FAMILLE – “Quand on fait un enfant, on ne prévoit pas de se séparer. On ne conçoit pas, en tant que maman, de devoir justifier de son statut, on ne l’imagine pas”, témoigne Marine Gatineau Dupré. Co-fondatrice du collectif “Porte mon nom”, elle milite pour que la loi soit modifiée et favorise le double-nom des enfants.

Le collectif travaille à l’élaboration d’un décret “relatif à la dévolution du nom de famille en France”, rédigé en collaboration avec un député de la majorité, qui devrait être présenté prochainement au gouvernement.

Concernant le nom en filiation (qui inscrit la filiation à l’état civil), le décret, consulté par Le HuffPost, instaurerait une automatisation du double-nom à la naissance, la possibilité d’ajouter son nom de filiation à celui du premier parent sans condition en cas de séparation et la possibilité pour l’enfant à 18 ans de choisir un nom ou les deux.

Pour le nom d’usage (utilisé pour les démarches administratives, mais non transmissible), le collectif demande à ce que le parent qui ne porte pas le même nom puisse ajouter son nom à celui de l’enfant sans autorisation de l’autre parent, s’il/elle le souhaite.

“Patriarcat patronymique”

Car dans la grande majorité des cas, à la naissance, c’est le nom du père, uniquement, qui est transmis à l’enfant. Selon les chiffres de l’INSEE, sur les 753.383 enfants nés en 2019 en France, 613.377 ont pris le nom de leur père. Soit 81,4% (voir le tableau ci-dessous).

Si de moins en moins de femmes prennent le nom de leur mari, la tradition du nom du père pour l’enfant perdure. Une tradition récente, selon Titiou Lecoq, qui n’hésite pas à parler de “patriarcat patronymique”. 

“C’est avec la multiplication de l’administration dans la deuxième moitié du XIXe siècle et surtout au XXe siècle qu’on va imposer de plus en plus l’usage du nom d’épouse”, écrit-elle dans un article publié sur Slate.

Une situation qui peut devenir compliquée en cas de séparation, de divorce ou lorsque les parents changent tout simplement d’avis ou n’ont pas le même nom que leurs enfants. C’est ce dernier cas de figure que raconte Titiou Lecoq en prenant l’exemple d’une de ses amies:

“Ses enfants sont grands et ils portent le nom de leur père. Quand elle s’est mariée, elle a conservé son nom de naissance. Ses enfants ne s’appellent donc pas comme elle. À l’époque de la déclaration à l’état civil, elle n’y a pas prêté attention. Il y avait tellement d’autres choses plus importantes. Maintenant qu’ils sont adultes, elle regrette profondément, mais ils ont fait leur vie avec ce nom différent. Cette histoire de noms, ça met bien le bordel”, résume la journaliste.

Des témoignages de ce type, Marine Gatineau Dupré, conseillère municipale à Palavas-les-Flots (Hérault), en a recueilli plus de 2000 via un questionnaire en ligne, avec son collectif “Porte mon nom”, né en 2019. Dans la foulée, elle a lancé une pétition sur le sujet.

“Dans 85% des témoignages que nous avons reçus, les personnes regrettent leur choix de nom pour leurs enfants, souligne-t-elle. Il s’agit de personnes en couple, mariées ou non, des pères, des mères, des grand-mères… Chacun porte sa propre souffrance.”

Moins de 10% des enfants avec le double-nom 

Pourtant, depuis 2002, la loi autorise les parents à choisir le nom qu’ils veulent transmettre à leur enfant: celui d’un parent, celui de l’autre, ou les deux noms accolés dans l’ordre choisi par le couple

En cas de désaccord, c’est le nom du père qui prévalait jusqu’à la loi Taubira du 17 mai 2013, qui prévoit dans cette situation que l’enfant porte les deux noms, accolés dans l’ordre alphabétique. Mais le double-nom est encore rare: moins de 15% des enfants nés en 2019, selon le tableau ci-dessous.

“Dans tous les témoignages recueillis, nous avons constaté une pression familiale à transmettre le nom du père”, explique Marine Gatineau Dupré. 13% des femmes expliquent qu’elles n’ont pas eu le choix du nom de leur enfant.”

Tradition ou choix éclairé, les chiffres de l’Insee sont parlants: 6,6% des enfants nés en 2019 portent uniquement le nom de leur mère. 9,1% portent le double-nom, avec le nom du père en premier. Et 2,6% avec celui de la mère en premier.

“C’était normal que ce soit le nom du père”

C’est souvent lors d’une séparation ou d’un divorce que le nom peut apporter son lot de complications. C’est la douloureuse expérience à laquelle Marine Gatineau Dupre a été confrontée. “J’ai eu une fille d’une première union, raconte-t-elle. À ce moment-là, je ne me suis pas posé la question du nom. Pour moi, c’était normal que ce soit le nom du père.”

Mais le couple se sépare. Quelques années plus tard, à nouveau en couple, elle est enceinte d’un petit garçon. Cette fois-ci, elle souhaite que l’enfant porte le double-nom, mais son conjoint n’est pas d’accord. À la naissance, c’est lui qui va déclarer l’enfant à la mairie.

“Il a mis son nom, ainsi que les deuxième et troisième prénoms qu’il avait choisis, se souvient-elle, encore émue. Quand il me l’a annoncé, ça a été très dur pour moi, je ne voulais même pas quitter l’hôpital. Et je pense que je n’ai jamais pu oublier cette trahison.” La séparation semble ensuite inévitable.

“Prouver qu’on est le parent de son enfant”

Elle se retrouve avec deux enfants qui ne portent ni le même nom ni son nom à elle. Une situation qui a des conséquences sur le quotidien de la famille. “Le fait d’avoir une fratrie qui n’a pas de nom commun est difficile à vivre, affirme Marine Gatineau Dupré. On doit sans cesse prouver qu’on est le parent de son enfant”.

Une situation que vivent également les parents qui ne sont pas mariés et ne portent pas le même nom que leur enfant. Que ce soit lors de démarches administratives, à l’école, à l’hôpital, pour voyager à l’étranger

“Le mot qui revient le plus souvent est le mot aéroport, développe-t-elle. Lorsque l’on voyage, il faut prouver qu’on ne kidnappe pas ses enfants, montrer le livret de famille, et souvent on nous demande une autorisation du père.” Des garanties qui ne sont pas demandées au père. 

C’est sans compter les témoignages de violences conjugales ou intrafamiliales. “Écrire sans arrêt ce nom synonyme de maltraitance peut être un obstacle à la reconstruction, souligne Marine Gatineau Dupré. Une reconstruction qui pourrait passer par le fait de pouvoir ajouter le nom de la mère sans condition.”

Autorisation du père

Pour faire modifier le nom d’usage d’un enfant (utilisé pour les démarches administratives, mais non transmissible), il faut l’autorisation des deux parents. Même s’il s’agit simplement d’ajouter le nom du second parent

″À partir du moment où il faut une autorisation, comme il y a 56 ans, quand on demandait au mari l’autorisation de pouvoir travailler, ça me choque, s’agace-t-elle. Pourquoi avoir besoin d’une autorisation à partir du moment où l’on a une autorité parentale commune?”

En cas de conflit, cette autorisation peut être refusée. Comme pour faire modifier le nom de filiation, il faut alors passer devant un juge aux affaires familiales, qui évalue le “motif légitime” de la demande. 

Une procédure longue et coûteuse et dont l’issue favorable est loin d’être systématique. Le simple désir d’avoir le même nom de famille que l’un de ses parents, par exemple, ne constitue pas à lui seul un motif légitime. 

En 2018, le défenseur des droits Jacques Toubon estimait que la durée de traitement des requêtes en changement de nom pouvait aller jusqu’à 6 ans. Un délai “susceptible de porter une atteinte excessive aux droits des usagers à une vie privée et familiale, à un procès équitable, et à la libre circulation au sein de l’Union européenne”, comme le signifie une note rédigée à l’attention du ministère de la Justice.

“Redonner une liberté et un droit”

Le collectif reçoit tous les jours des témoignages de situations différentes où le nom est en cause. Et pointe ce particularisme français.

“Il y a tellement de cas différents que ce sujet mérite que l’on se penche sur cette notion de nom et de liberté, réclame Marine Gatineau Dupré. Il y a de nombreux exemples autour de nous, comme en Espagne ou au Portugal, où ce n’est même pas un sujet.”

Beaucoup de parents, selon elle, ne sont tout simplement pas au courant de leurs droits. “Il faut informer les familles, soutient-elle. Est-ce qu’il faut en parler en cours de préparation à l’accouchement? Il y a un travail à faire. Il faut redonner une liberté et un droit.”

À voir également sur Le HuffPostCette députée veut faire entrer le mot “parange” dans le dictionnaire

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