Bonjour VICE,
Je suis en dernière année d’université et je me porte mieux que jamais. J’ai des potes sympas, les études se passent bien et les amours aussi. Mais il y a un truc qui me tracasse : J’aime pas le sexe. Et franchement, j’ai jamais aimé ça.
Mon fantasme sexuel le plus utime est d’être « violée » – enfin, j’appelle ça un viol, mais c’est compliqué. Dans mon fantasme, je suis droguée par mon date et il fait ce qu’il veut de mon corps. Mais je veux que ça se passe dans un environnement safe et avec mon consentement. L’idée qu’une personne puisse me forcer à avoir des relations sexuelles m’horrifie vraiment.
Jusqu’à présent, j’ai jamais parlé à mes partenaires de mon fantasme. J’ai peur du jugement et je sais pas trop comment proposer l’idée. Pour l’instant, quand je fais l’amour, j’imagine que c’est contre mon gré. Parfois, je dis que je suis « vraiment fatiguée » mais qu’il peut « continuer », mais la personne le prend généralement comme un rejet subtil. Une personne m’a dit un jour qu’elle se sentirait « dégoûtante » de continuer – ça n’a pas aidé.
Parfois, je me dis : « Pourquoi je suis si prude ? C’est juste un fantasme, une forme de BDSM. » Mais d’autres fois, je pense à toutes les personnes victimes de viols au quotidien et je me dis qu’en tant que féministe, je devrais avoir honte de transformer leur traumatisme en fantasme.
Je repense souvent à mon adolescence, durant laquelle je pouvais pas non plus profiter pleinement de la sexualité. Dans notre école, les filles avaient honte d’être vues comme des salopes, et je me sentais gênée de « céder » à la tentation. Après un coup d’un soir, les filles n’étaient plus considérées comme « spéciales » – et je voulais être spéciale.
Ce que je me demande, c’est si mes désirs sexuels proviennent d’une idée tordue du sexe. Autrement dit, est-ce qu’il y a quelque chose qui cloche chez moi ? Et s’il n’y a pas de problème, comment je peux parler de ces fantasmes à mes partenaires ?
Merci,
K.
Bonjour K.,
Le fantasme du viol est l’un des fantasmes sexuels les plus courants chez les femmes. Une étude menée en 2009 auprès de 355 femmes a révélé que 62% d’entre elles avaient fantasmé sur un viol à un moment donné de leur vie. La majorité d’entre elles ont déclaré y penser plusieurs fois par an, tandis que 14% y pensaient chaque semaine. Une autre enquête réalisée en 2018 auprès de 4 175 personnes a révélé que deux tiers des femmes ont des fantasmes de viol, contre la moitié des hommes.
Leon F. Seltzer, ancien psychologue clinicien et professeur, étudie ce type de fantasme. Il estime que c’est une erreur de qualifier ces fantasmes de « fantasmes de viol ». Des études montrent en effet que les personnes qui ont ce type de fantasmes sont excitées à l’idée d’être forcées à avoir des relations sexuelles consensuelles, mais l’idée d’être réellement violées les dégoûte – ce que tu as également exprimé dans ta lettre. Leon F. Seltzer ajoute que le viol est une expérience horrible pour tout le monde, quels que soient les fantasmes sexuels.
Le terme « non-consentement consensuel » (dont l’abréviation est CNC en anglais), qui trouve son origine dans la communauté BDSM, est plus approprié. Dans le CNC, une distinction claire est faite entre le viol réel, le fantasme d’avoir des relations sexuelles contre sa volonté (dans sa tête), et le jeu de rôle de relations sexuelles non consensuelles (où une personne joue le rôle du prédateur et l’autre de la « victime »).
Mais même en tenant compte de ces distinctions importantes, ça peut être assez compliqué de s’y retrouver dans le CNC. Comment savoir ce qu’on aime vraiment ? Comment fixer des limites dans un jeu de rôle sexuel où les limites sont intentionnellement violées ? Et qu’est-ce qui se cache derrière ces désirs perturbants ?
Selon le sexologue Yuri Ohlrichs, les fantasmes CNC ne relèvent pas de la violence, mais plutôt d’un besoin de perte totale de contrôle. « Ils tournent autour du désir d’être dominé·e, explique Yuri. Se donner complètement à quelqu’un d’autre – avec consentement. Ce n’est pas ce qui se passe lors d’un viol. » C’est pourquoi on peut tout à fait avoir ces fantasmes et descendre dans la rue pour manifester contre les violences faites aux femmes – ça ne dit rien sur ton féminisme.
Dans un article paru en 2021 dans Psychology Today, le professeur David W. Wahl explique que plusieurs raisons peuvent pousser une personne à s’intéresser au CNC. Dans de très rares cas, les jeux de rôle sur la violence sexuelle sont un moyen de reprendre le contrôle après avoir subi un traumatisme sexuel. Pour d’autres, ces fantasmes peuvent être un moyen déculpabilisant d’expérimenter des formes de sexualité qui sont souvent stigmatisées dans la société – y compris le sexe violent. En gros, comme vous êtes « forcé·e » dans le fantasme, vous n’êtes pas responsable de ce comportement. De nombreuses personnes s’intéressent au CNC simplement parce qu’elles sont ouvertes et aiment explorer leur sexualité.
Une enquête menée en 2012 auprès de 355 femmes a étudié ces deux dernières idées (la déculpabilisation et de l’exploration sexuelle) et en a ajouté une troisième, appelée « théorie de la désirabilité », qui n’avait jamais fait l’objet de recherches auparavant. Selon cette théorie, l’attirance pour le CNC pourrait s’expliquer par l’idée que, dans le fantasme, les femmes sont tellement attirantes et irrésistibles que leur partenaire ne peut pas se contrôler. En gros, le fantasme pourrait être à la fois une source d’excitation sexuelle et un moyen de flatter son ego.
Les résultats de l’étude sont intéressants : elle n’a révélé aucune preuve que les gens ont ces fantasmes pour déculpabiliser. La théorie de la désirabilité a reçu un soutien moyen, et c’est celle de l’exploration sexuelle qui a reçu un soutien important. Les résultats montrent également que les personnes généralement intéressées par le sexe et l’expérimentation sexuelle ont plus souvent ces fantasmes.
Si tu veux aborder le sujet avec un·e partenaire, essaye de lui enlever un peu de pression. Tu peux commencer par lui faire part de ce que tu aimes et lui dire qu’il n’y a pas besoin de passer à l’acte dans l’immédiat, ni même jamais. Demande-lui ce qu’iel pense de tes désirs et sois ouverte aux questions – prépare-toi à une réaction négative ou mitigée, et laisse-lui l’espace nécessaire pour évoluer sur la question au fil du temps.
En plus de faire preuve d’empathie, tu dois également te montrer bienveillante envers toi-même. Si tu penses qu’il n’y a rien de mal à tes envies, n’hésite pas à te défendre si un·e partenaire essaie de te faire sentir mal ou honteux·se. C’est super important de choisir une personne avec qui tu te sens en sécurité avant d’essayer le jeu de rôle CNC – il faut que ce soit à tes conditions pour que tu y prennes vraiment plaisir. À l’inverse, il se peut qu’un·e partenaire ne soit à l’aise avec tous les aspects de ton fantasme, et tu devras respecter ça aussi.
Comme toujours, la communication est primordiale. Avant toute chose, vous devez vous mettre d’accord sur ce qui vous convient exactement, et sur un safe word.
Dans ta lettre, tu décris l’idée d’être droguée comme l’un de tes fantasmes ultimes. « Tu peux trouver cette idée particulièrement excitante, mais la drogue est-elle nécessaire ? », demande Olrichs. Au lieu de prendre un truc, ce qui peut être assez délicat et dangereux, Olrichs propose d’essayer de faire l’amour quand tu es un peu endormie – essayez de vous mettre d’accord à l’avance, plutôt que sur le moment.
Comme pour tout autre acte BSDM, l’après (ou aftercare) est aussi très important. Vous pouvez simplement parler ensemble de l’expérience, soigner d’éventuelles blessures ou prendre un moment pour tout absorber. Y’a beaucoup de conseils en ligne sur comment prendre soin l’un·e de l’autre après une scène intense.
L’exploration du CNC n’est pas si différente de la découverte de ta sexualité en général. Tant que tu t’amuses et que tu prends le temps de fixer des limites saines avec tes partenaires, tout ira bien.