L’expérience de Laura est d’autant plus choquante qu’elle a eu lieu l’année dernière en France. Pour rappel, notre pays compte parmi les plus riches et consacre 11,3 % de son PIB aux dépenses de santé. En 2000, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a même décerné à la France le prix de meilleur système de soins au monde. Et le mois dernier, Emmanuel Macron a annoncé un investissement de 7 milliards d’euros pour l’innovation en santé à la suite de la pandémie de Covid-19.
« On dirait que dès que vous êtes enceinte, vous n’avez plus de droits, plus de cerveau. »
Pourtant, beaucoup de femmes en France subissent des violences gynécologiques et obstétricales pendant la grossesse ou l’accouchement. Même si les conditions se sont améliorées au cours de la dernière décennie, les experts et les activistes affirment que la culture patriarcale de la médecine conduit à une maltraitance systémique. Les hommes représentent 74 % des membres du bureau du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, mais seulement 49 % des praticiens. La méthode qui consiste à appuyer sur l’estomac de la patiente pendant l’accouchement, comme cela a été le cas pour Laura, a soi-disant été interdite par la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2007. Le « sexisme ordinaire » s’est glissé dans la médecine française, et il est très difficile à contrer.
« Notre secteur médical est très puissant, très difficile à remettre en cause », explique Sonia Bisch, fondatrice de Stop aux Violences Obstétricales et Gynécologiques (StopVOG), une association qui œuvre pour mettre fin aux violences obstétricales et améliorer les pratiques médicales, notamment en recueillant et en cartographiant les témoignages des victimes.
« On dirait que dès que vous êtes enceinte, vous n’avez plus de droits, plus de cerveau », nous dit Danielle*, une puéricultrice avec dix ans d’expérience. La première fois qu’elle a été confrontée à ce « sexisme ordinaire », c’était lors d’un check-up de routine en 2012, alors qu’elle était enceinte d’environ six mois. « J’étais allongée sur la table, complètement nue, quand il m’a dit : “Wow, vous êtes gaulée comme une pin-up”, raconte-t-elle. Je me suis sentie salie et violée. »
Danielle était suivie par ce gynécologue depuis deux ans. Il lui avait été recommandé par une amie et avait fait naître sont premier enfant. Mais quand elle lui a demandé que sa mère soit présente lors de l’accouchement, il l’a traitée de « gamine » qui « flippait à l’idée d’accoucher ».
« J’étais sûre que j’allais mourir. Je m’agrippais à la sage-femme, qui était aussi enceinte, comme si ma survie en dépendait. »
Une autre fois, ce même médecin a examiné le vagin de Danielle sans lui demander la permission, alors même que la loi Kouchner exige un consentement libre et éclairé du patient avant toute procédure médicale. Cet examen a déclenché des contractions. Danielle est allée à l’hôpital et la sage-femme lui a expliqué que le gynécologue avait étiré son col de l’utérus. Les contractions se sont calmées, mais la situation s’est répétée lors d’un examen suivant, une nouvelle fois sans son consentement. Cette fois-ci, le travail a commencé, alors qu’il lui restait deux semaines avant la date prévue pour son accouchement.
Pendant qu’elle patientait dans la salle d’attente, le médecin l’a appelée, lui disant : « Si je dis que vous devez être attachée à la table, alors vous serez attachée à la table », se souvient Danielle. Elle est entrée dans la salle d’accouchement en tremblant. Le médecin a ordonné qu’on déclenche la perte des eaux à l’aide d’une aiguille. La douleur a été atroce et immédiate.
« Mon bébé a commencé à percuter mon pelvis et tout mon corps était sur le point d’éclater, raconte Danielle. À ce stade, j’étais sûre que j’allais mourir. Je m’agrippais à la sage-femme, qui était aussi enceinte, comme si ma survie en dépendait. »
Le médecin est finalement arrivé pour lui faire une perfusion de Pitocin, une forme synthétique de l’hormone ocytocine qui accélère les contractions. La naissance a eu lieu rapidement, mais Danielle a perdu beaucoup de sang.
Après l’accouchement, le médecin n’est venu la voir qu’une seule fois. Elle se souvient qu’il a dit à sa mère, qui était présente à ce moment-là : « Je suis très macho. Et votre fille, Madame, est une vraie tête de mule. » Danielle n’a jamais déposé de plainte contre le médecin en question de peur qu’on ne la croie pas. C’était sa parole contre la sienne. Elle pourrait le faire aujourd’hui, mais elle ne veut pas revivre le traumatisme.
La France affiche également un taux d’épisiotomies de 20 % pour les accouchements par voie vaginale, ce qui est très élevé par rapport aux 10 % recommandés par l’OMS. Cette pratique consiste à faire une incision dans le bas du vagin pour en augmenter l’ouverture et faciliter le passage du bébé. En 2020, 71 % des Françaises interrogées qui avaient subi une épisiotomie n’y avaient pas consenti.
On peut également citer le « point du mari », qui consiste à recoudre le vagin par quelques points de suture supplémentaires après la naissance. « Il s’agit d’une pratique sexiste qui vise à resserrer le vagin pour accroître le plaisir de l’homme lors des rapports sexuels, explique Bisch, de StopVOG. Malheureusement, le point du mari est toujours une réalité. Il découle principalement du sexisme en médecine et du manque de réglementations et de sanctions. »
« La France est peut-être le pays des droits de l’homme, mais c’est aussi le pays de la négation de ces mêmes droits dans les salles d’accouchement. »
Lorsque Lara* a accouché à la Maternité Port Royal à Paris en 2019, on lui a infligé un point du mari sans la prévenir et sans l’anesthésier suffisamment. « On m’a cousu les derniers points à vif parce que la péridurale ne faisait plus effet, raconte-t-elle. J’ai saigné pendant trois mois après l’accouchement. »
Elle a souffert le martyre pendant deux mois et a dû faire plusieurs visites de contrôle. Elle a subi une nouvelle opération neuf mois après son accouchement et suit aujourd’hui des séances de rééducation et de thérapie. « La France est peut-être le pays des droits de l’homme, mais c’est aussi le pays de la négation de ces mêmes droits dans les salles d’accouchement », dit-elle.
Comme la douleur ne disparaissait pas, Lara a consulté un autre praticien, en vain. « Au lieu d’admettre que quelque chose n’allait pas, il a défendu son collègue. Il m’a dit : “Impossible, c’est un excellent obstétricien. Et c’est un excellent hôpital. Beaucoup de mes confrères y travaillent”, dit Lara. Cette fraternité a des conséquences dramatiques. »
Selon les activistes, cette complicité est d’autant plus frappante lorsqu’une plainte est déposée. Lorsqu’une affaire est portée devant le juge, celui-ci demande à un expert de soumettre un rapport détaillant les aspects techniques du dossier. « Dans le cas d’un accouchement, l’expert est un médecin. Par conséquent, son rapport est souvent dans l’intérêt de ses collègues et non dans celui de la femme ou de la sage-femme », explique Marie-Hélène Lahaye, avocate et auteure qui a contribué à populariser le terme « violences obstétricales » en France. Pour cette raison, les professionnels de la santé sont rarement sanctionnés. « Il y a une telle impunité, un tel pouvoir médical en France », ajoute Bisch.
En France, le suicide est l’une des deux principales causes de décès chez les femmes dans la première année suivant leur accouchement (la deuxième étant les maladies cardiovasculaires), selon le dernier rapport de l’Inserm, qui a analysé les données de 2013 à 2015.
Laura, qui a donné naissance à son fils en 2020 et dont le médecin a appuyé sur son ventre, ne se souvient plus trop de ce qui s’est passé pendant l’accouchement, mais elle a encore des flashs qui lui provoquent panique et douleur. Elle souffre du syndrome de stress post-traumatique, a des pensées suicidaires et fait des cauchemars récurrents. Elle suit une thérapie et son mari aussi. Elle voulait un deuxième enfant, mais elle a désormais trop peur de revivre des violences obstétricales. À cause de ce traumatisme, elle a également eu du mal à créer des liens avec son bébé. « La naissance d’un enfant est censée être une journée merveilleuse, mais pour moi, ce fut une journée de souffrance. Ça m’a détruite. »
Danielle a eu une expérience similaire dans la première année qui a suivi la naissance de sa fille. « Pendant les six premiers mois à un an, j’ai eu du mal à m’attacher avec mon deuxième enfant », dit-elle.
Pour Lara, le traumatisme de son accouchement a affecté son mariage. « C’était mon premier enfant, et ça a complètement chamboulé ma relation avec mon époux. Ça a causé beaucoup de dommages », dit-elle.
Ces effets à long terme sont souvent ignorés par le personnel médical. « Beaucoup de médecins et de sages-femmes nient ce traumatisme, nous dit une infirmière qui a tenu à rester anonyme. Ils disent que si le bébé va bien, c’est tout ce qui compte. »
Depuis quelques années, le gouvernement a commencé à s’intéresser aux conditions des grossesses et des naissances en France. En 2017, Marlène Schiappa a demandé au Haut Conseil à l’égalité de réaliser un rapport sur les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical qui a été publié en juin 2018. « C’est un sujet tabou, et le but de ce rapport est justement d’objectiver cela, de mener une enquête et des auditions en profondeur », avait déclaré Marlène Schiappa lors d’une interview à l’époque.
« Le plus important est d’écouter notre douleur, de prendre en considération les moments où nous souffrons. »
Bisch salue le rapport, mais estime que ses conclusions n’ont pas été suffisamment exploitées. « La période de réflexion était très importante, mais il est temps de passer à des actions concrètes », dit-elle.
L’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne a récemment lancé un projet visant à recenser et à catégoriser des situations dites de violences obstétricales dans le champ du droit pour protéger les femmes contre lesdites violences et les aider à obtenir un recours.
Certains hôpitaux commencent à changer leurs pratiques. La troisième grossesse de Danielle a été une expérience très différente. Elle s’est rendue dans une clinique spéciale dans l’est de Paris, où il y avait des piscines d’accouchement et un centre de naissance rattaché à l’hôpital pour celles qui ne veulent pas accoucher dans un hôpital.
Lorsque Danielle a passé son premier examen, la sage-femme n’a utilisé qu’un appareil à ultrasons, au lieu de faire une échographie par voie vaginale, expliquant qu’elle savait que les examens physiques pouvaient déclencher des contractions. « Je me suis sentie beaucoup plus forte », dit Danielle.
Plus important encore, les professionnels de la santé et le grand public doivent écouter les femmes. « Il faut en parler. On se sent coupable de parler de soi car quand on donne naissance à un enfant, la mère est reléguée au second plan. Bien sûr, il est important que l’enfant aille bien, mais on ne nous met pas suffisamment en garde contre le risque de traumatisme, dit Laura. Le plus important est d’écouter notre douleur, de prendre en considération les moments où nous souffrons. »
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