Il y a des affaires qui tuent des carrières, et d’autres qui les propulsent. Celle de la mort de Zineb Redouane rentre visiblement dans le deuxième cas de figure, puisque le capitaine de l’unité de CRS mise en cause dans la mort de l’octogénaire vient d’être promu à la tête d’une des plus importantes compagnies du pays, après avoir été décoré par Christophe Castaner en 2019.
Le 2 décembre 2018, Zineb Redouane meurt à Marseille à 80 ans, des suites d’un tir de grenade lacrymogène reçu la veille, à sa fenêtre, lors de la troisième journée de mobilisation du mouvement des Gilets Jaunes. Devenue un symbole des violences policières, la mort de Madame Redouane attire l’attention médiatique et, par la suite, celle des inspecteurs de l’IGPN. Dans les mois qui suivent, au fur et à mesure des révélations autour de l’affaire et des tentatives d’étouffement diverses et variées, les agents de l’IGPN ne parviennent pas à déterminer quel policier de la CRS 50 est responsable du tir, et pour cause : les cinq agents interrogés disent ne pas se souvenir, et leur supérieur – le capitaine Bruno Félix – refuse de fournir aux enquêteurs les armes de son unité.
Par un tel acte de défiance envers son institution de contrôle, Bruno Félix aurait pu s’attendre à une carrière ralentie. Il vient pourtant d’obtenir le commandement par intérim de la CRS 46, une compagnie convoitée parce que proche de la direction zonale, bien notée et disposant d’un centre de formation. « Une compagnie bien notée permet d’obtenir des primes aux résultats exceptionnels », explique Laurent Nguyen, le délégué CRS VIGI-MI Rhône-Alpes qui a publié l’information sur Twitter.
Le commandement des Compagnies Républicaines de Sécurité, chargées du maintien de l’ordre, est normalement confié à des commandants de police. « Exceptionnellement, en cas de vacance du poste, il est normal de confier le commandement par intérim au n°2, qui en général est un capitaine, le temps qu’un commandant soit nommé, explique le délégué syndical. Par contre, je n’avais jamais vu, dans ma carrière, le remplacement d’un capitaine qui assure l’intérim par un autre capitaine ». Un autre délégué syndical CRS nous a confirmé qu’il était d’usage que ce soit le capitaine déjà en poste au sein de la compagnie qui assure le commandement par intérim en cas de vacance du poste. « Des commandants étaient sur les rangs et tout à fait disponibles pour prendre le commandement de cette compagnie », s’étonne Laurent Nguyen.
La police ne parle pas d’une seule voix
Nous avons appelé ce matin la CRS 46 et avons demandé si Bruno Félix dirigeait bien la compagnie. « Oui, tout à fait », nous a-t-on répondu au standard. Quelques heures plus tard, pourtant, le SICOP, qui gère la communication de la Police nationale, nous a rappelé pour « confirmer que Monsieur Bruno Félix, capitaine, a été nommé adjoint au Commandant » mais « ne dirige pas la compagnie, il est adjoint ». Nous avons alors rappelé la CRS 46, et avons demandé à un nouvel interlocuteur si le commandant en poste dirigeait toujours la compagnie. « Euh… En fait, il est en pré-retraite. Je vais prendre votre numéro et vous rappeler ». À la publication de cet article, aucun appel ne nous a été adressé.
D’après nos informations, le commandant actuel de la CRS 46 part effectivement en retraite, mais il lui restait des jours de congés à poser. S’il est donc formellement toujours aux commandes, il ne dirige pas effectivement la compagnie – tâche qui incombe dorénavant au capitaine Bruno Félix.
Décoré par Castaner
Ce n’est pas la première fois que le capitaine, qui avait contribué à entraver l’enquête de l’IGPN, jouit des faveurs de sa hiérarchie de façon inattendue. Le 16 juin 2019, comme le révélait Mediapart, l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner lui remettait la médaille de la sécurité intérieure, qui récompense “un engagement exceptionnel” et “des services particulièrement honorables”. “Aujourd’hui, il obtient un poste qui était très demandé. Ça pourrait être perçu comme une récompense », s’inquiète Laurent Nguyen, qui estime que la nomination pourrait affecter la réputation de la police. “Il faut croire que si ce capitaine a obtenu le commandement par intérim de la CRS 46, c’est qu’il disposait de solides appuis », conclut-il.