Jusqu’à présent, aucun des garçons n’avait donné une interview complète de son calvaire. Sione Filipe Totau, 74 ans aujourd’hui, plus connu sous le nom de Mano, nous a décrit son expérience à l’âge de 19 ans sur l’île d’Ata.
J’ai grandi à Ha’afeva, dans l’archipel des Tonga. Lorsque j’ai commencé à étudier l’histoire et la géographie, j’ai découvert les Fidji, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, qui étaient toutes beaucoup plus grandes que mon île, qui était minuscule. Je me demandais souvent : « Comment je vais sortir d’ici ? » Je voulais voir le monde.
Un jour, un de mes camarades de classe m’a dit : « On va aux îles Fidji, tu veux venir ? » Il comptait voler un bateau. Et j’ai dit : « OK, je viens avec vous ! » Après l’école ce jour-là, on a marché le long de la plage et on a regardé les bateaux. Il y avait un homme qui amarrait le sien au même endroit tous les jours, toujours vers six ou sept heures du soir. Alors quand on l’a vu partir, on a pris le bateau et on a mis les voiles.
On était six, âgés de 15 à 19 ans. L’un des garçons avait une certaine expérience de la navigation car son père avait le même bateau. On est sortis du port. Il y avait un bon vent qui soufflait.
Quand les lumières de Nukuʻalofa ont cessé d’être visibles, tard dans la nuit, le vent a commencé à souffler plus fort et les vagues sont devenues plus hautes. Une tempête s’est levée et on n’a pas eu le bon sens de baisser la voile, qui a donc été arrachée par le vent.
Le lendemain, il pleuvait et on était à la dérive au milieu de l’océan. On a recueilli de l’eau de pluie dans des boîtes de conserve qu’on avait trouvées à bord, mais on n’avait rien à manger. Certains des garçons ont commencé à pleurer, mais on ne pouvait rien faire. On a essayé de garder espoir, mais on avait peur de mourir.
On a dérivé pendant huit jours, et le huitième jour, on a repéré l’île d’Ata. Il devait être environ neuf heures du matin et l’île était encore loin, mais progressivement, tout au long de la journée, le vent nous a rapprochés de plus en plus.
On est arrivés vers onze heures du soir. C’est une île volcanique, assez haute, et il y régnait une obscurité totale. On a fait une prière et j’ai dit aux autres : « Ne sortez pas du bateau avant que je sache ce qu’il y a là-bas. »
J’ai sauté du bateau et j’ai nagé à travers les vagues. Quand je suis arrivé sur la plage, j’ai vu que l’île entière se tordait. Mais ce n’était pas l’île, c’était moi. Après huit jours sans eau ni nourriture, tout tournait. Dès que j’ai repris mon souffle, j’ai appelé les autres : « Hey, hey, je suis là ! »
Ils ont atteint le rivage à leur tour, tous vivants. On s’est réunis pour dire une autre prière, en nous serrant fort les uns les autres et en pleurant.
On s’est endormis et on s’est réveillés après le lever du soleil. La priorité était de trouver un moyen d’atteindre sommet de l’île. En grimpant, j’ai marché sur un morceau de bois, qui était trempé. Je l’ai ramassé et l’ai cassé, morceau par morceau, et l’ai serré dans ma main, puis l’ai léché. C’était la première fois que je buvais en huit jours.
Quand on est arrivés au sommet, on a regardé les falaises autour de nous. On s’est sentis incroyablement vivants. On était sur la terre ferme, et cela nous donnait beaucoup plus d’espoir que de rester à la dérive.
On a essayé de faire du feu, mais on était encore très faibles. On a continué à essayer, tous les jours. On a trouvé des papayes et des noix de coco, et finalement on a été assez forts pour frotter des morceaux de bois ensemble, de plus en plus vite, de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’ils commencent à brûler. Il nous a fallu trois mois pour faire un feu, et c’était notre premier repas chaud.
L’étape suivante a été de construire une petite maison. Je savais tresser des feuilles de cocotier, alors on a rembourré les murs de la hutte de cette façon. Il m’a fallu deux semaines pour en tresser assez. Ensuite, on a installé l’intérieur. On a mis un feu au milieu et fait un lit en feuilles de bananier pour chacun de nous. Puis il a fallu s’organiser : comment entretenir le feu, comment dire nos prières, comment prendre soin des bananiers. On a travaillé tous ensemble, comme si on allait vivre sur cette île toute notre vie.
Je n’ai jamais vraiment aimé l’île. Je n’avais qu’une seule idée en tête : rentrer chez moi et retrouver ma famille. Après un mois, on a commencé à construire un radeau. On a abattu quelques gros arbres et utiliser le feu pour couper les branches. Mais quand on a essayé de le pousser jusqu’à la mer, ça ne marchait pas. Il revenait toujours vers la plage. On a compris qu’on ne pourrait jamais partir.
J’essayais de ne pas trop penser au temps qui s’était écoulé depuis notre naufrage. Je vivais dans l’espoir que quelque chose se produise, que le jour suivant nous apporte quelque chose de bon. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir passé 15 mois là-bas.
Un jour, enfin, on a vu un bateau s’approcher de l’île. Steven a été le premier à le voir, alors il a sauté dans la mer et a nagé jusqu’au bateau. Le capitaine, M. Warner, nous a raconté plus tard qu’un de ses marins lui avait dit : « J’entends une voix humaine », mais qu’il avait apparemment répondu : « Non, ce sont juste des oiseaux. » Juste à ce moment-là, ils ont vu Steven dans l’eau. Puis ils ont regardé vers le rivage et ont remarqué cinq garçons nus avec de longs cheveux hirsutes.
Je ne peux pas expliquer ce que j’ai ressenti. On était vraiment très excités. On avait survécu et j’allais revoir ma famille.
De retour à la maison, on a fait la fête pendant trois jours. La première célébration a été organisée par nos familles, la deuxième par l’église et la troisième par toute l’île.
Quand je repense à ces mois passés sur l’île, je me rends compte que j’ai beaucoup appris. J’ai appris à me faire confiance. Je réalise maintenant que peu importe qui vous êtes, peu importe votre couleur ou votre origine, rien de tout cela ne compte. Parce que si vous êtes vraiment en difficulté, à la fin, vous vous demandez juste ce que vous devez faire pour survivre.
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