Président de la Fédération des mutuelles de France (FMF) qui regroupe aujourd’hui 54 organisations mutualistes couvrant deux millions de personnes, Jean-Paul Benoit alerte nos futurs dirigeants : le coût de la santé ne va pas cesser d’augmenter.

Il faut donc repenser son financement et en finir avec le bricolage qui n’a abouti qu’à l’augmentation du prix des complémentaires santé. Un vrai débat électoral aurait peut-être permis d’aborder la question. Jean-Paul Benoit appelle le futur gouvernement à s’emparer du sujet.

La santé est la deuxième préoccupation des Français, juste après le pouvoir d’achat. On ne peut pourtant pas dire qu’elle soit au cœur de la campagne législative. Le regrettez-vous ?

Jean-Paul Benoit : J’ai une forme d’indulgence envers les partis politiques qui se retrouvent embarqués dans une campagne sans l’avoir voulue ni prévue. Ce qui explique la pauvreté de leur programme en santé : il y a bien quelques mesures par-ci, par-là, mais aucune cohérence et, surtout, rien qui réponde à l’importance des enjeux. La santé est une question majeure pour les Français, mais c’est une matière complexe, qui se prête peu à la démagogie. Sauf quand le Rassemblement national (RN) annonce la suppression de l’aide médicale d’Etat (AME). Mais tout le monde a bien compris qu’il est alors davantage question d’immigration que de santé.

Prenons les programmes de trois grands blocs en lice dans cette campagne. Que vous inspirent les propositions de Gabriel Attal, chef de file du camp présidentiel sous la bannière Ensemble ?

J.-P. B. : Sa proposition phare est la mise en place d’une complémentaire santé publique à 1 euro par jour pour ceux qui ne sont pas couverts par un organisme complémentaire d’assurance maladie (Ocam). Mais elle existe déjà : la complémentaire santé solidaire (CSS) coûte 30 euros par mois ce qui, si je ne m’abuse, ressemble de très près à 1 euro par jour !

Le Premier ministre propose également de relever le plafond annuel de ressources pour bénéficier de la CSS. Mais, à ce jour, sur les 4,5 millions de bénéficiaires potentiels, seulement 1,5 million y ont effectivement recours. Le véritable problème, c’est le non-recours ! La priorité n’est donc pas d’élargir la CSS à de nouveaux publics, mais de garantir l’accès à ce droit pour ceux qui en ont vraiment besoin.

Je note au passage que la CSS est essentiellement distribuée par la Sécurité sociale, mais elle est entièrement financée par les complémentaires santé par le biais de la taxe de solidarité additionnelle (TSA) : augmenter le nombre de bénéficiaires pèserait sur les comptes des mutuelles qui finiraient par augmenter leurs cotisations, créant de nouveaux exclus de la complémentaire santé qu’il faudrait aider, donc augmenter encore les cotisations, etc.

Venons-en au programme du Rassemblement national, qui tourne essentiellement autour de la suppression de l’AME. Qu’en pensez-vous ?

J.-P. B. : Le mouvement mutualiste a pris position contre ce programme qui ne compromet pas seulement notre pacte républicain, mais aussi notre système de santé et de protection sociale. De ce point de vue, la suppression de l’aide médicale d’Etat, qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins, est un cas d’école : c’est une idée stupide humainement, socialement et économiquement.

Avec l’AME, l’autre sujet du RN est la fraude sociale, toujours abordée sous l’angle de la fraude aux prestations. Pourtant, l’assuré est de très loin celui qui fraude le moins

Ne pas soigner une partie de la population, c’est compromettre la santé des autres. Et c’est un mauvais calcul car plus on tarde à prendre en charge une pathologie, plus elle finit par coûter cher. Hélas, le RN n’est pas le premier à prendre les migrants pour boucs émissaires : en 2021, le gouvernement Castex a instauré un délai de neuf mois pour que les bénéficiaires de l’AME puissent accéder à certains soins.

L’autre grand sujet du RN, c’est la fraude sociale. Cette question est toujours abordée sous l’angle de la fraude aux prestations. En réalité, 90 % de la fraude est faite par les employeurs sur les cotisations. Quant à la fraude aux prestations, elle s’effectue dans 80 % des cas avec la complicité d’un professionnel de santé. L’assuré est donc de très loin celui qui fraude le moins. Mais c’est toujours lui qu’on accuse.

Que retenez-vous du côté du Nouveau Front populaire (NFP) ?

J.-P. B. : Il y a quelques mesures intéressantes sur le médicament ou l’accès aux soins. Mais elles ne sont pas très cohérentes et ne font pas système. Les partenaires de la coalition n’ont eu que quelques jours pour s’accorder sur un programme commun : l’exercice était d’autant plus difficile qu’ils ont des désaccords sur les questions d’organisation et de financement de notre système de santé. Je regrette néanmoins qu’ils n’aient pas assumé collectivement le fait que notre système est sous-financé.

Le NFP annonce une grande loi santé : c’est le seul des trois blocs qui semble en faire une priorité

Le NFP annonce une grande loi santé : c’est le seul des trois blocs qui semble en faire une priorité. Mais les questions de financement ne pourront être réglées que si tous les partenaires de la coalition acceptent de sortir du mythe de la Sécurité sociale à 100 %. Face à la désorganisation de notre système de santé, vouloir confier 100 % de son financement à la Sécurité sociale n’a pas de sens.

J’en veux pour preuve les douze millions d’assurés en affection longue durée (ALD), qui sont censés être pris en charge à 100 % par la sécurité sociale : en réalité, leur reste à charge global est deux fois supérieur à la moyenne. En raison notamment des dépassements d’honoraires : dès lors qu’il n’y a pas de tarif de référence, il ne peut y avoir de prise en charge à 100 %. A la FMF, nous sommes engagés en faveur d’un haut niveau de sécurité sociale. Mais il faut savoir aller au-delà du slogan pour construire de véritables solutions.

Quelles sont, à vos yeux, les priorités en matière de financement de la santé ?

J.-P. B. : La maîtrise des dépassements d’honoraires en fait partie : au-delà de la disponibilité de l’offre de soins, elle pose la question de l’accessibilité financière aux soins. Rien ne justifie la flambée actuelle des honoraires. Je veux bien entendre que les études de médecine sont longues et exigeantes, mais elles sont entièrement financées par l’Etat. On ne me fera pas croire que les médecins sont sous-rémunérés alors qu’ils font partie du dernier centile de rémunération des Français.

L’autre grand sujet, c’est la couverture santé des non-actifs qu’ils soient jeunes ou retraités. Tous les actifs bénéficient d’exonérations sociales et fiscales sur leur complémentaire santé : les contrats dits « Madelin » pour les travailleurs non salariés, les contrats collectifs obligatoires pour les salariés du privé et, bientôt, pour les agents publics.

Les retraités, en revanche, paient le prix fort : leur complémentaire santé coûte en moyenne 150 euros par mois, soit environ 50 % de plus que celle des actifs, au motif que la consommation de soins augmente avec l’âge.

Mais, sur ce point, beaucoup d’assurés reprochent aux mutuelles de s’être alignées sur les pratiques des assureurs privés…

J.-P. B. : Le vrai problème remonte à 1985, quand on a laissé les assureurs privés entrer sur le marché des complémentaires santé. Auparavant, les mutuelles faisaient leur métier : mutualiser le risque en proposant le même tarif à tous les sociétaires, quel que soit leur âge.

A partir de 1985, les assureurs ont fait leur métier : sélectionner les risques et segmenter le marché pour apporter une réponse tarifaire ciblée. J’en profite pour alerter les agents publics : avec la réforme de la protection sociale complémentaire (PSC), les retraités de la fonction publique ne seront plus couverts. Ils ne bénéficieront donc plus de la mutualisation intergénérationnelle.

Quelle solution proposez-vous ?

J.-P. B. : Un retour à l’équité : puisque la TSA est ramenée à 7 % (au lieu de 14 %) sur les contrats responsables des salariés, elle doit aussi l’être pour les retraités. Il faudrait également forfaitiser le reste à charge hospitalier, qui pèse très lourd sur les retraités. Ces deux mesures permettraient de proposer des contrats à partir de 65 euros par mois sans déstructurer notre système de financement.

S’accrocher au mythe des cotisations sur la seule masse salariale est délétère. Il faudrait élargir l’assiette, comme on l’a déjà fait avec la CSG

De manière plus générale, nos dirigeants doivent comprendre que la santé coûte cher et, comme dans tous les pays développés, continuera à coûter de plus en plus cher. Notre système est sous-financé. Les gouvernements se contentent, année après année, de faire du bricolage pour trouver de nouvelles recettes.

Tout cela a abouti à l’explosion du coût des complémentaires santé. Mais cela ne peut plus durer alors que la démographie et la prise en charge de la dépendance vont peser très lourd. La dépendance, c’est l’éléphant dans la pièce : on en parle depuis trente ans mais on ne voit toujours rien venir. Il est temps de repenser le financement de notre système de santé : s’accrocher au mythe des cotisations sur la seule masse salariale est délétère. Il faudrait élargir l’assiette, comme on l’a déjà fait avec la CSG. Mais pour cela, il faut du courage politique…

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