Selon les chiffres du New York Times, qui s’appuie sur les recherches du Centre international des études de Défense (C4ADS), une soixantaine de grandes fortunes russes, “des magnats de la construction ou du tabac, des hommes d’affaires ou d’anciens ou actuels hommes politiques”, sont déjà propriétaires à Dubaï.
Présentés comme historiquement “proches de Vladimir Poutine” par cette organisation américaine à but non-lucratif, ces hommes d’affaires posséderaient un total de 76 propriétés ou yachts sur place. Mais seulement six d’entre eux sont sous le joug des sanctions occidentales. Le média qatari, Al Jazeera, parle de son côté de près de 40.000 ressortissants russes présents au total.
“Les Russes viennent pour rester”
Parmi les oligarques les plus fortunés, le Boeing privé de l’ancien propriétaire de Chelsea, Roman Abramovich ou le yacht du géant du BTP, Arkady Rotenberg, ont notamment été repérés à la mi-mars dans l’aéroport et le port de la ville. Des analystes de l’OSINT (Renseignement de source ouverte, en français) à l’instar du danois, Oliver Alexander, ont également relevé le départ de plusieurs jets privés depuis Moscou vers l’Émirat le 17 mars.
Rien n’a cependant permis de confirmer que ces oligarques étaient bien dans leur avion ou bien si leur séjour était juste temporaire. Ce secret est bien gardé. Mais “la nouveauté depuis quelques semaines, c’est que les Russes viennent pour rester. Ils réinstallent toute leur vie à Dubaï, avec le transfert des avoirs, de la famille et de la nounou”, explique à nos confrères du Monde, Audrey Delaitre, juriste chargée du développement dans une compagnie de relocalisation. “Le nombre de Russes qui nous approchent est en hausse de 30% à 35%”, abonde auprès du journal, Owais Mehboob, gestionnaire de portefeuilles immobiliers au sein du cabinet Apex, implanté lui aussi à Dubaï.
Pourquoi choisir cette destination, en dehors du soleil, de la plage, des hôtels, villas et restaurants de luxe? D’abord parce que ces dirigeants sont devenus persona non grata dans plusieurs pays d’Europe, principalement au Royaume-Uni, à Monaco ou en Suisse, où ils avaient leurs habitudes (et leurs avantages) en termes de gros sous.
À l’inverse, les Émirats arabes unis et leurs grandes banques restent une terre et des coffres-forts hospitaliers, et donc un recours pour contourner les restrictions financières occidentales, mais également pour se prémunir du spectre de la faillite des banques russes et de l’affaiblissement du rouble. Certains lancent aussi de nouvelles compagnies, achètent ou louent des propriétés, parfois avec des flux d’argent suspects ou des cryptomonnaies.
Une sécurité diplomatique, des avantages fiscaux et législatifs
“Il n’y a aucun problème à être Russe à Dubaï”, a ainsi confié au New York Times un homme d’affaires russe anonyme “réfugié sur place”, selon les mots du journal. Après le début de la guerre, une autre famille russe s’est engagée sur un bail à durée indéterminée à hauteur de 15.000 dollars par mois (un peu plus de 13.600 euros). Mais à ce jeu de relocalisation et de transferts de fonds, les Émirats ne sont pas les seuls à ne pas avoir coupé les ponts avec Moscou, des arrivées concernent aussi d’autres pays comme Israël ou les Maldives pour ne citer qu’eux.
Les Russes peuvent également trouver à Dubaï un intérêt salarial, au niveau du personnel ou de la main-d’œuvre. “Son coût est inférieur. Étant donné que l’entreprise paie peu de charges sur les salaires des étrangers (pas de cotisations chômage, retraite…), cela lui revient beaucoup moins cher”, expliquait également au HuffPost, Amélie Le Renard, sociologue et autrice de l’ouvrage “Le privilège occidental. Travail, intimité et hiérarchies postcoloniales à Dubaï” (Presses de Sciences Po, 2019).
Même s’ils ont fini par condamner diplomatiquement l’offensive russe en Ukraine, les pays du Golfe ne semblent d’ailleurs pas prêts d’envisager de sanctions économiques contre les millionnaires russes et leurs avoirs, en tout cas “sans en être mandatés par l’ONU”. Jusque-là rien de contraignant n’a été décidé ou envisagé, juste une forme de neutralité ou de “non-alignement” qui ne contrarient, pour l’instant, ni les Américains, ni les Russes.
D’autres analystes et experts avancent que ces oligarques pourraient également chercher à s’éloigner de Moscou et de Vladimir Poutine. Le président russe n’a pas hésité à qualifier, le 16 mars, certains d’entre eux de “nationaux-traîtres”. Il parlait néanmoins de ceux qui “ont une villa à Miami ou sur la Côte d’Azur et qui ne peuvent pas se passer de foie gras, d’huîtres ou de ces soi-disant libertés de genre”, évoquant ensuite une “épuration” nécessaire de la société russe.
Une ambiance de “purge” qui planerait également, dans un contexte d’embourbement en Ukraine, sur le cercle le plus proche de Vladimir Poutine, selon l’Institut des études de la guerre (ISW): “Poutine procède probablement à des purges internes chez ses généraux et personnels du renseignement (…) soit après avoir négligé leurs estimations (…), soit en rétorsion de l’intelligence erronée dont il les accuse”.
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