LANGAGE – L’
été bat
son plein, et avec lui, sa valse de vanités. Les
réseaux sociaux ont ceci de vicieux qu’ils encouragent à la
procrastination, à la facilité et aux
phrases toutes faites. Ainsi, beaucoup se contentent de lire le titre d’un article pour le
commenter et y déposer leur fiel. D’autres, instagrameurs de tout
poil, pensent qu’il suffit de faire un
selfie avec un hashtag “bonheur” pour être heureux.
La vie se charge de le leur rappeler le contraire: ils n’auront gagné que la compulsion de vérifier le nombre de
likes récoltés par leurs
photos, symboles criants d’un néant existentiel, avec un hashtag “malheur” en
prime. La facilité, l’ultra-simplification, la réduction drastique de l’intelligence sont de sortie dans tous les champs d’
expression.
La méprise du langage
Le SMS est toujours en peloton de tête. Aujourd’hui, avec le correcteur
automatique, même ceux qui écrivent « sa va » ont
la vie sauve. L’intelligence artificielle pallie toutes les énormités. Plus besoin de savoir écrire et de faire des
phrases avec un sujet, un verbe et un complément. Un
selfie «
mort de rire » et un
emoji « cœur » suffiront à constituer votre épitaphe. Le bisou est aussi mis à toutes les sauces. On fait des bisous tout
le temps, on use l’emoji jusqu’à l’os. C’est tellement plus simple de liker une phrase que d’émettre une réponse à celle-ci, surtout quand on n’a rien à dire.
Mais si seulement l’ultra-simplification s’arrêtait aux messages… La fabrique du crétin dont parle Jean-Paul Brighelli dans son livre éponyme, a de moins en moins de frontière définie. Elle s’immisce partout. J’entendais récemment une patiente me parler de son voyage au Maroc. Elle était allée passer trois jours à Marrakech dans un hôtel pension complète, où elle avait passé le plus clair de son temps à la piscine. « Mon mari et moi, on rêvait de faire le Maroc » commentait-elle, au terme de cette petite escapade. L’expression « Faire le Maroc » était on ne peut plus paradigmatique de la société instantanée à laquelle nous appartenons. Elle révèle l’amalgame dans lequel nous sommes enfermés quand nous pensons qu’un emoji « Cœur » a valeur de réponse et qu’un week-end de trois jours dans un hôtel est une manière de « faire » un pays.
«La facilité, l’ultra-simplification, la réduction drastique de l’intelligence sont de sortie dans tous les champs d’expression.»
Ah, si c’était si simple ! Seulement voilà : cette méprise se constate aussi dans de nombreuses autres expressions, qui n’en finissent pas de déformer la réalité, de lui donner un visage niais avec un nez raccourci. Prenez : « Faire un burn-out ». Depuis quelques temps, l’épuisement professionnel est le cache-misère des vraies causes du mal être. Plutôt que de s’explorer en profondeur et de débuter un travail sur soi-même, on démissionne de son entreprise après une extinction des feux. La solution est une fuite en avant, bien souvent source de reproductions des conduites d’échec.
“Que vous est-il arrivé ?
_ J’ai fait un burn-out.”
Un univers sémantique de réductions à tout-va
Et le problème est réglé. Pour peu que l’agresseur soit toujours l’autre et que
nous n’ayons strictement rien à
nous reprocher, les vaches sont bien gardées dans ce
monde édulcoré de toutes formes de réflexions poussées. D’ailleurs, on ne pense plus, on « brainstorme », on « forwarde », on « partage », on « supervise ». Quant à nos
enfants, ils doivent bien se résoudre également à entrer dans les
nouvelles cases de l’ultra-simplification sous peine de passer pour des inadaptés. La plupart des
parents manient les expressions «
Haut potentiel » et «
Hypersensibilité » avec une facilité qui défie les plus grands professeurs de
médecine. Là encore, ce qui compte, c’est de savoir ce que l’on « est », quelle case on coche, sans craindre l’essentialisme.
Nous sommes en quête de mots valises, de réponses immédiates, de commentaires expéditifs,
mais surtout pas de vérités ontologiques. Celles-ci, trop
complexes, sont « prise de tête ». Mieux vaut faire un smiley clin d’œil.
Au fond, cet univers sémantique de réductions à tout va peut se regrouper en une phrase, une seule : « J’ai fait le Maroc avec mes enfants hauts potentiels juste après avoir fait mon burn-out et j’ai partagé plein de selfies sur mon Instagram avec des smileys Mort de rire pour dire qu’on s’amusait bien ». Ajoutez un hashtag hihihi ou ahahah et vous passerez un excellent été sous le soleil de 2022. Kiss.
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