PETITE ENFANCE – Éducatrice de jeunes enfants depuis plus de 20 ans, je codirige un réseau de crèches responsables, en Gironde, depuis 6 ans. J’ai souhaité rejoindre et construire une nouvelle vision de la crèche: de celle qui cherchait à se réinventer, de celle qui courrait après la qualité et non pas le profit, de celle qui a la “charte nationale de l’accueil du jeune enfant” chevillée au corps et au cœur!

Acteurs privés, associatifs, porteurs de projets, en micro-crèches comme en multiaccueils… nous sommes de plus en plus nombreux à porter cette conviction: investir dans la petite enfance est la meilleure garantie pour le futur. Et nous n’inventons rien, des experts de tous bords l’attestent. Nous pouvons ainsi citer les économistes James Heckman et Dimitri Masterov (Prix Nobel 2007) qui défendent la thèse que “En moyenne 1 euro investi dans la petite enfance ce sont 10 euros d’économisés en prévention sociale (lutte contre la délinquance, l’échec scolaire, le chômage…)”.

En 2020, nous avons donc profondément cru en la volonté de l’État de faire enfin de la prime enfance une priorité nationale. Adrien Taquet, Secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, a en ce sens missionné la commission des 1000 jours pour faire des recommandations et délivrer un plan d’action.

Malgré toute la bonne volonté affichée, la réforme annoncée par la loi ASAP (La loi d’accélération et simplification de l’Action Publique, NDLR) n’est pourtant pas à la hauteur de nos attentes. Elle ne donne aucune perspective pour améliorer réellement le quotidien de travail des professionnel·le·s de la petite enfance, pour donner des moyens économiques aux collectivités publiques qui choisissent de financer la qualité d’accueil de leurs très jeunes concitoyens.

Entre qualité d’accueil et contraintes financières

Nous voici donc à l’aube de 2021 et rien ne semble en bonne voie pour desserrer l’étau dans lequel nous nous sentis pris: entre la qualité d’accueil et d’accompagnement des jeunes enfants qui nous anime, et les contraintes financières qui sont désormais au-devant de tout, qui deviennent prioritaires.

Parce que la réalité est que répondre en tout point à la charte établie par l’État lui-même en 2017, cela a évidemment un coût:

  • Associer au projet éducatif des intervenants pour l’éveil à la nature, à la culture, à l’art, a un coût;
  • Remplacer le personnel absent (surtout en période de crise sanitaire), a un coût;
  • Proposer un plan de formation continue ambitieux des professionnel·le·s, a un coût;
  • Organiser des régulations des pratiques régulièrement pour assurer la qualité de vie au travail, a un coût;
  • Aménager des structures avec du matériel écoresponsable, a un coût;
  • Servir des repas bio et locaux, a un coût;
  • Dénicher des locaux qui disposent d’un espace extérieur suffisant pour répondre au besoin essentiel de “jouer dehors” des enfants, a un coût;
  • Assurer des protocoles de nettoyage et de soin écologiques afin de chasser au maximum les perturbateurs endocriniens de l’environnement des enfants et des adultes qui les accompagnent, a un coût;
  • Mettre en place des actions concrètes pour inclure pleinement les familles, pour leur permettre de renforcer leurs compétences sans jugement, a un coût.

Pourtant, la Caisse Nationale des Allocations Familiales n’intègre pas ce cout. Elle finance les heures de présence, les heures facturées, la fourniture des couches et des repas, mais ne donne pas les moyens pour appliquer une Charte d’état.

Dans notre quotidien de gestionnaires engagés, nous prenons de plein fouet la crise sanitaire. Mais surtout, nous entendons tous des professionnel·le·s fatigué·e·s par des protocoles de nettoyage contraignants, par le manque de reconnaissance de l’essentialité de leur travail, par ce sentiment d’en faire toujours plus sans perspective de compensation.

En tant qu’Éducatrice de Jeunes Enfants, gestionnaire de crèches, et responsable RH de près de 100 collaborateur·rice·s, j’aimerais pouvoir remercier financièrement mes équipes qui s’engagent, donnent le maximum pour réconforter, faire grandir et donner de la joie aux enfants.

Quel avenir?

Mais je ne peux pas. Car mon entreprise est fragilisée par ce mode de financement. Et je me pose la question aujourd’hui: quel avenir pour le modèle de crèche que nous avons créé? Quel avenir pour ces gestionnaires qui s’engagent, comme nous, pour la qualité et non le profit à tout prix? Sommes-nous tous des utopistes? Des entrepreneurs déconnectés de la réalité? Doit-on baisser les bras ou nous battre plus fort encore?

J’ai décidé bien sûr de me battre pour mes convictions, pour les jeunes enfants qui méritent le meilleur, pour les familles qui traversent une période difficile, pour les collectivités qui nous font confiance et pour les professionnel·le·s de nos crèches à qui je dis un grand MERCI.

En 2021, je fais le vœu de me battre aux côtés d’institutions et de personnalités politiques prêtes à prendre des décisions à la hauteur de leurs déclarations, pour éveiller les consciences: oui, la qualité d’accueil a un coût, mais quand il est investi pour la génération future, cela devrait être un investissement social évident pour construire une société plus équitable et plus apaisée!

À voir également sur Le HuffPost: Covid-19: Assistantes maternelles, les invisibles de la crise

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