J’ai entendu parler pour la première fois de contraception masculine pendant mes études à l’Université de Bordeaux. Lors d’un cours de sociologie de la santé, l’enseignante mentionnait les inégalités de genre dans le rapport à la contraception. Contrairement à la fertilité qui fluctue selon l’âge et les étapes du cycle menstruel si on a un utérus, on est fertile en permanence et toute notre vie si on a des testicules. De ce point de vue, les spermatozoïdes présentent donc un plus grand « risque », et le contrôle de la contraception masculine semblerait plutôt logique.

Toutefois, la question est peu abordée et on reste principalement bloqué à une énième charge mentale pesant sur les épaules des femmes. D’une part, dans l’opinion publique, la contraception masculine est souvent considérée comme castratrice et dangereuse pour le rôle social masculin et la virilité. D’autre part, au sein-même de la science, les recherches sur des possibilités de contraception masculine sont assez minoritaires et peu mises en avant

Quelques années plus tard, mon amie et collègue de master à l’Université libre de Bruxelles Margot Thuy écrivait son mémoire sur la question de la contraception masculine. En lisant son travail, je découvrais les alternatives au préservatif, aux injections hormonales ou à la vasectomie avec notamment la contraception thermique et l’exemple du « remonte-couilles toulousain », développé par le CHU de Toulouse dans les années 1980. Malgré un nom évoquant un hybride entre une prise de judo et un accident de rugby, celui-ci n’est ni plus ni moins qu’un slip muni d’un anneau. L’intérêt de celui-ci est de plaquer les testicules contre le corps pour les réchauffer, ce qui rend les spermatozoïdes inactifs sans pour autant stopper leur production.

À la fin de l’été 2022, alors que je marchais avec mon meilleur ami le long de la plage de Biarritz à l’occasion du festival de surf féministe Queen Classic, le hasard voulut que je rencontre Sam. Vêtu d’un short de boxe thaï et d’une veste à paillettes, il présentait son projet Otoko Contraception. Il s’apprêtait à animer son atelier de fabrication d’anneaux contraceptifs thermiques au milieu de la plage de la Côte des Basques : « Ça prend trente minutes, c’est prix libre, c’est marrant et tu peux le garder des années ». 

En brûlant sous le soleil, Sam m’explique que la méthode thermique consiste concrètement à porter un anneau en silicone sur la base de la verge. Celui-ci vise à « capturer » le scrotum (la peau des bourses) pour la séparer des testicules, qui remontent alors au niveau du pubis. Leur température passe d’environ 35 degrés en étant éloignées du corps, à 37,5 degrés une fois rapprochées. Ainsi, comme pour le remonte-couilles toulousain, la spermatogénèse s’interrompt.

La méthode est réversible : au bout de quatre à six mois après l’arrêt de la contraception, la fertilité retrouve son niveau maximal.

L’individu est considéré comme contracepté au bout d’environ trois mois de port de l’anneau, ce qui représente un cycle de production de spermatozoïdes complet. L’anneau doit être porté 15 heures par jour, plutôt en période d’éveil pour avoir la possibilité de le remettre facilement s’il bouge, et parce que la température du corps est différente pendant le sommeil. Si l’anneau semble épais, la sensation passe rapidement inaperçue. « Au bout de quelques jours, tu ne le sens même plus », m’assure-t-il.

Cette contraception est ainsi purement « mécanique », n’inclut pas d’hormones, d’opération chirurgicale et ne présente aucune réelle complexité. Seulement un anneau à la bonne taille, lavable au savon, à porter quotidiennement. La méthode thermique est approuvée par des études menées au CHU de Toulouse par le Docteur Mieusset, se basant sur les slips plutôt que les seuls anneaux. Avec un indice de Pearl de 0,5%, son efficacité est proche des contraceptions massivement répandues et considérées comme fiables (par exemple, la pilule ou le stérilet). En écoutant les explications de Sam, l’anneau contraceptif me semble presque trop beau pour être vrai, et présente moins de contraintes et de risques pour le corps, surtout en comparaison des contraceptions hormonales et/ou invasives comme la pilule ou le stérilet.

Mais il me met aussi en garde, car il ne s’agit pas de se lancer tête baissée : en cas d’antécédents médicaux dans la zone génitale, on conseille évidemment la consultation d’un avis médical. Et l’anneau doit impérativement être à la bonne taille, pour ne pas risquer de douleurs voire de lésions nécessitant une opération chirurgicale pour réparer les dommages. Par ailleurs, la méthode thermique ne fait pour le moment l’objet d’aucune certification et n’est pas reconnue comme telle par les organismes de santé, même si les études du docteur Mieusset attestent de son efficacité. « Aujourd’hui, on estime à environ 15 000 le nombre d’utilisateurs de la contraception thermique en France », m’explique Sam. Et concernant les personnes qu’il suit, il ne constate aucun problème notoire et a plutôt des retours très positifs.

Enfin, la méthode thermique nécessite un suivi : un spermogramme en laboratoire avant de commencer la méthode, un au bout de trois mois, puis des analyses régulières afin de vérifier les niveaux de concentration en spermatozoïdes (qui doivent être inférieurs à 1 million par millilitre pour être considéré comme contracepté). En cas d’oubli de plus de 24 heures, la spermatogénèse reprend et il est conseillé de recommencer à zéro : attendre au moins deux mois et un nouveau spermogramme avant de considérer la contraception comme effective. La méthode est réversible : au bout de quatre à six mois après l’arrêt de la contraception, la fertilité retrouve son niveau maximal.

Au-delà de l’aspect concret et très compréhensible de la méthode thermique, je suis impressionné par les explications claires de Sam. En plus, le côté expérimental et DIY me plaît. Il organise des ateliers quasi hebdomadaires à Paris, mais aussi un peu partout en France et en Belgique, en encourageant les initiatives locales à profiter de son expérience pour se lancer : « Si les gens sont mieux informés et souhaitent reproduire les ateliers dans leurs régions, c’est une bonne chose pour tout le monde ».

Quelques mois plus tard, je revois Sam à Bruxelles pour un autre atelier dans la librairie anarchiste Le Zotte Morgen. Ayant récemment commencé à fréquenter quelqu’un, je souhaite maintenant me lancer dans l’aventure, qui m’amuse autant qu’elle m’intéresse. Maintenant que je connais cette possibilité, ne pas l’appliquer me semblerait vraiment dommage. Ma partenaire est d’ailleurs présente à l’atelier, et je remarque quelques couples dans la quinzaine de participant·es que nous sommes. Certains jeunes hommes sont déjà des adeptes de la méthode, avec les anneaux de Sam ou ceux d’Andro-Switch, qui les commercialisait sur internet avant de voir son activité suspendue à défaut de certification CE (Andro-Switch vend maintenant des « talismans décoratifs réversibles »). Pour tous les cas recensés, l’anneau contraceptif fonctionne.

Sam commence par expliquer la méthode thermique et répond aux nombreuses questions posées par le groupe. Certaines restent plus ou moins en suspens : je me demande par exemple dans quelle mesure l’anneau peut être porté sans problèmes durant une pratique sportive, qui signifierait à la fois du mouvement et la dilatation des vaisseaux sanguins. En échangeant avec le groupe, certains déclarent porter l’anneau en permanence et dormir avec, pour ne pas avoir à se soucier de la contrainte horaire. Le port ininterrompu semble leur convenir, mais la méthode a été testée scientifiquement et sans risques pour le port de 15 heures par jour. Il n’est donc pas conseillé de dépasser cette recommandation, mais comme le répète souvent Sam : « Je ne suis pas là pour vous dire quoi faire, juste vous présenter les meilleures conditions. »

Après les discussions vient la partie pratique. Sam nous présente une trentaine d’anneaux colorés et pailletés de diverses tailles, et nous invite à les essayer pour que chaque participant·e volontaire puisse en fabriquer un, deux ou trois. Certains se dirigent vers les toilettes, et l’arrière de la librairie devient rapidement une cabine d’essayage : entre les étagères remplies d’ouvrages anarchistes, quelques participants enfilent les anneaux pour trouver la taille qui leur convient.

Être un homme contracepté n’est pas une raison de s’ériger en chevalier blanc ou en individu exemplaire, ce qui n’est d’ailleurs à peu près jamais justifié.

Sam sort ensuite de ses valises des flacons de silicone, des machines diverses, une vingtaine de moules, des serre-joints, des seringues, des colorants et des paillettes : « Vous allez le porter toute la journée, autant qu’il soit joli. » Pour la demi-heure suivante, on joue les chimistes : obéissant à des règles physiques et calculs que je comprends peu mais que le maître de cérémonie maîtrise parfaitement, on procède à divers mélanges puis on injecte le silicone coloré dans les moules. Pour pouvoir se solidifier, ceux-ci doivent reposer environ une heure sur la table, maintenant couverte de paillettes.

Pendant ce temps, Clée de Raton Rêveur présente la symptothermie qui, sans être uniquement une méthode contraceptive à proprement parler, se base sur une connaissance des cycles menstruels afin d’identifier les périodes de fertilité par l’observation de deux paramètres : la texture de la glaire cervicale et la température corporelle. Par cette étude régulière des signaux de son corps, il est donc possible de définir les jours « à risque » et ainsi minimiser les risques de grossesse.

Au cours de l’échange, Sam et Clée nous invitent à appréhender la contraception comme une responsabilité partagée. Plusieurs méthodes naturelles peuvent ainsi être utilisées simultanément pour une efficacité optimale.

Le moment venu, alors que la nuit tombe derrière les rideaux de la librairie, on se dirige à nouveau vers la table pour démouler les anneaux, agréablement surpris du résultat. Après avoir fabriqué mon propre outil de contraception et m’être un tant soit peu renseigné sur cette méthode thermique, et surtout après avoir constaté son caractère peu contraignant et facile à mettre en place, j’ai l’impression d’avoir découvert quelque chose de révolutionnaire, dont j’ai hâte de voir l’évolution sur les prochains mois.

Toutefois, en discutant du sujet avec Sam, celui-ci fait preuve de beaucoup d’humilité et resitue les choses dans leur contexte. Être un homme contracepté n’est pas une raison de s’ériger en chevalier blanc ou en individu exemplaire, ce qui n’est d’ailleurs à peu près jamais justifié. Et ce n’est qu’une manière parmi tant d’autres de se responsabiliser et de partager une charge mentale souvent très étouffante au sein des relations. D’ailleurs, comme ma partenaire me l’a très justement fait remarquer, c’est encore une forme de privilège que de pouvoir faire le récit de sa contraception et le partager comme une histoire d’intérêt public, là où les femmes l’ont toujours fait dans l’indifférence générale, comme si cette charge contraceptive leur incombait systématiquement.

En parlant de cette expérience autour de moi, je suis surpris du nombre de mes potes qui ont montré une réelle curiosité, preuve qu’une réelle demande existe malgré le manque général d’information sur le sujet et son caractère encore expérimental. D’ailleurs, l’idée d’avoir moi-même fabriqué ma contraception dans cet esprit anarchique (au sens littéral comme figuré, vu le cadre) me plaît beaucoup. Pour Sam, c’est un aspect très important de son travail : « En fait, on s’organise et on teste par nous-mêmes. Même si on a déjà un bon recul sur la contraception thermique, on n’attend pas la certification et on crée notre propre réseau. Dans l’esprit, c’est un peu punk. »

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