Voilà le pitch du premier long-métrage de David Depesseville qui plonge le spectateur dans un Morvan anachronique et conte une enfance sacrifiée avec une pudeur d’une violence sourde. On a évoqué avec le réalisateur quelques-unes de ses références.
VICE : Salut David, tout roule pour toi ? Le film est pas mal présent en festival, comment tu te sens ?
David Depesseville : Oui tout va bien, merci. Tout ceci reste assez confidentiel mais le film a bien circulé en festival, on était à Locarno, Marrakech, à Angers pour Premiers Plans la semaine prochaine.
Je suis obligé de te poser la question que tous les médias t’ont posé, que symbolise Astrakan pour toi dans le film ?
Écoute, il faut peut-être rappeler ce qu’Astrakan signifie. Ça désigne la laine noire des agneaux mort-nés. On récupérait cette laine à la naissance des agneaux pour en faire des manteaux, des manchons, et ça donnait une laine très particulière. C’est désormais interdit. Mais je cherchais le nom d’une matière pour évoquer tout de suite quelque chose de sensoriel. C’était important pour moi d’avoir un côté organique. Et ça faisait tout de suite un parallèle avec l’enfance sacrifiée que j’évoque dans le film.
Et puis, avec cette laine d’agneau, il y avait quelque chose de l’ordre du conte qui était évoqué pour moi également, le canard boiteux, le mouton à cinq pattes, et du coup ce gamin qui ne trouve pas sa place dans la famille. L’orphelin quoi. Cette scène finale, je l’avais dès le début avec l’agneau noir comme une métaphore filée tout le long du film. Enfin, ça évoque aussi presque le nom d’un pays imaginaire pour moi, et ça ouvrait le film vers quelque chose de plus grand qu’un simple récit social.
Nous, ça nous a évoqué un médicament.
Tu n’es pas le premier à me dire ça (Rires). Mais je n’ai pas pensé à un médicament quand j’ai commencé à imaginer le film.
D’où vient l’inspiration pour ton film ? D’un fait-divers, de ta vie ?
Au départ, il y a cette histoire des nourrices morvandelles qui accueillaient des enfants pendant des années. Et qui, avec les subventions touchées, rapportait de l’argent à la région. Moi qui suis originaire, en tout cas pas loin de cette région là, j’ai été imprégné par toutes ces histoires. Il y a quelque chose qui m’intéressaient dans les transactions entre argent et sentiments.
Cette femme, qui était pauvre, qui avait besoin d’argent, récupère un gosse. Gosse, qui a besoin d’affection, d’une famille. Je voyais dans ces transactions quelque chose de très étrange et c’est le tout premier point de départ du scénario du film. Après, quand on parle de l’enfance comme je le fais, il y évidemment des éléments autobiographiques qui y sont insérés. Il y a forcément des souvenirs que j’ai retranscrits au plus juste, mais le récit n’est absolument pas autobiographique.
Comment as-tu choisi les deux acteurs principaux ? Comment faire en sorte de rendre l’alchimie et la froideur de leur couple crédible à l’écran ? Est-ce que tu t’étais donné des consignes particulières ou tu as joué sur le naturel ?
Pour Jehnny et Bastien, ça s’est fait par casting. Bastien était sur le projet, même bien avant que la production commence. Je l’avais vu en casting sur une autre production et franchement j’avais adoré. Pendant les essais, il amenait une étrange douceur sur des choses assez dures, ça me plaisait vraiment beaucoup. Et puis un soir, j’ai entendu Jehnny à la radio sur France Inter et j’aimais bien ce qu’elle disait. J’adorais sa voix, et ça me plaisait beaucoup que ce soit également une chanteuse et donc j’ai demandé à ma directrice de casting de la rencontrer. Elle est arrivée la tête complètement rasée, elle était sublime. Avec quelque chose de très très dark donc parfait pour le rôle de Marie.
Et parallèlement je pressentais chez elle, quelque chose de très modeste, un peu « provinciale », donc j’ai voulu creuser ça. On a ensuite fait des essais entre Jehnny et Bastien pour voir comment ça fonctionnait entre les deux et l’alchimie a fonctionné naturellement. Le résultat est qu’on ne voit pas chez eux des espèces de Thénardier, de vieux morvandiaux caricaturaux. Ils ressemblaient vraiment à un couple qui s’était rencontré au lycée, qui se lancent dans la vie et qui n’ont pas beaucoup de moyens, le couple à l’écran fonctionne vraiment très bien encore une fois de manière très naturelle.
Comment le scénario remet-il en question les notions traditionnelles de méchanceté ? On pourrait presque utiliser la notion de « NéoThénardier », qu’en dis-tu ?
(Rires) Je trouve qu’ils ont rien à voir avec les Thénardier. Y’a plus de maladresse et de pudeur, que de la pure maltraitance ou de la méchanceté chez eux. C’était très important de mettre de la perplexité dans leurs caractères pour le film. Ils peuvent être excédés et mettre des coups de ceinture. Et dans le même mouvement, se saigner pour lui payer un voyage scolaire en classe de neige. Alors qu’ils ont pas une thune. Ils essayent de prendre soin de lui mais ils n’y arrivent pas. Ils sont maladroits. Donc « NéoThénardier », non, c’est beaucoup plus complexe que ça. J’espère que ce sera perçu à l’image. Ce n’est pas le couple traditionnel de maltraitants. Ça va plus loin. Le film montre des gestes violents et des gestes d’amour.
L’enfance Nue de Pialat est-elle une référence pour toi ? Les similitudes, y compris l’apothéose musicale de fin, sont-elle de subtils et jolis clins d’oeil ou s’agit-il d’un magnifique hasard ?
Oui clairement, c’est un film que j’aime vraiment beaucoup Mais j’ai un drôle de rapport avec les références. Mon but n’était absolument pas de faire le film de Pialat en 2023. Je veux faire un film d’aujourd’hui. Par contre, c’est un point de départ pour dialoguer avec ces films-là. Avec leurs formes, avec le récit mais absolument pas une fin pour y ressembler. L’enfance nue a été fondamental pour ma manière d’envisager Astrakan.
Mon pote avec qui j’ai vu le film m’a tout de suite parlé de Mes petites amoureuses de Jean Eustache, qui ressort d’ailleurs à peu près en même temps que ton film, encore une fois, merveilleux hasard, ou volonté dès la construction du film ?
Oui, étonnamment, peut-être même encore plus que L’Enfance Nue. Mes petites amoureuses est un film que j’adore. Je me suis carrément permis de reprendre la scène de la communion du film, j’ai repris cette scène comme une citation pour la continuer dans Astrakan, mais c’est difficile d’en parler sans qu’on ait vu le film.
On sent que pour toi en tant que réalisateur, le Morvan est un terrain de jeu. Chaque endroit du film devient un lieu d’expression pour s’amuser, se perdre, rêver, avec les objets, même avec les gens. Pourquoi as-tu choisi de tourner là-bas ?
Comme je l’ai dit au début, aussi pour cette histoire de nourrice morvandelles. Ça me plaisait d’inscrire le film dans les vrais lieux. Par exemple, le cimetière de Lormes qui se trouve vraiment au cœur du Morvan, c’’est un des cimetières qui accueille ces enfants orphelins. Donc pour la scène du cimetière, la scène de la sortie de l’église ce sont les vraies croix des enfants orphelins morts de cette région.
Et aussi je suis originaire de là-bas, c’est des paysages des coins que je trouve à la fois très beau et très mystérieux, avec ses forêts, ses lacs, ses magnétiseurs, il y a beaucoup de magnétiseurs dans le Morvan. Je me sens bizarrement à l’aise dans ce décor là. J’ai l’impression que je sais exactement comment j’ai envie de les filmer. Et de manière plus pragmatique, parce qu’on a le financement de la région Bourgogne qui a été essentiel et déterminant pour le film.
Tu joues avec l’intime, l’obscénité, et la sexualité, notions présentes de manière un peu clandestine, et sans y faire référence de manière frontale, l’explicite n’est jamais éloigné, mais suggéré avec une violence mise en sourdine. À quoi est lié ce choix de la pudeur, de ne pas montrer ?
J’aimais bien ces questions de mises en scène, par exemple comment on filme un abus, et comme je ne voulais absolument pas en faire un sujet, dossier ou film à thèse, ou ce genre de films, tu sais, qui appellerait un débat après sur la maltraitance infantile avec des experts psychiatres qui viennent donner leurs avis. Il y avait quelque chose de l’ellipse qui devenait nécessaire pour échapper à ça, comment insinuer sans montrer.
Je voulais que le film se mette à l’âge de Samuel qui n’a pas tous les moyens de comprendre ce qui se passe exactement. Il perçoit des signes sans pouvoir les lier forcément entre eux. Pour moi, le film se devait de restituer une vision du même niveau que celle de Samuel. Il y a eu beaucoup d’abus sur les orphelins dans le Morvan. Ce sont des enfants qui ont été souvent maltraités. Donc je ne voulais pas éluder ça, mais ça m’intéressait de le suggérer avec force, tout en respectant cette notion de pudeur.
De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau est un film magistral et l’on note cet hommage au film, très délicat, très subtil au coeur du tiens. On y voit la transposition d’une dimension sociale plus urbaine dans le film de Brisseau, à rurale pour ton film. Que ramènes-tu, volontairement, ou non, de ces aspects là du film ?
Oui, encore un film important pour moi évidemment avec la présence de Lisa Hérédia dans Astrakan, qui joue la grand-mère et qui est l’actrice de Brisseau. C’est une comédienne que j’adore, qui ne tourne pas assez selon moi. Et ce qui me plaît chez Brisseau c’est qu’il y’a quelque chose d’impur, à la fois poétique, à la fois brut, à la fois lyrique, à la fois prosaïque, c’était très important pour moi de les citer encore une fois dans le film. Il y a quelque chose de revêche dans tout ce mélange chez Brisseau que je trouve incroyablement génial, ça me plaisait d’y penser dans le film, grâce a la présence de Lisa, dans ces décors du Morvan.
Astrakan, de David Depesseville, en salle le 8 février.
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