Suite au décès de George Floyd, alors que les manifestations de Black Lives Matter battaient le pavé dans le monde entier, des dizaines de milliers de personnes ont fait de même en Belgique. Et dans le plat pays, la rue demandait au gouvernement de regarder en face son terrible héritage colonial.
Les manifestations qui se sont déroulées dans tout le pays, avec plus de 15 000 personnes dans les rues de Bruxelles, étaient une réaction à l’un des chapitres si ce n’est le chapitre le plus sombre de l’histoire de la colonisation européenne.
Les politiques meurtrières mises en place par le roi Léopold II lorsque la Belgique régnait sur ce qui est aujourd’hui la République démocratique du Congo, au 19e siècle, étaient si cruelles qu’elles révoltaient même les colonisateurs européens de l’époque.
Léopold avait appelé ce territoire de 5 fois la taille de la Belgique l’État indépendant du Congo. Il le dirigeait comme son fief personnel sans y avoir jamais mis les pieds, comme une entreprise privée, dans le seul et unique but de s’enrichir grâce aux ressources locales.
Entre 1885 et 1908, il a réduit en esclavage des millions de personnes qui vivaient là, les forçant à extraire du caoutchouc des plantes locales pour alimenter le marché florissant du pneu au niveau mondial. Une grande partie de la gestion des forces de travail, des populations esclaves, était confiée à des entreprises privées. Ces compagnies avaient ordre de tuer quiconque refuserait de travailler, mais elles devaient également présenter aux autorités une main coupée pour chaque personne tuée, ceci afin de prouver qu’elles respectaient leur part de ce sanglant marché et qu’elles n’allaient pas gaspiller les balles en parties de chasse.
« Pendant les 52 années qu’a duré la colonisation du pays, (…) la Belgique ne s’est jamais vraiment souciée d’augmenter le niveau de vie et d’éducation des Congolais » – Isidore Ndaywel-è-Nziem, historien
On estime à 10 millions, soit environ la moitié de la population locale de l’époque, le nombre de personnes tuées au cours des 20 années de règne du roi Léopold sur l’État indépendant du Congo. Un règne dont les blessures sont encore ouvertes dans le cœur des populations du Congo.
La Belgique a fini par retirer au roi Léopold toute autorité sur la colonie lorsque ses pratiques cruelles ont suscité l’indignation internationale. Ce territoire a été renommé sous le nom de Congo belge, conservant ce nom jusqu’à son indépendance, en 1960. Avant l’indépendance, la Belgique a maintenu les exploitations mises en place par Léopold, supprimant seulement les pratiques de maltraitance les plus cruelles.
« Pendant les 52 années qu’a duré la colonisation du pays, jusqu’au 30 juin 1960 avec l’octroi en hâte de l’indépendance, la Belgique ne s’est jamais vraiment souciée d’augmenter le niveau de vie et d’éducation des Congolais, » indiquait à VICE World News l’historien congolais Isidore Ndaywel-è-Nziem.
« La Belgique n’avait pas la moindre idée » de comment administrer sa colonie, expliquait Ndaywel-è-Nziem, parce qu’elle « n’avait pas eu d’autres colonies sur une longue période » comme cela avait été le cas de la France, la Grande-Bretagne ou le Portugal. Ces pays avaient eu l’occasion d’apprendre de leurs différentes expériences.
Il est toutefois important de signaler que les faits de maltraitance n’ont pas cessé après l’indépendance du pays. Patrice Lumumba, le chef de file le plus important et le plus percutant de ce mouvement d’indépendance, est devenu le premier Premier Ministre de la jeune République démocratique du Congo en 1960, à l’âge de 34 ans. Mais des mois d’instabilité politique ont abouti à un coup d’État trois mois plus tard.
Lumumba a été arrêté et assassiné dans d’étranges circonstances, et beaucoup de gens pensent que les autorités de la métropole, à Bruxelles, ont joué un rôle déterminant dans sa disparition, privant ainsi le pays de son leader indépendantiste. Son corps a été démembré et dissout dans l’acide, mis à part une de ses dents, qui a été conservée et emmenée en Belgique.
Au cours de l’année passée, la Belgique a décidé de revenir sur son héritage colonial, largement encouragée en ce sens par les manifestations de l’été dernier. Des statues du roi Léopold ont été déboulonnées dans tout le pays, parmi elles, un monument vieux de 150 ans qui a été incendié par les manifestants dans la ville flamande d’Anvers. À Gand, toujours en Flandre, une statue a été couverte de peinture rouge avant d’être finalement déboulonnée, elle aussi.
Le pays a également renommé bon nombre de ses infrastructures qui portaient jusque-là des noms en hommage à Léopold II, dont notamment le plus grand tunnel du pays, qui se trouve à Bruxelles ; il est prévu qu’il deviendra le tunnel Annie Cordy.
« Aujourd’hui, la douleur de ces actes est ravivée par la discrimination qui est malheureusement encore trop prégnante dans nos sociétés. » – le roi Philippe
Le monarque belge actuel, le roi Philippe a été poussé à écrire une lettre au président de la RDC, Félix Tshisekedi, pour reconnaître formellement le terrible héritage et les « blessures » de la colonisation. Il mentionnait ainsi « les actes de violence et de cruauté qui ont été commis et dont le poids est toujours très lourds dans notre mémoire collective. »
La missive a été envoyée le 30 juin, date anniversaire des 60 ans de l’indépendance de la République démocratique du Congo.
« Je voudrais exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé, a-t-il écrit. Aujourd’hui, la douleur de ces actes est ravivée par la discrimination qui est malheureusement encore trop prégnante dans nos sociétés. Je continuerai de combattre le racisme sous toutes ses formes. »
Si le roi Philippe s’est arrêté avant d’exprimer des excuses complètes, ses déclarations sonnent tout de même comme un geste fort de la part d’un membre de la lignée royale.
Après la fin des manifestations, le gouvernement a rapidement annoncé la mise en place d’une commission qui examinerait le passé colonial de la Belgique et le rôle de plusieurs institutions belges pendant cette période, en abordant principalement leurs actions en RDC. En octobre dernier, le président de ladite commission, Wouter De Vriendt, a promis que son équipe produirait « un inventaire des recherches historiques existantes sur le passé colonial belge et une impulsion pour une plus grande prise de conscience et de nouvelles perspectives. » Le rapport devrait être rendu public prochainement.
Toujours en octobre 2020, un tribunal belge a ordonné la restitution de la dent de Lumumba à sa famille. Un acte symbolique fort, même si les circonstances et les responsabilités de sa mort sont encore incertaines et discutées.
« Soixante ans après sa disparition, les restes de mon père, mort pour son pays, pour l’indépendance et pour la dignité des peuples noirs, vont enfin pouvoir reposer sur la terre de ses ancêtres. » – Juliana Lumumba
« Ma première réaction est bien évidemment de considérer cela comme une victoire importante, » déclarait sa fille Juliana Lumumba peu après la restitution de la dent. « Soixante ans après sa disparition, les restes de mon père, mort pour son pays, pour l’indépendance et pour la dignité des peuples noirs, vont enfin pouvoir reposer sur la terre de ses ancêtres. »
Cependant, beaucoup de gens en RDC estiment que la restitution des restes de Lumumba n’est pas suffisante pour apaiser la douleur provoquée par la disparition tragique de cet homme, une disparition qui a privé le peuple congolais d’un leader qui était un véritable symbole de la lutte anticoloniale.
En 2001, une commission parlementaire belge mandatée pour enquêter sur les circonstances de la mort de Lumumba avait conclu que le l’État belge avait « une responsabilité morale » pour les événements qui avaient conduit à l’assassinat du leader indépendantiste. L’an dernier, des procureurs belges annonçaient qu’ils allaient mener des investigations pour déterminer s’ils étaient en mesure d’engager des poursuites contre des individus impliqués dans cet assassinat.
Le pays attend les conclusions de plusieurs rapports sur le passé belge, mais il est clair qu’il reste beaucoup de travail à faire dans le présent, comme l’ont montré les manifestations BLM qui se sont poursuivies dans différentes villes du pays.
En janvier, à Bruxelles, des manifestants BLM ont encerclé la voiture du roi Philippe qui rentrait chez lui, comme un acte de plus au cours de manifestations qui dénonçait la mort inexpliquée de Ibrahima Barrie, un jeune de 23 ans décédé pendant sa garde à vue. Les autorités ont d’abord déclaré que Barrie avait violé le couvre-feu, avant de se rétracter lorsque l’heure du décès du jeune homme a été établie comme étant survenue plus d’une heure et demie avant le couvre-feu de 22 heures.
En mars, des centaines de manifestants antiracistes ont pris les rues de la ville wallonne de Liège, où la police anti-émeute a déclenché des affrontements avec des manifestants après qu’une vidéo d’une femme noire violemment appréhendée par la police s’est diffusée dans la foule.
Une année s’est écoulée depuis la mort de George Floyd et plus de 60 depuis l’accession de plusieurs pays africains à l’indépendance, mais les Africains demandent toujours justice. Pour le gouvernement congolais, les circonstances de la mort de Patrice Lumumba devraient être éclaircies, et la discrimination raciale ainsi que toutes les formes de néo-colonialisme doivent cesser.
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