Pour la retracer, les deux artistes ont composé un « autel païen » avec fleur de blé et déesses de la fertilité, évoquant la métamorphose de la miche à travers le temps, des premiers morceaux retrouvés dans des sarcophages égyptiens aux tranches industrielles Harry’s. Comme les protéines de gliadine et gluténine qui fusionnent lors de la panification pour former le réseau de gluten, Gerda et Jörg assimilent le pain à un trait d’union entre les individus – soulignant que le nom de l’expo est un dérivé du mot compagnon, « celui qui partage le pain ». Sa nature presque vivante le relie également aux précédentes créations du duo qui n’a eu de cesse d’explorer les mutations qu’engendre la rencontre de différentes matières. Un « pain d’azote » évoque par exemple le Kristallisator, une installation qui montrait la transformation progressive d’un engrais en structures de type corallien à la suite d’une série de réactions chimiques.
Tout au long de leur carrière, Gerda et Jörg ont aussi questionné les grandes problématiques écologiques et COPAIN ne fait pas exception. « Au-delà des thèmes qui nous sont chers, nous avons voulu adresser les changements qui ont eu lieu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la révolution verte à la réindustrialisation en passant par la tendance qu’on observe aujourd’hui d’un retour à l’ancienne manière de faire du pain », avancent-ils. Pour sensibiliser le visiteur à ce processus, le duo propose une série d’ateliers en partenariat avec des boulangeries artisanales du coin comme le Panificateur, Pain Pan ou le Bar à pain, histoire de prouver que les alternatives au pain industriel existent. Même si Gerda et Jörg réfutent toute affiliation au Eat Art, une partie des œuvres seront comestibles – une cabine en forme de confessionnel est mise à disposition du public pour des dégustations à l’aveugle. Il y aura aussi un microscope pour trouver « la plus belle miette du monde », rigolent-ils.
Par la simplicité de ses ingrédients, le pain est le dénominateur commun de nombreuses cuisines. Il est aussi celui vers lequel on se tourne quand les temps sont durs, COPAIN accueillent d’ailleurs quelques-uns de ces « aliments de famine », des pains faits à base de sciure. À la fin du mois d’octobre, les Français apprenaient l’augmentation imminente du prix de la baguette de pain – unique mesure capable, selon Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF), d’amortir la courbe ascendante des coûts de production – une série de phénomènes météorologiques dévastateurs ayant fait s’envoler le tarif du blé cet été, venant rappeler que le pain n’est pas une denrée illimitée.
Pour les deux artistes, il est de toute façon beaucoup plus que ça. « Au fond, ce qui nous touche, c’est la vie avec tout ce que ça inclue de transformation et de mort. Quand tu manges du pain, il te nourrit et semble disparaître. Mais si tu fais tes besoins dans un champ, tu vas le fertiliser et aider les céréales à pousser. C’est un super cycle ». Dans le monde de Gerda et Jörg, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Surtout en pain.