Comme beaucoup de maladies gynécologiques, la vulvodynie est très peu connue, mais touche pourtant un grand nombre de personnes nées avec un sexe féminin. Définie médicalement comme un « inconfort vulvaire chronique sans lésion visible pertinente », cette pathologie se manifeste par des sensations de démangeaison ou de brûlures très intenses sur les parties externes du vagin. Cette sur-sensibilisation de la vulve est compliquée à diagnostiquer, car les examens gynécologiques ne révèlent généralement aucune anomalie, et on ignore encore ce qui peut la déclencher. Et bien sûr, la méconnaissance et la non-considération de la médecine à ce sujet n’aide pas.
Errance médicale, handicap au quotidien, nuisance à la féminité et mépris des médecins, Eva* (27 ans) est atteinte de vulvodynie depuis plus de deux ans.
« J’ai commencé à ressentir des douleurs étranges en septembre 2018. Ça me grattait et me brûlait. J’ai directement pensé que c’était une mycose, et quand tu décris ce genre de symptômes, les médecins ne vont pas chercher plus loin. J’ai donc commencé les ovules (médicament destiné à traiter de façon locale certaines pathologies vaginales NDLR.) et les crèmes vaginales, mais évidemment ça n’a pas fonctionné. Je consultais régulièrement les mêmes médecins, et aucun·e n’a envisagé une autre piste. Iels me répétaient que c’était sûrement une mycose qui récidivait. Après avoir essayé tous les ovules et crèmes possibles, on m’a mise sous antifongiques, sans jamais me faire passer de tests. Je voulais que ce soit une mycose, car je me doutais que ça allait être encore plus compliqué si c’était autre chose. C’était douloureux, mais j’étais face à des gens qui continuaient de me dire que c’était normal d’avoir mal.
« Au bout de six mois, la médecin qui me suivait a fini par me dire : “Je ne sais pas ce que vous avez, je ne peux rien faire pour vous.” »
Au bout de six mois, la médecin qui me suivait a fini par me dire “Je ne sais pas ce que vous avez, je ne peux rien faire pour vous.” Venant d’une femme, ça m’a d’autant plus choquée. Je n’en revenais pas qu’on me laisse comme ça, sans me donner de réponse, sans même m’orienter vers d’autres médecins ou méthodes. En réalité, il y a plein de spécialités médicales qui peuvent entrer en jeu pour les problèmes gynécologiques. Elle aurait pu m’orienter vers un·e dermatologue, étant donné que mes muqueuses me brûlaient. Mais non. Je suis sortie du cabinet à bout de nerfs. Tu souffres, tu ne sais pas ce que tu as, et ta médecin, celle en qui tu places ta confiance, te dit qu’elle ne peut rien faire pour toi.
J’ai donc décidé de faire des recherches sur internet et le mot “vulvodynie” revenait de plus en plus. Ça m’angoissait car je voyais bien qu’il semblait ne pas y avoir de traitement. J’ai découvert une association de femmes, Les clés de Vénus, qui parlent des pathologies gynécologiques méconnues et mal soignées. Elles avaient répertorié des contacts de médecins, thérapeutes et spécialistes dans toute la France selon les sujets. En réalité, j’avais déjà fait mon propre diagnostic et je cherchais juste une confirmation médicale. À Paris, il n’y a que trois ou quatre spécialistes de la vulvodynie, et cinq mois d’attente pour obtenir un rendez-vous. Quand le diagnostic a finalement été confirmé, après plus d’un an de doutes, ça a été un soulagement : la fin de l’incompréhension et de la solitude. Je savais aussi que j’entamais une nouvelle lutte pour la guérison, mais au moins, je savais où j’allais. Certaines personnes mettent sept ans avant de se faire diagnostiquer. Ce qui m’a sauvée, c’est de persister.
« Certaines personnes mettent sept ans avant de se faire diagnostiquer. »
On ne sait toujours pas établir les causes précises de ce syndrome, et il n’existe pas de traitement efficace. On sait que c’est lié aux nerfs : le cerveau leur envoie un message de douleur, alors qu’il n’y a aucune raison d’avoir mal. Les traitements ont pour but de faire oublier les douleurs, pour que le cerveau arrête d’émettre un mauvais signal. La première étape, c’est l’application de crèmes anesthésiantes sur la vulve. Ça m’a aidée dans une certaine mesure, mais, comme tout anesthésiant, les effets finissent par disparaître. La deuxième étape, c’est un traitement qui était utilisé comme antidépresseur auparavant (le Laroxyl NDLR.). Le mini dosage de ce médicament permet de calmer les nerfs. Quand j’ai commencé, ça marchait super bien. J’ai redécouvert ce que c’est de vivre sans avoir mal quotidiennement. Puis, sans trop savoir pourquoi, les effets ont diminué. J’ai augmenté les doses jusqu’à atteindre le stade où le médicament m’assomait. Mais même avec ces doses, à force, je ne ressentais même plus les effets, alors j’ai arrêté.
« Ça fait deux ans que je ne porte plus de jeans. »
Il faut savoir que quand tu as mal et que tu es dans l’appréhension constante d’avoir mal, tu contractes ton périnée sans t’en rendre compte. Cette contraction entretient les douleurs. Quand je me suis fait diagnostiquer, mon périnée était dans un sale état. J’ai commencé à voir un kinésithérapeute qui connaissait ce problème en parallèle des traitements. J’ai appris à décontracter mon périnée, et ça m’a beaucoup aidée.
Aujourd’hui, je vis avec la douleur, mais ce n’est rien comparé à l’époque où même marcher était compliqué. Certaines personnes sont à des stades encore plus critiques ; elles ne peuvent plus s’asseoir et doivent recourir à une procédure chirurgicale pour couper les nerfs. Et même cette solution n’obtient pas toujours les résultats escomptés.
La vulvodynie n’a pas seulement atteint mon vagin ; elle a remis en cause ma féminité. Il y a plein de façons de se sentir femme, mais quand tu as un problème aux parties génitales, ça fait beaucoup. J’avais 25 ans quand tout ça a commencé. Même si on ne cesse jamais de se construire, j’avais déjà trouvé ma façon d’être femme. Par exemple, mon look de base, c’était le jeans-basket. Ça fait deux ans que je ne porte plus de jeans à cause du frottement. Je suis cantonnée à un pantalon large et un jogging dans ma garde robe. Quand ton apparence te déplait, tu perds progressivement l’envie de prendre soin de toi, et tu finis par te trouver de moins en moins belle, attirante et séduisante. C’est comme si ma féminité et la femme que j’aspirais à être avaient été mises entre parenthèses. Tu as envie de plaire, mais pour quoi faire puisque tu es terrifiée par le sexe ?
« J’ai développé une grosse appréhension des rapports sexuels. J’avais peur d’avoir mal, que l’autre s’en rende compte et de paraître bizarre. »
Avant tout ça, je n’avais aucun problème sexuel. Même si la vulvodynie n’entraîne pas forcément de douleurs pendant les rapports, la sur-contraction du périnée peut en déclencher. Mes rapports sont devenus douloureux, accompagnés d’un problème de lubrification. J’ai fait avec pendant un temps, mais, lorsque les douleurs se sont intensifiées, j’ai développé une grosse appréhension des rapports sexuels. J’avais peur d’avoir mal, que l’autre s’en rende compte et de paraître bizarre. À cette époque, je couchais avec différentes personnes et je ne partageais pas assez d’intimité avec elles pour me confier. J’ai fini par être tétanisée et j’ai mis ma vie sexuelle en stand-by. Les médecins disent que développer une relation sexuelle et intime avec quelqu’un peut faciliter la guérison, ou du moins cesser l’appréhension et faire progressivement disparaître les douleurs. Depuis, je ne peux plus suivre mon désir et mes pulsions. Si je rencontre un mec en soirée, jamais je ne rentrerais avec. En général, à mon âge, quand tu es célibataire et que tu as envie de profiter, tu envisages la relation sexuelle avant le long terme. Aujourd’hui, c’est l’inverse pour moi. Je suis obligée d’aller à l’encontre de ma spontanéité et d’être dans la réflexion, parce que j’ai peur de paraître bizarre.
Ce qui m’a profondément révoltée dans tout ça, c’est de voir à quel point il est compliqué de poser un diagnostic sur quelque chose d’aussi problématique. C’est scandaleux de dire à un·e patient·e qu’on ne sait pas et qu’on ne peut rien pour elle. Ce constat s’applique à plein d’autres maladies gynécologiques, comme l’endométriose, qui n’a toujours ni explication, ni traitement. Il y a des personnes qui, au bout de dix ans de règles douloureuses et de vomissements, se font découvrir un kyste de neuf centimètres sur un ovaire. On nous dit que c’est normal d’avoir mal. Non ce n’est pas normal. Et je suis sûre que s’il y avait quelque chose d’aussi handicapant qui arrivait aux hommes, on trouverait une solution en un claquement de doigts.
« La médecine est la preuve que le sexisme entraîne inégalité et mépris, car notre santé est placée au second plan. »
Ce qui me désole en plus de tout ça, c’est de voir le nombre de personnes qui n’ont pas accès aux soins. Ces maladies peuvent se soigner en explorant différentes pistes médicales, en combinant gynécologie, sexologie, kinésithérapie, hypnothérapie, mais faut-il encore avoir les moyens. Moi je suis jeune, éduquée, je suis née avec internet et j’habite dans une grande ville, mais qu’en est-il des personnes qui sont dans des conditions beaucoup moins favorables ? Il faut investir dans la recherche médicale, éduquer les médecins et rendre les soins accessibles. La vulvodynie, l’endométriose, la vaginisme,… tout ça c’est le même problème : la médecine est la preuve que le sexisme entraîne inégalités et mépris, car notre santé est placée au second plan. »
*Nom d’emprunt.
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