Le 28 mai dernier, les sénateurs ont adopté une proposition de loi « visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre ».

Composé de quatre articles, le texte prévoit un délai de deux ans avant la prescription de bloqueurs de puberté aux mineurs trans, interdit les mammectomies aux mineurs trans et punit de 30 000 euros d’amende et deux ans de prison toute personne qui aurait contrevenu à ces dispositions.

Il comporte aussi un article relatif à la pédopsychiatrie, considéré par les détracteurs du texte comme une tentative de réintroduire les thérapies de conversion, qui ont pour objet de modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne, et ont été interdites par la loi en 2022.

Dans un avis de mai 2024, le Défenseur des droits a exprimé son inquiétude face à un texte « de nature à porter atteinte aux droits et à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Quelle est la réalité de la prise en charge des mineurs trans aujourd’hui en France ? En quoi une telle proposition de loi contrevient à la santé et aux besoins des enfants trans ?

Entretien avec Morgann Gicquel, présidente de l’Espace Santé Trans (EST), une association de promotion de la santé des personnes trans, qui est aussi membre de la plateforme Trajectoires Jeunes Trans qui rassemble soignants et associations dans la prise en charge des mineurs trans sur le territoire français.

Quelle est votre réaction à l’adoption par le Sénat de la proposition de loi visant à limiter, en fait interdire, les transitions chez les mineurs et que vous ont inspiré les débats ?

Morgann Gicquel : La proposition de loi a été adoptée en première lecture au Sénat. Ce n’est pas encore un texte de loi. Elle doit être examinée à l’Assemblée nationale, où, je l’espère, elle sera rejetée.

Mais la simple existence de ce débat est profondément délétère et dommageable. Le message envoyé est le suivant : la République est contre l’existence des mineurs trans, et plus généralement, des personnes trans.

Le taux de suicide est particulièrement élevé chez les personnes trans. Il y a donc au contraire urgence à mieux accompagner les mineurs trans, et à permettre le plein accès aux droits et aux soins des personnes trans en général.

Cette proposition de loi concerne les mineurs trans. Quelle population cela représente-t-il aujourd’hui ?

M. G. : La transition recoupe un large éventail de possibilités. Aujourd’hui, lorsqu’on parle des mineurs trans, on agite l’épouvantail des bloqueurs de puberté et des chirurgies. C’est-à-dire des transitions hormonales et/ou chirurgicales.

« Le message envoyé est le suivant : la République est contre l’existence des mineurs trans »

Or les transitions à cet âge sont très majoritairement des transitions sociales : un changement de pronom, de prénom, de coupe de cheveux, une nouvelle façon de s’habiller. On considère que les mineurs en questionnement de genre ou en transition sociale représentent entre 11 % et 20 % de la population des mineurs. Ce n’est pas négligeable.

Quant aux transitions hormonales, si l’on regarde les mineurs qui bénéficient d’une ALD 31 [affection longue durée, NDLR] – le seul chiffre officiel sur lequel s’appuyer pour déterminer le nombre de parcours de transitions hormonales –, on en recense un peu plus de 300, sur 15 millions de mineurs en France aujourd’hui.

Quant aux opérations de mammectomies, des opérations chirurgicales d’ablation des glandes mammaires, elles ne sont autorisées qu’à partir de 16 ans. On en compte 40 cas par an, toujours dans des situations de nécessité absolue, déterminée par les médecins et les associations qui travaillent ensemble. Les chirurgies d’affirmation de genre sauvent la vie des gens. Il est gravissime de vouloir les interdire.

Précisons qu’aucune autre opération chirurgicale d’affirmation de genre n’est aujourd’hui possible chez les mineurs trans. La plupart de ces opérations, comme la vaginoplastie, ne peuvent pas être réalisées sur des enfants : il faut que la puberté ait eu lieu pour que l’opération soit possible.

Quelle est la réalité de la prise en charge des mineurs trans aujourd’hui en France ?

M. G. : La prise en charge est déjà très encadrée. La plate-forme Trajectoires Jeunes Trans, principalement située à la Pitié-Salpêtrière à Paris, regroupe des endocrinologues, des psychologues, des médecins spécialistes de ces questions et propose un accueil des jeunes afin de déterminer quel pourrait être le meilleur parcours pour eux.

« Les chirurgies d’affirmation de genre sauvent la vie des gens. Il est gravissime de vouloir les interdire »

Il s’agit d’équipes pluridisciplinaires qui travaillent dans l’intérêt du patient. Lorsqu’il y a un parcours à l’hôpital des mineurs trans, le traitement est principalement hormonal, avec des bloqueurs de puberté.

La proposition de loi veut interdire les bloqueurs de puberté et les chirurgies mammaires pour les mineurs trans. Or les mineurs cisgenres ont accès à l’un et l’autre de ces traitements. Dans quels contextes ?

M. G. : Les bloqueurs de puberté sont prescrits depuis des décennies à des mineurs qui développent une puberté précoce, afin de la retarder.

Et la Sécurité sociale rembourse deux interventions chirurgicales mammaires chez les mineurs cisgenres à partir de 16 ans, l’augmentation et la réduction mammaire, selon la taille du bonnet, par exemple pour éviter les risques de scoliose pour les personnes qui ont une poitrine au-delà d’une certaine taille de bonnet.

Ce sont ces mêmes traitements qui sont utilisés pour les mineurs trans aujourd’hui. Autrement dit, il n’existe pas de traitement dédié aux personnes trans. Tous les traitements qui existent ont été développés pour des personnes cis, notamment les bloqueurs de puberté.

La puberté précoce n’est pas une maladie. Simplement, on considère que ce n’est pas la meilleure chose qui puisse arriver à un enfant d’avoir de la barbe ou des seins qui poussent à 8 ans. Il s’agit de s’assurer que l’enfant pourra vivre mieux dans la société.

C’est exactement la même chose pour les enfants trans, pour qu’ils puissent vivre mieux dans la société, cette fois-ci, parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans le genre qui leur a été assigné à la naissance. Les bloqueurs de puberté permettent de mettre sur pause tout ce processus pour que l’enfant ait le temps de la réflexion.

Vouloir interdire les chirurgies du torse et les bloqueurs de puberté aux seuls mineurs trans relève donc de la discrimination sur le fondement de l’identité de genre. Cela porte un nom : la transphobie.

Il y a par ailleurs une autre catégorie de la population à qui l’on impose des opérations chirurgicales parfois à des âges très prématurés, ce sont les enfants intersexes, qui présentent des variations de développement de l’appareil génital.

Au cours de leur vie, ces enfants vont parfois subir jusqu’à 20 opérations non consenties, car ils et elles sont né·e·s avec des organes génitaux qui, bien que parfaitement fonctionnels, ne répondent pas aux standards que la société et la médecine ont définis, notamment au regard des normes reproductives. C’est d’une incroyable hypocrisie.

Que demandez-vous pour les mineurs trans ? Pensez-vous que la prise en charge actuelle soit satisfaisante ?

M. G. : L’important est d’accompagner au mieux les enfants, de les mettre au cœur de leur parcours de soins, et de ne pas décider à leur place. Nous avons des revendications générales en matière de santé : qu’il y ait plus de professionnels disponibles et formés sur ces questions, pour mieux accompagner.

« L’important est d’accompagner au mieux les enfants, de les mettre au cœur de leur parcours de soins, et de ne pas décider à leur place »

En 2022, la transidentité a été dépsychiatrisée. Mais sur le terrain, on peine encore à en voir les effets. En témoigne dans cette proposition de loi la mention de la pédopsychiatrie.

Au-delà des mineurs trans, que pouvez-vous dire de la prise en charge des personnes trans ?

M. G. : Lorsqu’une personne trans fait son coming-out, le temps de réflexion est estimé à 5-7 ans. C’est énorme ! Or on reste dans un système qui fait comme si le coming-out correspondait au premier jour de questionnement. Tout est fait pour faire patienter la personne. Ce faisant, le système n’est pas organisé dans l’intérêt des personnes, mais pour se protéger.

Nous demandons que la prise en charge de la transidentité soit médicale, et sans pathologisation, comme elle l’est (du moins davantage) pour la grossesse, l’IVG ou la puberté précoce.

Ce sont des réalités qui font partie de la vie des personnes, pour lesquelles il y a besoin d’un accompagnement médical. Mais ce n’est pas parce que ça se passe à l’hôpital que les personnes sont malades.

Aujourd’hui, plus de 40 % des personnes trans renoncent à des soins par peur de subir une discrimination. Faciliter l’accès aux soins des personnes trans, et plus largement le plein accès à leurs droits, en autorisant le changement de la mention de sexe à l’état civil sur simple déclaration, voilà les enjeux aujourd’hui.

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