d’un « lieu où serait regroupé l’accueil pour le public de services de l’Etat ». Un genre de guichet unique sans rendez-vous, pour accompagner les démarches du quotidien, rassemblant neuf opérateurs nationaux tels France travail (ex-Pôle emploi), l’assu­rance maladie ou encore les impôts. Un éventail étendu le 1er janvier à MaPrimeRénov’, MaPrimeAdapt’ et au chèque énergie.

Les France services sont financés par l’Etat et les opérateurs à hauteur de 30 000 euros par an et par structure. Une dotation qui doit être portée à 50 000 euros d’ici à 2026, contre des coûts de fonctionnement estimés à 110 000 euros par an en moyenne

Portés dans les deux tiers des cas par des collectivités locales, mais aussi par des associations ou encore par La Poste, les France services ne sont que partiellement financés par l’Etat et les opérateurs, à hauteur de 30 000 euros par an et par structure. Une dotation qui doit être portée à 50 000 euros d’ici à 2026. Les coûts de fonctionnement sont estimés à 110 000 euros par an en moyenne, essentiellement pour payer les deux conseillers imposés par le label. Les collectivités et associations portant les France services doivent mettre la main à la poche pour compléter le budget.

Le réseau s’est développé très rapidement, sur le maillage existant du millier de Maisons de services au public (MSAP), moins ambitieuses et à l’offre hétérogène. Les espaces France services sont surtout implantés dans des bourgs de campagne et des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Aux « maisons » fixes s’ajoutent des bus et des permanences itinérantes.

« 99,4 % des Français ont un France services à moins de 30 minutes de chez eux », vante Alexandre Carlier, coordinateur de l’animation du programme au sein de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Utilité reconnue

Dans le top 5 des 18 millions de démarches accompagnées depuis la création figurent celles liées à la retraite, aux impôts, au RSA et à la prime ­d’activité, aux papiers d’identité et à la carte grise. 82 % ont été finalisées dès le premier passage, « preuve que le modèle fonctionne bien », fait valoir Alexandre Carlier.

« L’intérêt est indéniable et réside essentiellement dans la proximité et la dimension humaine de l’accompagnement », conclut le rapport d’information du sénateur centriste Bernard Delcros, réalisé en 2022.

Un point de satisfaction largement partagé : sur les 520 élus consultés à l’occasion de ce rapport, « seuls 6,5 % considèrent que le dispositif n’est pas pertinent ». « Tout le monde est absolument ravi d’avoir une présence physique », se réjouit Gérard Gagnier, vice-président de la communauté de communes du Val de Drôme, un territoire rural à la démarche volontariste, avec pas moins de quatre France services pour 31 000 habitants.

France services « ne résout pas tous les problèmes liés à la dématérialisation, un bouleversement sous-estimé » – Claire Lemercier, Centre de sociologie des organisations de Sciences Po

Le côté guichet unique est l’autre ingrédient du succès. « Les gens apprécient ce genre d’endroits, où tout le monde peut avoir besoin d’aller, sans forcément être en difficulté. Beaucoup de non-recours sont liés au côté stigmatisant de certains guichets », analyse Claire Lemercier, chercheuse au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po et coautrice de La valeur du service public (La Découverte, 2021).

Le programme a permis de toucher les habitants des quartiers prioritaires, qui concentrent 15 % des France services, alors qu’ils ne comptaient quasiment aucune MSAP. Pour le reste, peu d’outils permettent de connaître précisément les publics touchés.

« Le trait commun, c’est que 86 % ont des difficultés d’accès au numérique », indique Alexandre Carlier. Les plus de 55 ans sont majoritaires (56 %), mais pas de façon écrasante. « On a aussi des plus jeunes, qui ont plein d’applis sur leur smartphone mais ne savent pas faire une simulation d’aide au logement », relate Marina Peynon, coordinatrice des cinq France services de la communauté de communes de Chavanon Combrailles et Volcans, territoire « très rural » du Puy-de-Dôme.

« On pensait que seules les personnes âgées avaient un souci avec le numérique, mais c’est plus large. Ça s’ajoute à d’autres inégalités, liées à la pauvreté, au rapport à l’écrit, à la langue, au handicap… », souligne Claire Lemercier, pour qui France services « ne résout pas tous les problèmes liés à la dématérialisation, un bouleversement sous-estimé ».

Les inégalités d’accès demeurent

Si le programme fait consensus sur son utilité, nombre d’acteurs en pointent également les limites. Dans les quartiers prioritaires, les espaces sont si prisés qu’ils en sont parfois saturés, témoignent plusieurs sources. « On est pris d’assaut », illustre Séverine Pierre, directrice des solidarités à Pierrefitte (93), où le France services a vu son activité bondir de 280 % l’an dernier.

« Deux agents en QPV, où il y a une forte densité de population et des démarches qui nécessitent un accompa­gnement important, c’est très insuffisant. On est parfois obligés de recréer des accueils sur rendez-vous », regrette un autre acteur de terrain.

En milieu rural, la question de la mobilité a été « insuffisamment prise en compte », estime en outre le rapport du Sénat : même à moins de 30 minutes, « cette distance peut devenir rédhibitoire faute de moyens de transport suffisants ». « Ceux qui sont loin restent loin : il ne faut pas sous-estimer les gens non mobiles », pointe aussi Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France.

Manque de coordination

Surtout, parmi les principaux écueils remontés du terrain figure la relation avec les opérateurs (France travail, l’assurance maladie, la caisse d’allocations familiales…). « Cela fait partie des axes d’amélioration », reconnaît Alexandre Carlier. La charte nationale prévoit que chacun désigne un référent local, facilement joignable par les conseillers, pour prendre le relais sur les cas complexes. Mais dans son rapport, le Sénat pointe « des liens très inégaux d’un territoire et d’un partenaire à l’autre ».

« Il y a déjà des endroits où on dit : on va fermer l’accueil parce qu’il y a France services » – Daniel Agacinski, délégué général à la médiation auprès du Défenseur des droits

« Certains jouent le jeu, d’autres moins. Certains nous donnent un numéro direct, pour d’autres ce n’est que par mail », décrit Julie Vallée, agente dans le Val de Drôme. Conseillère dans un quartier populaire de Douarnenez, Sophie Laurent ne dispose que d’une messagerie « pour les situations bloquées ou urgentes. Parfois, nous non plus, on n’arrive pas à avoir un interlocuteur ».

« Le dispositif ne peut jouer son rôle sereinement que si, derrière, les opérateurs suivent », juge pourtant Daniel Agacinski, délégué général à la médiation auprès du Défenseur des droits.

Au-delà de la bonne communication, c’est l’articulation entre le premier niveau, que peuvent prendre en charge les France services, et le deuxième niveau, assuré par les opérateurs spécialisés, qui fonctionne mal.

« Dans la réalité, la différence est plus floue et chaque conseiller se met ses propres limites. Parfois, on a simplement envie d’aider les gens qui galèrent à contacter une administration ou qui sont dans l’urgence. Il devrait y avoir quelqu’un de spécialisé qui leur réponde, mais on pallie énormément », témoigne Sophie Laurent.

« On va tout le temps un peu au-delà de nos missions, sinon on laisse les gens sur le carreau », abonde Julie Vallée. Un « déport » accentué par la difficulté à contacter les opérateurs.

« Les gens n’essayent même plus d’appeler la CAF, ça ne répond jamais. Et ils ne savent plus qu’aux impôts, il y a encore quelqu’un qui reçoit tous les matins », raconte Salomé , conseillère dans la Nièvre. Pourtant, souligne-t-elle, « on ne peut pas remplacer ces administrations : on n’a ni l’accès aux dossiers, ni l’expertise ».

Ce « flou » dans la répartition des ­compétences peut « encourager la tendance de certains opérateurs à se décharger sur France services », avertit le Sénat, qui relaie une crainte largement partagée : que le programme « contribue à accélérer le mouvement de retrait des services publics des espaces ruraux ». « Il y a déjà des endroits où on dit : on va fermer l’accueil parce qu’il y a France services », déplore aussi Daniel Agacinski.

La multiplication des missions suscite également des inquiétudes. « Il y a une limite à la capacité des agents à absorber des nouveautés », souligne l’élu drômois Gérard Gagnier. Et de mettre en garde contre « une dégradation de la qualité du service » si le programme intégrait d’autres opérateurs, comme le suggère le rapport du Sénat.

Pour l’heure, considérant le maillage achevé, le gouvernement se concentre sur la consolidation du dispositif et le soutien aux solutions innovantes d’« aller vers » des publics encore plus éloignés des institutions. Il cible un million de démarches par mois, d’ici à 2025, contre 800 000 aujourd’hui. Un chiffre symbolique, pour une politique emblématique d’Emmanuel Macron.

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