Cette victoire inédite permet au Sinn Fein, ex-vitrine politique du groupe paramilitaire Armée républicaine irlandaise (IRA), de nommer une Première ministre locale, pour la première fois en cent ans d’histoire d’une province sous tension avec le Brexit.
Au terme d’un long dépouillement, le Sinn Fein a obtenu samedi 27 sièges à l’Assemblée locale de Stormont, où étaient renouvelés les 90 élus lors d’un scrutin organisé jeudi, contre 25 pour son rival unioniste DUP, fidèle à la couronne britannique. L’autre grand vainqueur est le parti centriste Alliance qui progresse fortement, avec pas moins de 17 sièges.
Saluant “un moment très important de changement” avec l’entrée dans “une nouvelle ère”, la dirigeante du Sinn Fein en Irlande du Nord, Michelle O’Neill, 45 ans, a promis de dépasser les divisions. “J’offrirai un leadership inclusif, qui célèbre la diversité, qui garantit les droits et l’égalité pour ceux qui ont été exclus, discriminés ou ignorés dans le passé.” Avec ce résultat, le gouvernement doit être dirigé conjointement par nationalistes et unionistes en vertu de l’accord de paix de 1998.
Émaillée par trois décennies de troubles sanglants entre unionistes et républicains, puis l’agitation causée par le Brexit, l’Irlande du Nord avait replongé dans l’incertitude en février, avec la démission du Premier ministre unioniste Paul Givan, mécontent de la situation post-Brexit. Cela avait entraîné automatiquement le départ de la vice-Première ministre Michelle O’Neill.
La difficulté de construire un exécutif “totalement fonctionnel”
Les pourparlers pour la formation d’un gouvernement s’annoncent déjà difficiles et le risque de paralysie plane maintenant sur le pays, les unionistes refusant de rejoindre un gouvernement tant que resteront en place les contrôles douaniers post-Brexit, qui menacent selon eux l’intégrité du Royaume-Uni.
“Je veux un gouvernement en Irlande du Nord, mais il doit être basé sur des fondations stables”, a déclaré le chef du DUP Jeffrey Donaldson, déplorant que le protocole nord-irlandais négocié par Londres et l’UE porte “atteinte à l’économie” de la province et à sa “stabilité politique”.
Un autre ténor du DUP, Edwin Poots, a prévenu que des négociations prendraient “des semaines, avec un peu de chance, ou même des mois”, alors que le ministre britannique chargé de la province, Brandon Lewis, est attendu prochainement à Belfast. Dans un communiqué, Brandon Lewis a également appelé à l’unité, exhortant toutes les parties à constituer “dès que possible” un exécutif “totalement fonctionnel”.
“Les gens ont parlé et notre travail est maintenant de faire acte de présence. J’attends des autres qu’ils fassent de même”, a réagi Michelle O’Neill. Elle a appelé à un “débat sain” sur l’avenir de l’Irlande du Nord, estimant que le nouvel exécutif devait s’attaquer en priorité à l’envolée du coût de la vie, après une campagne durant laquelle elle a insisté sur les questions sociales et sociétales plutôt que constitutionnelles.
Les États-Unis ont eux aussi réagi ce samedi en appelant les responsables nord-irlandais à partager le pouvoir comme le prévoit l’accord de paix. “Nous appelons les dirigeants d’Irlande du Nord à prendre les mesures nécessaires pour réinstaurer un gouvernement partagé (entre unionistes et nationalistes), qui est une des clauses principales de l’accord du Vendredi saint” de 1998, a indiqué le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, dans un communiqué.
“Le succès du Sinn Fein profite de la faiblesse de l’unionisme (…) Il ne représente pas un changement radical des opinions en Irlande du Nord en faveur de la réunification”, analyse pour l’AFP Katy Hayward, politologue à la Queen’s University de Belfast.