À l’aube de la trentaine, alors mi-journaliste mi-créatif, j’ai été pris comme beaucoup par l’hubris ou la recherche de l’ultime distinction sur la courbe de la fame ; la publication comme label, sceau d’une étape jaugée au volume de piges. Alors je l’ai écrit, ce roman, l’ai envoyé à la pelle par la poste aux guichets de maisons d’édition de plus en plus confidentielles, ai multiplié les stratagèmes pour qu’ils remontent sur des piles, ai revu des versions et des versions à mesure que la publication est devenue idée fixe, me suis acharné, ai capitulé, ai auto-édité ce roman de trentenaire. Assez pour comprendre quelques rouages d’un milieu et surtout me faire target, sur Facebook ou Insta, par des algorithmes ayant flairé chez moi la persona parfaite : auteur auto-proclamé en quête de graal en couverture reliée.
« Pour moi, éditer, c'était être reconnu dans ma pratique, ma recherche, mon parcours, avec l'impression d'avoir des choses à dire, combattre, déconstruire. D'abord, j'ai voulu être édité pour être lu. Ensuite, il y a eu les refus de manuscrits par vagues. Alors je me suis mis à vouloir être édité pour être édité, comme une fin en soit, car trop faim d'ego ». Pour Marin Fouqué, rejoindre le circuit de l’édition après un parcours entre performance et poésie sonore c’est l’adoubement du milieu et le socle à partir duquel sortir de l’inquiétude. Alexandra Dezzi publiée chez Stock en 2020 pour son roman La Colère le dit avec d’autres mots : « Être édité : ça calme. Ça permet de souffler un grand coup. Peu importe la méthode, il faut trouver le moyen de monter dans la barque. » Mais pour monter dans la barque, c’est souvent Radeau de la Méduse.
Tirer sur l’ambulance fait difficilement avancer le schmilblick, surtout après une année de confinement et la fragilisation de la chaîne du livre par la fermeture de ses non essentielles librairies, rouvertes depuis. Les jeunes auteurs et autrices peinent à se retrouver dans les stratégies des grandes maisons, entre élitisme de certaines et opportunisme marketing d’autres. C’est la pente d’une littérature du sujet qui n’en finit plus de s’accentuer – la 4ème plie le game ou game over – et que déplore Théo Casciani, auteur de Rétine chez P.O.L : « J’ai l’impression qu’il est de moins en moins nécessaire de lire les livres pour savoir ce qu’ils sont. On les réduits à des hashtags, des photos séduisantes ou des résumés piégeurs ». Conséquence directe de stratégies éditoriales tournées vers le best seller : une prise de risque moindre, par ailleurs décuplée par la situation actuelle, et une uniformisation galopante des voix et des formes.
« Je crois qu'une partie du monde de l'édition se trompe de stratégie. Il y a un abandon d'une partie du public au profit de la rentabilité. J'ai souvent le sentiment qu'une partie des maisons d'éditions prennent leurs publics pour des idiots », regrette l’autrice Eva Anna Maréchal, également co-fondatrice de la revue Sabir, de la même manière qu’elle déplore l’élitisme d’autres maisons : « De l'autre côté de l'éventail, il y a aussi des maisons qui publient de très beaux textes contemporains. Celles-ci pâtissent selon moi d'une absence d'ouverture à un public non conquis. Une présence sur internet très limitée, pas très inventive quand elle existe, une absence d'événements s’adressant à un public plus jeune. Ainsi la plupart des maisons d’éditions me semblent être en train de rater le coche d’une génération entière. »
« C’est tellement facile d’envoyer un manuscrit. Quand vous êtes devant un ordinateur, vous pouvez pisser de la copie, il n’y a pas de sanction. C’est très facile, peu coûteux comme activité. » – Dominique Gaultier, éditeur du Dilettante
« Je vous réponds tardivement, je suis seul face au flux montant des envies d’écriture de la population française. » Réponse arrogante, désynchronisée de six mois de l’envoi de mon manuscrit en septembre 2019, du directeur d’une grande maison qui dit la saturation des comités de lecture par la multiplication des vocations d’écrivains et le manque de discernement de ceux-ci dans le ciblage. « Il y a des tonnes de raison à cet engorgement. La première c’est que l’Allemagne c’est la musique, l’Angleterre c’est le sport, et bien la France c’est la littérature comme marqueur de prestige », explique Dominique Gaultier, éditeur du Dilettante. Et si l’éditeur est connu dans le milieu pour faire des retours personnalisés (et parfois capables de calmer les vocations), il cache difficilement son agacement face à des envois massifs et mal avisés. « Un peintre du dimanche ne va jamais aller harceler les galeries d’art pour exposer. Ça ne lui vient pas à l’idée, à la limite à la salle polyvalente de son village. C’est tellement facile d’envoyer un manuscrit. Quand vous êtes devant un ordinateur, vous pouvez pisser de la copie, il n’y a pas de sanction. C’est très facile, peu coûteux comme activité. »
Et quand on combine le « temps retrouvé » des apprentis Proust convertis au journal de confinement avec une frilosité de conjoncture des éditeurs, même Gallimard s’y met. « Avec le confinement et cette possibilité, on parle de + 40% de manuscrits envoyés chez des éditeurs. Comme s’ils n’étaient pas déjà submergés », explique Mona Messine, autrice et cofondatrice de la revue Débuts : « Le nombre d’aspirants auteurs est phénoménal, c’est vrai. Et l’édition peut sembler élitiste, car ses codes de sélection demeurent subjectifs. Certains auteurs ‘refusés’ n’ont pas accès aux raisons du refus car les éditeurs souffrent d’un manque de temps et moyens pour personnaliser toutes les communications. Les saisons sont longues en écriture ; mis en parallèle d’une impatience à créer et être lu, cela peut donner un sentiment de solitude. »
« Pour moi, un premier roman refusé, c’est avant tout la preuve qu’on est capable d’achever. Ce sont des pages qui servent à asseoir la confiance et autorisent de recommencer, en mieux. » – Eva Anna Maréchal, autrice et co-fondatrice de la revue Sabir
De là plus qu’un pas à prédire l’agonie d’un monde de l’édition inapte à se renouveler ? Le rêve de la publication a pris un coup dans l’aile et les candidats sont nombreux à chercher d’autres circuits pour diffuser leurs écritures. C’est le cas d’Eva Anna Maréchal : « En tant qu’autrice, je ne m’engagerai pas dans cette voie, par peur de manquer d’énergie. Peut-être aussi car je crois que la fin en soi d’un premier roman, c’est le tiroir numérique de son auteur ou autrice. Pour moi, un premier roman refusé, c’est avant tout la preuve qu’on est capable d’achever. Ce sont des pages qui servent à asseoir la confiance et autorisent de recommencer, en mieux. » Et même ceux qui, comme Théo Casciani, ont leur nom sur un couverture gauffrée en librairie, émettent des doutes. « Il est peut-être temps pour l'édition d’accepter ses faiblesses pour éviter la ruine : elle est lente, fébrile, en plein dans le contemporain mais loin de l’actualité. Plutôt que d’essayer d'imiter des champs qui lui sont opposés, elle ferait mieux de faire de sa vulnérabilité et ses limites des armes pour montrer ce qu’elle a d'unique. Faire confiance aux livres, leurs hybridations et leurs débordements, les laisser parler d’eux-mêmes pour créer du trouble et du désordre. »
L’auteur Frédéric Ciriez, auteur chez Verticales, interprète les signaux faibles des dernières semaines comme le signe d’une rupture inédite dans le système éditorial français. D’une part, la décision de Gallimard de stopper la lecture de manuscrits est vécu comme une rupture « parce que l’édition a besoin de ce mythe et de la magie du manuscrit envoyé par la poste depuis Perpignan ou Dunkerque. » De l’autre, la seconde édition du Prix du Roman Non Publié qui exhume des manuscrits refusés pour les porter à la publication : « La littérature est une grande poubelle avec deux trois trucs qui brillent. Cest ce qui existe et ce qui est désiré et qui n’existe pas. Ce prix donne une positivité via la publication d’un livre qui a échoué, c’est refuser la négativité profonde de la littérature. Je mets ces deux phénomènes en relation, il y a quelque chose dans l’édition à la française qui est en train de craquer. Les éditeurs ont de moins en moins le temps de faire leur travail, les éditeurs qui font le taf sont de plus en plus rares, la centrifugeuse libérale commence à avoir ses effets. »
L’auteur voit dans l’essor du creative writing en France l’évolution de la structure éditoriale française : « On a un changement de sensibilité littéraire sous la double influence de ce qui se fait aux USA – qui a essaimé en France – ainsi qu’une rupture idéologique avec la triangulation classique lecteur/auteur/éditeur ou tout le monde avait un rôle défini. Mais c’est également un changement de paradigme puisque l’on rompt avec l’idée romantique selon laquelle écrire ne s’apprend pas. Ajoutons à cela une demande plus sournoise du fantasme d’être édité. » Le creative writing s’enseigne au sein de cursus académique ou dans des structures indépendantes, associatives ou commerciales, comme l’école Les Mots ou les Ateliers de la NRF à Paris. A l'École Les Mots, les aspirants auteurs de tous niveaux suivent des formations allant du stage intensif d’un weekend aux cours du soir étalé sur un semestre avec des auteurs et des autrices d’horizons variés (Chloé Delaume, Frederic Ciriez, Manon Becker…) sur des univers thématiques (la nuit, la famille, l’écriture de soi…) ou des formats spécifiques (nouvelles, stories Insta, roman…)
Avec Frédéric Ciriez au dernier semestre 2020, je partage mes mardi soirs avec un journaliste, un consultant en marketing, un étudiant en philo, une prof de français, une surveillante et une modiste trois heures durant. Au programme : découvertes de textes contemporains, discussion autour des ressorts stylistiques, écriture d’une heure environ à partir de quelques consignes et discussion collective sur les productions de chacun.e. « Le groupe va vous aider à chercher le mot juste et à ciseler votre texte. C’est très précieux. Et pour boucler avec ce qu’on a dit plus haut, c’est comme cela qu’un texte va gagner en qualité et être identifié par un éditeur comme un bon potentiel », explique Mona Messine, autrice passée par ce même atelier d’écriture. De 200 à 1 000 euros en fonction de la durée et de la fréquence des stages, l’école des Mots est plus accessible que les 1 500 euros d’inscription des ateliers de la NRF. Pour autant, le prix reste un obstacle à la diversité des participant.e.s même si, ramené au taux horaire, il est raisonnable d’autant plus que les ateliers garantissent à tout un écosystème d’auteur et d’autrices des compléments de revenus.
« Les acteurs du creative writing, tout comme les coaches et les agents, se substituent à un travail de l’éditeur pour un livre qui jusqu’alors devait être accepté au préalable » – Frédéric Ciriez
Début d’un paradoxe ? Oui pour Frédéric Ciriez qui décortique les aspirations des participants à ses ateliers à l’école Les Mots : « Certains sont en recherche d’une technique, d'autres d’une discipline, d'autres d’une pratique créative, d’un loisir, d’autres encore d’un club, d’un endroit de socialisation. Mais les gens qui s’inscrivent à mon atelier ont rarement lu mes textes. Je suis une ligne sur un catalogue. Il y a quelque chose qui relève du désir de la réalisation de soi pour laquelle l’écrivain devient médiateur. Dans ces ateliers, je suis à la fois écrivain de proximité, larbin pour le développement personnel de classe moyenne. Les acteurs du creative writing, tout comme les coaches et les agents, se substituent à un travail de l’éditeur pour un livre qui jusqu’alors devait être accepté au préalable. On assiste à un brouillage des pistes, le travail éditorial devient un service, et donne naissance à une économie parallèle. »
« Nous disons simplement que quiconque écrit pendant des années, seul chez lui, des mots que personne ne veut lire, qui ne servent à rien, qui ne lui rapportent rien, qui au regard des logiques sociales dominantes lui font même perdre beaucoup, du temps, de l’argent, des opportunités, sait qu’écrire n’est pas un travail comme un autre » écrit Louise Chennevière dans sa tribune publié par Lundi Matin au printemps 2020. Pas une raison suffisante pour des dizaines de plateformes (que des publicités bien ciblées ont mené jusqu’au client idéal que je suis) qui sont partis du même constat que moi pour en faire une étude de marché. Intuition d’entrepreneurs : si les vocations sont là, si publier est toujours un Graal, si nous sommes de plus en plus à écrire et si les comités de lecture sont saturés, il y a du biz à faire ! Ce brouillage à l'œuvre produit de nombreux interstices et, si la nature a horreur du vide, la start-up nation elle adore transformer tout manque en marché, et encore mieux si ça scale !
« On a conçu la plateforme avec des éditeurs. Le moteur de recherche permet de fouiller par mots clés, par titres, par genre, etc. Ça va permettre en une heure de se mettre en favori une cinquantaine de manuscrits » – Valentin Vauchelles, fondateur de la plateforme Edith&Nous
Première à m’avoir ciblé sur Insta, la récente plateforme Edith&Nous fait le pari de « matcher » auteurs et éditeurs au moyen d’un résumé de 400 espaces maximum, 5 hashtags et un algorithme qui mouline pour générer des affinités entre les 50 éditeurs partenaires de la plateforme et les 650 auteurs qui souscrivent à un abonnement mensuel ou semestriel. « On a la capacité de toucher simultanément plusieurs éditeurs qui seront des éditeurs pertinents en fonction du manuscrit puisqu’elle repose sur un match », explique son cofondateur Valentin Vauchelles satisfait des premiers chiffres de la jeune entreprise. De Robert Laffont aux Editions de l’Archipel, en passant par Les Avrils ou JC Lattès, ils sont de nombreux éditeurs à avoir rejoint la plateforme ces derniers mois, et offrir ainsi à Edith&Nous la carotte recherchée par les auteurs.
« On a conçu la plateforme avec des éditeurs. Le moteur de recherche permet de fouiller par mots clés, par titres, par genre, etc. Ça va permettre en une heure de se mettre en favori une cinquantaine de manuscrits et de prioriser ceux sur lesquels passer du temps pour approfondir ». Outil implémenté pour faciliter la vie des éditeurs dans la sélection des manuscrits, c’est pourtant l’auteur qui paye en s’abonnant à la plateforme. A cela, Valentin a la parade : « En réalité c’est un marché où l’offre et la demande sont inversées avec des auteurs nombreux qui souhaitent être publiés et des éditeurs qui in fine pourraient très bien se contenter de ce qu’on leur envoie. On a essayé de trouver un modèle équilibré puisque de toute façon l’auteur paye pour envoyer ses manuscrits ». La récente histoire d’Edith&Nous (six mois d’existence) n’a pas été un long fleuve tranquille avec des centaines de commentaires d’haters en réponse à une campagne marketing agressive dans un climat de méfiance pour un acteur qui jusqu’à peu mentionnait des partenariats en nombre avec des maisons sans les annoncer sur son site. Si le tir a été réglé, le manque de transparence sur la plateforme (des notifications mentionnent en flux tendu si l’un des manuscrits a été « consulté » par un éditeur sans que l’on ne sache rien de celui-ci, de ses motivations, du temps passé sur un texte…) et l’absence pour l’instant d’exploitation des données au profit des auteurs fait rager et incline à penser parfois que les notifications ne sont là que pour sécréter chez l’auteur la dopamine suffisante pour qu’il conserve son abonnement.
Pour Frederic Ciriez, de l’édition à compte d’auteur on est passé à l’auto-édition et de l’auto-édition aux plateformes : « Ce qui était marginal dans l’escroquerie éditoriale est devenu un mouvement de fond avec sa propre rationalité économique et symbolique. » Et au pays de la dopamine, c’est l’application Rocambole.io qui est reine. François en a eu « un peu marre de la start-up nation », alors il est « allé faire de la tech chez IBM au Benelux » avant de monter cette app qui permet de lire de la fiction en série par shots de 5 minutes. En 2018, il tombe avec son associée sur un étude du CNL selon laquelle ⅔ des français voudraient lire plus. Success story quatre ans plus tard avec 50 000 abonnés, un taux de croissance de 20% par mois et « un épisode lu toutes les 20 secondes » : « Aujourd’hui tout le monde dit que l’on lit moins. Ce n’est pas vrai, on passe notre journée à lire. Les paradigmes changent. Est-ce qu’on aime ça ou pas c’est une autre question. Mais c’est vrai que si l’on veut aujourd’hui adresser des millenials, il faut inventer des choses qui soient un peu plus adaptées à ce qu’ils cherchent. Nous, on peut faire signer Marc Lévy demain, ça ne nous aidera pas forcément à faire lire de jeunes lycéens ».
« Chez nous : le format série, court, percutant, avec des épisodes désignés pour lire 5 mn de lecture sur sa tablette ou son smartphone » – François Delporte, fondateur de Rocambole.io
Rocambole.io poursuit l’aventure hégémonique du streaming, après la musique et la vidéo, au pays des industries culturelles non pas en dupliquant le livre au format numérique mais en créant un format digital natif. « Chez nous : le format série, court, percutant, avec des épisodes désignés pour lire 5 mn de lecture sur sa tablette ou son smartphone », explique François conscient d’être assis sur un trésor : la data. Les données générées par les lecteurs permettent d’affiner les contenus en fonction des thématiques, des temps de lecture, de la perte d’attention ou des séries abandonnées. Pirates et féminisme sont donc tendance en ce moment sur Rocambole.io nous dit-on. En décembre, c’était plutôt les échecs. A sortir les prochaines semaines : une série avec 10 influenceurs sur une île en mode remake d’Agatha Christie. « Ils vont tous mourir les uns après les autres, il faut trouver le tueur. Là on va proposer des choses un peu différentes, qui vont parler à une génération. Il y a une prise de risque qui n’est pas encouragée côté éditeurs. On a vraiment une approche différente de la demande. »
Je suis peut-être déjà un vieux con, mais l’on nage entre caricature et dystopie avec une armée d’auteurs uberisés (400-900 euros la série de 50 à 60 pages Word + droit d’auteur de 15%), staffés sur des fictions hybridant les thèmes tendances du moment et coachés par des scénaristes « à la mode US » qui sauront donner à l’épisode le suspens suffisant pour qu’on l’on binge read à l’aise. « Vous ne pouvez pas lutter contre un algorithme générateur de dopamine. Si l’on était dans une espèce de société sans sollicitation artificielle, lire un Emile Zola resterait une superbe expérience d’évasion mais il y a une concurrence féroce sur le temps libre et c’est compliqué pour un livre classique de se faire une part quand il y a autant de sollicitations qui sont aussi bien designées », reprend François.
Là où Rocambole.io vise juste : singer le streaming avec la translation numérique du livre ne suffira pas à donner le goût de la lecture à celle et ceux qui l’ont perdu. « Car le livre en tant qu’objet fini, achevé, produit n’est que le mode hégémonique de circulation de la parole littéraire. Il faut en penser d’autres », écrivait Louise Chennevière dans sa tribune. Le livre s’essouffle et avec lui le roman, d’autant plus que la période enjoint une prise de risque minimale et un formatage maximal, et d’autres formats sont à habiter : création radiophonique, performance, écritures en présence, réseaux sociaux. La question pour Marin Fouqué : « Comment conquérir le texte sur des espaces plus vastes sans que ce soit chiant ? Comment donner le goût de la langue, du rythme, du style ? ». Les revues comme les ateliers d’écriture, symptômes sans doute de l’accélération de la société dans le monde littéraire, sont à entendre également comme le désir profond de confronter des formes pas forcément abouties aux retours d’un public (désir que la plateforme Whatpadd a su également exploiter), d’éclater les formats définis, d’ouvrir le processus d’écriture à d’autres et de tendre vers des formes collectives en s’hybridant avec la révolution culturelle de l’open source, du fork et de la fan fiction.
Les tentatives maladroites d’entrepreneurs surgissant en éléphants dans un magasin de porcelaine peuvent en crisper beaucoup. Elles partent néanmoins du constat d’évolutions nécessaires et sont à leur corps défendant des lanceurs d’alerte pour un monde littéraire au bord de la rupture, du trop plein de seum, du cauchemar du scale. Elles sont peut-être des signaux faibles qui suggèrent aux auteurs et aux autrices de sortir de l’obsession de la publication, sans exclure cette forme mais en l’invoquant pour de bonnes raisons, tout en explorant, des revues aux réseaux sociaux, de la création radiophonique à la performance, d’autres formes du texte en présence, complémentaire de l’objet livre. Et aux éditeurs aux comités de lecture au bord du burn out, l’indice peut-être qu’il est d’autres écritures à aller chercher ailleurs que dans des piles de manuscrit, des géographies nouvelles à explorer, en creux du terrain d’une rationalité économique sur lequel l’édition rattrapera sans doute à présent difficilement son retard. Heureusement, de nouvelles géographies éditoriales (nouvelles voix, maisons d’édition aventureuses, diversification des formats…) émergent et font la promesse d’une diversité littéraire dont l’on sent les premiers fourmillements.
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