L’établissement “est pionnier dans ce domaine, les équipes médicales ont mis tout en œuvre pour débuter ces actes dès que possible”, expliquait le CHRU de Nancy dans un communiqué. Chez les patientes du service, l’attente était “très forte”, assure le docteur Mikael Agopiantz, médecin coordinateur du service.
Et d’autres établissements lui ont emboîté le pas. Sollicitée par Le HuffPost, la Direction générale de la santé (DGS) confirme que “des inséminations de ces nouvelles bénéficiaires ont déjà pu avoir lieu dans certains centres”, sans donner de chiffres. Car la demande a explosé depuis la promulgation de la loi.
Dans le détail, entre le 2 août et le 15 octobre 2021, 2753 demandes de premières consultations ont été enregistrées dans les centres de don en vue d’une PMA (Procréation médicalement assistée ou AMP pour aide médicale à la procréation) avec don de spermatozoïdes, dont 2487 concernent des PMA pour toutes, révèle au HuffPost la DGS. Parmi ces 2487 demandes, 1171 d’entre elles ont été faites par des couples de femmes et 1316 des femmes seules.
Au CHRU de Nancy, on décompte “cinq fois plus de demandes” et les délais pour obtenir un premier rendez-vous sont passés de trois à cinq semaines”. Mais c’est parfois beaucoup plus long.
Des longs délais d’attente
Mélanie et Emily, toutes les deux âgées de 32 ans, font partie de ces femmes. “Nous avons eu un premier contact avec le Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain, NDLR) de Toulouse le 19 juillet 2021 et un rendez-vous a été fixé près de quatre mois plus tard, le 5 novembre”, explique la première.
Elles ont alors rencontré la gynécologue qui s’occupera de leur parcours. “Tout s’est bien passé, mais elle ne nous a pas donné de date pour une éventuelle insémination”. Un autre rendez-vous a été fixé le 28 janvier 2022, mais cela peut ensuite prendre des mois, voire des années, avant une FIV.
Preuve que les délais sont souvent longs: parmi les 2487 demandes de couples de femmes et de femmes célibataires entre début août et mi-octobre, seul un quart d’entre elles (665 précisément) avaient débouché sur des consultations. “934 premières consultations ont été réalisées, dont 352 au bénéfice de couples de femmes et 313 pour des femmes non mariées”, indique la DGS.
Des chiffres très loin de l’optimisme d’Olivier Véran en mai dernier. Interrogé à ce sujet sur Sciences Po TV, il avait assuré “que le premier bébé né par PMA d’un couple de femmes ou d’une femme seule naîtra avant la fin du mandat, c’est possible”. Il aurait fallu pour cela que les premières inséminations aient eu lieu juste après la promulgation de la loi, début août.
“Je ne sais pas si en disant cela, Olivier Véran avait bien conscience des délais d’attente, soupire la présidente de la fédération des Cecos Catherine Guillemain. Les professionnels sont dans une position inconfortable car ils ne souhaitent pas être désignés comme les responsables de l’éventuel échec de la mise en place de la PMA pour toutes”.
Des disparités géographiques
Mais alors comment expliquer que cela prenne tant de temps? Comme le souligne la DGS au HuffPost, “de longs délais d’attente – douze moins en moyenne et jusqu’à vingt mois parfois – préexistaient déjà au moment de l’entrée en vigueur de la PMA pour toutes”.
“Personne ne s’émouvait de ces délais avant la promulgation de la loi, soutient Catherine Guillemain. Maintenant qu’on a constaté les délais, il va falloir les expliquer et trouver une solution pour les réduire. Cela va prendre du temps”.
La Direction générale de la santé tient à rappeler que “7,3 millions d’euros ont été investis en 2021 afin d’accompagner la mise en œuvre de la nouvelle loi”. “Ces crédits doivent permettre de compléter les équipements et de procéder aux recrutements nécessaires pour répondre aux nouvelles demandes”, ajoute la DGS.
Des crédits supplémentaires qui ne suffiront pas selon Catherine Guillemain. “On se bat pour l’utilisation à bon escient des sommes allouées pour la mise en place de ces nouveaux parcours, mais les sommes, bien qu’elles soient importantes, sont encore insuffisantes. Elle note surtout des disparités importantes selon les centres. “Les professionnels sont en train de s’épuiser, ajoute-t-elle. Il y a des petits centres où même en travaillant à plein régime il est difficile d’assurer tous les rendez-vous”.
“Les délais d’attente et l’organisation des parcours d’AMP varient d’un centre ou d’un établissement à l’autre”, reconnaît la DGS. Le comité de suivi observera régulièrement les délais d’attente dans chacun des centres et l’opportunité de proposer des transferts entre centres de façon à accompagner au mieux l’ensemble des demandeurs, sans discrimination”.
Un comité de suivi, piloté par l’Agence de la biomédecine, est chargé de collecter des données d’enquêtes et faire remonter les préoccupations des professionnels de santé et des patients sur le terrain. Le premier s’est déroulé le 15 novembre dernier et un deuxième doit avoir lieu en février 2022 pour “permettre de faire le point sur les délais d’attente et leur évolution”, indique au HuffPost la DGS.
Les stocks de gamètes suffisants?
Autre sujet d’inquiétude: la question des dons de gamètes, spermatozoïdes et ovocytes, qui risquent de ne plus suffire à combler la demande alors que les délais sont déjà longs. “Nous n’avons pas assez de donneurs en regard du nombre de demandes”, déplore Mikael Agopiantz, médecin à l’hôpital de Nancy.
“Nous sommes historiquement un des centres avec le moins de délais de prise en charge dans le cadre du don, mais quand on regarde la situation catastrophique du don de gamètes en France, cela risque d’évoluer”, ajoute-t-il.
Virginie et Jennifer, âgées de 35 ans et toutes les deux habitantes de Beauvais, assurent que le Cecos de Roue, où elles sont suivies, reçoit toujours des dons. En revanche, il leur a été confirmé la difficulté à “offrir des gamètes correspondant au phénotype d’une des deux mères métisse”. “Ils n’iront pas chercher ailleurs”, ajoute Virginie.
L’Agence de la biomédecine, l’organisme public qui gère les PMA, a donc lancé en octobre une campagne d’encouragement au don de sperme et d’ovocytes, afin de combler ce manque.
“L’état des stocks de gamètes est aujourd’hui suffisant pour faire face à la demande”, se contente de répondre la DGS, qui assure la campagne a entraîné “une hausse importante du nombre de donneurs, notamment de spermatozoïdes”. “Ce n’est pas la principale préoccupation des centres”, confirme Catherine Guillemain qui assure qu’il faut avant tout “ouvrir les dossiers et lancer les parcours”.
Faut-il dédommager les donneurs?
Mais pour la présidente de la fédération des Cecos, la difficulté réside dans le changement des règles quant à l’anonymat du donneur. En effet, l’article 5 de la bioéthique prévoit le consentement du donneur à la communication de son identité et de ses données non-identifiantes à la personne née de son don qui en ferait la demande, devient une condition sine qua non du don.
Une mesure qui prendra effet à partir du 1e septembre 2022. “Il faut du temps pour constituer un stock de paillettes compatible avec le futur système”, note Catherine Guillemain.
Mikael Agopiantz juge également ces questions cruciales. Il critique notamment “l’absence de modification réglementaire significative quant au don de gamètes, comme la non-levée de l’anonymat du donneur, l’impossibilité pour les centres privés d’organiser le don de gamètes, l’impossibilité pour les centres d’importer des gamètes ou le fait que les donneurs ne soient pas dédommagés financièrement”.
Et de conclure: “Tant que nous n’avancerons pas sur ses grandes thématiques, nous n’avancerons pas sur les délais”.