CARRIÈRE – 26 décembre 1994. Je ne suis qu’un enfant et pourtant mon attention ne peut-être détournée de cet écran de télévision allumé dans le salon de mes grands-parents. C’est le jour de l’assaut où des hommes vêtus de noir neutralisent les terroristes du vol AF 8969. Ces héros en noir, ce sont des gendarmes. Je ne sais pas très bien qui ils sont, mais ils viennent de sauver des dizaines d’otages. Ils viennent de faire “le bien”. C’est ce jour-là que devenir gendarme m’est apparu comme une évidence à la limite de l’obsession. Elle ne m’a plus lâché.

Évidemment, mon attrait modéré pour le sport, mon tempérament et ma culture accrue au fil du temps sur l’arme m’ont fait affiner mes ambitions. Si le Groupe d’Intervention de la Gendarmerie National (GIGN) est prestigieux, si ses missions sont passionnantes, je n’ai pas la prétention de vouloir intégrer à tout prix cette unité d’élite. Je veux devenir militaire de la gendarmerie et mon adolescence, mon parcours personnel et scolaire ne seront orientés que par cet objectif. Ma mère m’encourage. Elle sait que mes études ne seront pas des plus longues. Au début des années 2000, aucun diplôme n’est exigé pour présenter sa candidature. Je ne suis pas un cancre mais j’attends patiemment ma majorité.

Ce matin de septembre, contrairement à la plupart de mes potes, je ne suis pas pressé de souffler mes 18 bougies ou de faire une fête énorme. Je passe le permis de conduire le matin même. A 14 heures, c’est donc tout fier et au volant de ma petite citadine que je me présente devant le commandant de la brigade de gendarmerie locale. C’est un vieil adjudant qui supporte assez bien le poids des années. Il voit très vite en moi la vocation qui m’habite. Je me suis cultivé sur la gendarmerie. Je connais tous les grades, toutes les missions, les différents corps, les avantages et les contraintes. Je suis également conscient de ma jeunesse. La maturité est là mais mon physique d’ablette et ma peau de nourrisson me trahissent. Ma carrière de sous-officier devra attendre que je fasse mes preuves comme gendarme adjoint volontaire. L’adjudant ne me donnera aucun conseil, juste une mise en garde : c’est un métier difficile qui me prendra beaucoup.

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C’était il y a une vingtaine d’années. Avec le recul, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Ce que les livres racontent est bien différent de la réalité. J’ai vite été plongé dans ce que la société réserve de plus sombre et de plus cruel. On pourrait appeler ça les coulisses de la vie. Cet envers du décor que tout à chacun, fort heureusement, n’a pas à côtoyer au cours de son existence.

Les années défilent à une vitesse fulgurante. Les expériences successives forgent le caractère, endurcissent la carapace et épaississent le cuir. A 22 ans, j’ai l’impression d’en avoir 30. Je ne me suis pas trompé dans mon choix professionnel. Ce métier est fait pour moi. Ces quelques années de gendarme adjoint ont été formatrices. Je me sens prêt. J’intègre une école des sous-officiers de la gendarmerie.

Mon parcours n’est pas exceptionnel mais j’en suis fier. J’ai fait le choix de la gendarmerie départementale. Cette gendarmerie de proximité dont les hommes connaissent leur village, les âmes qui le compose, leurs élus, qui n’a aucune autre ambition que d’être au service de la population. Évidemment, tout n’est pas rose. Certaines missions me passionnent plus que d’autres. Très vite, ma vocation et mon attrait pour le domaine judiciaire se confirment. J’aime enquêter, fouiner, être en quête de vérité. J’aime trouver, résoudre des énigmes et la récompense est toujours la même : l’esquisse d’un sourire, le « merci » d’un plaignant qui ne regrette pas d’avoir un jour franchi la porte d’une brigade de gendarmerie.

Le brigadier est le primo-intervenant. Il est le premier confronté aux drames, à l’horreur. Ses missions sont multiples, presque infinies. Il doit savoir tout faire, tout connaître, tout maîtriser. C’est le « super héros » de la gendarmerie. Mais chaque super héros a ses limites.

Au sein-même de l’institution existent plusieurs corps, plusieurs métiers, plusieurs spécialités. “Vouloir c’est pouvoir”. Je me suis répété cette devise des centaines de fois dans ma tête. C’est donc avec une solide expérience acquise par 15 années de brigade que j’ai demandé à intégrer une unité qui a pour mission de traiter les enquêtes judiciaires les plus complexes: la Brigade de Recherches, mon paradis.

La société a évolué avec moi. Dans le bon ou dans le mauvais sens, ce n’est pas à moi d’en juger. La communication a pris une place prépondérante où le « faire savoir » est devenu un enjeux aussi important que le « savoir faire ». Les réseaux sociaux ont fait leur apparition. Tous créés avec une bonne intention. Un peu comme l’invention de la dynamite qui devait avoir comme intérêt initial l’amélioration des conditions de travail des ouvriers des mines… Si tout ces moyens de communication ont facilité celle-ci, j’ai rapidement constaté le détournement de leur usage. Ils allaient devenir des outils de propagande, des aides à la délinquance, des pièges pour les plus naïfs ou qui veulent lire et voir ce qui les arrange. Bien heureusement, leur usage est aussi bénéfique que dangereux. Ils servent à dénoncer, à mettre en lumière des évènements ou des comportements qui seraient passés outre. Mais toute la haine qu’ils propagent et qui s’en dégage me dérangent énormément, en particulier sur Twitter. Sous couvert d’un anonymat qui n’existe pas ou peu, certains ont un comportement, des mots ou des actes qu’ils ne se permettraient pas en réalité.

L’injure, la menace, la diffusion de fausses informations sont devenus le fond de commerce de beaucoup de comptes, certains suivis par des dizaines voir des centaines de milliers de d’abonnés, les « followers ». A l’inverse, ce réseau est une mine d’informations, de personnalités, de joies, d’humour, de connaissances aussi multiples que variées. J’ai eu la chance de suivre des comptes Twitter qui, grâce à je ne sais quel algorithme, m’ont orienté vers d’autres comptes incroyables. Je ne faisais que « suivre » sans interagir derrière un pseudonymat le plus total. Et un jour, entre la frustration de ne pas échanger plus avec les bonnes personnes et le dégoût de voir les forces de l’ordre si salies, j’ai décidé de créer le compte JUST PJ (@Azurian8) où ma profession n’est pas cachée. Cela m’a permis d’échanger avec de belles personnes, en particulier des magistrats, greffiers, avocats, policiers, ou gendarmes mais pas seulement. J’avoue que mon compte n’avait pas plus d’ambition. Le devoir de réserve s’impose à moi depuis toujours. La limite peut être vite franchie sur les réseaux et je n’aime guère jouer avec le feu.

J’ai beaucoup appris sur Twitter. J’ai découvert les subtilités de professions que je pensais pourtant connaître. J’ai échangé avec de belles personnes même si peu connaissent mon identité. C’est une d’entre-elles qui ma donné l’envie d’écrire : @SirYesSir29. J’ai d’abord découvert ses Thread sur les métiers de la Justice, puis ses narrations de grande qualité sur l’exercice de ses professions successives : juge d’instruction et vice-procureur de la République. Elle a encouragé ses abonnés à en faire de même, à raconter leur métier, à partager leurs anecdotes. Très honnêtement je ne me sentais pas l’âme d’un écrivain mais, réflexion faite et devant le flot de haine et de mensonges qui salissent nos métiers, je me suis dit que ce pourrait être ma petite pierre à l’édifice. Je n’avais que la réalité à raconter. Que des histoires vraies. Que cela ne pourrait apporter que des éléments factuels à ceux qui doutent de l’ensemble des forces de l’ordre. Je n’avais que cela à répondre à ceux qui dénigrent et généralisent des faits isolés et qui blessent l’ensemble des personnels d’une profession.

Le 14 février 2021, sans aucune prétention, je me lance dans la narration du premier évènement marquant de ma carrière. Elle est d’une tristesse à la hauteur de ce qu’elle m’a touchée. Ce n’est pas une ligne éditoriale souhaitée, c’est juste la réalité de la profession qui veut que les choses qui nous secouent sont souvent des drames. A la publication, mes notifications s’emballent. Les like sont nombreux. La propagation du récit aussi. Les retours sont positifs. Pour moi, pour mes camarades, pour l’institution et pour ceux qui veulent connaître les coulisses de notre vie.

Je réitère l’écriture de mes douleurs professionnelles, de certaines de mes plaies, de quelques moments de joie aussi. Bien entendu, il est hors de question que les vrais personnages se reconnaissent. Je sais les traumatismes causés par certaines interventions. Je ne veux surtout pas prendre le risque de les raviver. Alors je modifie les dates, les lieux, les prénoms. Je m’arrange quelque peu avec la réalité pour qu’elle soit méconnaissable sans être fausse. Ma ressource est importante mais pas infinie : toutes les enquêtes évoquées doivent être jugées définitivement et les voies de recours épuisées. Pour ces raisons, elles datent toutes de plusieurs années. Le nombre de mes abonnés augmente à chaque publication au point d’en être parfois effrayé. Les commentaires sont toujours positifs et cette toute petite notoriété m’amène beaucoup de contacts privés. Certains sans intérêt ou farfelus. D’autres plus conformes à ce que j’attends de Twitter. Je peux aider, rassurer, renseigner, et orienter des candidats potentiels au métier de gendarme. A mon humble niveau, j’espère avoir suscité quelques vocations, j’espère avoir apporté un peu de vérité sur notre quotidien.

J’ai partagé plus d’une vingtaine de récits sur twitter. Le but initial était d’apporter une once de vérité sur ce magnifique métier. J’ai découvert le goût du partage et de l’écriture même si je ne m’associe pas ce talent. Ces histoires sont toutes gravées en moi. Chacune d’elle, de temps à autre, me hante et hantera mon sommeil jusqu’au dernier jour. C’est ainsi. J’ai appris à me détacher de ces drames sans quoi il aurait été impossible de poursuivre l’exercice de ce métier. L’écriture n’effacera pas les horreurs. Elle n’est pas mon exutoire. Elle n’a pas ce pouvoir sur moi mais peut-être l’a-t-elle pour les lecteurs. Je l’espère.

Une chose est certaine, je n’ai jamais regretté mon choix professionnel. C’est un des plus beaux métiers et un des seuls disponible H24, 365 jours par an pour assurer la sécurité des citoyens. En vingt années, je n’ai pas souvenir d’avoir croisé un camarade qui se levait le matin en ayant pour autre motivation que le bien commun. C’est le message que je veux faire passer.

Vous pouvez retrouver toutes les histoires, que Just PJ. a regroupées en threads sur son compte Twitter.

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