D’ailleurs, après ces quelques semaines, il a été plutôt convaincant quand il m’a demandé s’il n’était pas temps de lui pardonner et de « tout simplement » avancer ensemble.
En dehors des sentiments dépressifs et des blocages que ça implique dans les nouvelles relations, je peux comprendre qu’assumer la responsabilité d’un adultère – acte considéré comme un péché mortel dans notre société – n’est pas seulement difficile : ça peut aussi vous hanter pour le reste de votre vie. Tout d’un coup, vous ne « méritez » plus la confiance de vos ami·es et de votre famille. Certain·es disparaissent même de votre vie. Dès que vous rencontrez une nouvelle personne, tout le monde garde un œil sur votre vie privée. Et puis, cette question se pose : faut-il parler de votre erreur ou préférez-vous éviter le risque ?
C’est précisément la véhémence de ces jugements qui m’a poussée à raconter eux gens ce qui s’était passé avec mon ex seulement un an plus tard. Avant ça, dans ma « logique » confuse, je me disais qu’on ne pouvait pas expliquer une telle chose à ses proches – j’aurais été folle de rester avec un mec aussi nul. Alors je ne leur ai rien dit, et ma santé mentale a continué à décliner.
Une liaison laisse des cicatrices profondes, chez les deux partenaires. Alors comment faire face à l’infidélité lorsque qu’en tant qu’« auteur·e », on ne peut généralement compter que sur peu de sympathie ou de soutien ? Comment reprendre sa vie en main ? J’ai parlé avec des personnes qui avaient trompé leur moitié, notamment sur les conséquences. J’ai aussi parlé à Joke Bruggenkamp, psychologue et coach en relations, et Vanessa Muyldermans, psychologue et sexologue, deux spécialistes qui en savent peut-être le plus sur l’acte d’adultère.
Qu’est-ce que ça fait de tromper ?
Peter M. (38 ans)
« L’infidélité vient souvent de la peur et de l’impuissance, du fait de ne pas être capable de choisir pour soi-même. Dans notre société, on n’est pas encore prêt·es pour les vraies relations libres. La relation avec mon ex, avec qui j’ai été pendant 22 ans, tournait principalement autour des attentes des autres : maison, jardin, animaux, enfants… J’étais coincé dans un style de vie qui ne me convenait pas vraiment. Nos libidos étaient également très différentes, ce qui me donnait souvent l’impression d’être rejeté. Comme si ma bite n’existait pas.
Ma nouvelle fréquentation m’a permis de me sentir sexy, et je m’étais jamais senti comme ça auparavant. Elle m’a montré que je pouvais être moi-même, y compris sexuellement. J’étais dépassé, je me disais : “Est-ce que ça existe vraiment ? C’est vraiment possible ?” Quand je rentrais chez moi, je me retrouvais toujours dans les mêmes vieux schémas. Quand j’ai recommencé à la tromper, un tout nouveau monde s’est ouvert à moi, dans lequel j’ai pu attirer l’attention des autres. Mais ça a aussi provoqué des incertitudes. Je savais que j’étais pas à ma place, mais quelle était ma place dans le monde ? J’ai dû payer le prix fort pour cette révélation.
« Quand j’ai recommencé à la tromper, un tout nouveau monde s’est ouvert à moi, dans lequel j’ai pu attirer l’attention des autres. Mais ça a aussi provoqué des incertitudes. »
Comme mon ex et moi étions ensemble depuis notre adolescence, tout était lié : les ami·es, la famille, les étapes franchies ensemble. J’ai pas eu la force de lui dire ce qui s’était passé. Quand elle l’a découvert, j’ai littéralement tout perdu. Tout le monde me voyait comme l’auteur d’un crime. C’est comme ça que je l’ai senti. Personne ne voulait entendre ma version des faits. Une fois de plus, j’étais rejeté. Le jour de mon divorce, j’ai garé ma voiture à côté de la voie ferrée et j’ai regardé droit dans les phares du premier train qui est passé.
Au cours des années qui ont suivi le divorce, j’ai appris à mieux me connaître et à m’aimer davantage. Quand je me suis senti mieux dans ma peau, j’ai rencontré ma nouvelle copine. Avec elle, j’ai appris à mieux me connaître et à mieux me comprendre. On a également pour mission de rendre les discussions à propos du sexe et des relations plus ouvertes. La rupture avec mon ex était dure, mais elle a conduit à un magnifique nouveau départ pour moi. Peut-être que j’écrirai un livre à ce sujet, quand je serai prêt. »
Jeanine K.* (63 ans)
« Je ne condamne pas les gens infidèles. On doit comprendre que la monogamie n’est pas la seule option. Certaines personnes peuvent tout simplement tomber amoureuses de plus d’une personne en même temps. Si vous avez deux enfants, en aimez-vous un plus que l’autre ? Je pense qu’il est très peu éthique de préférer une personne à une autre. On accepte que les gens aient des sentiments pour plus d’une personne dans tous types de relations, sauf en matière d’amour. Vous avez aussi plusieurs ami·es, non ?
Quand j’étais fiancée, j’ai rencontré un ex dans un parc. On s’est pris·es dans les bras, ça a fait tilt, et il m’a demandé de sortir avec lui. Je suis rentrée chez moi et j’ai dit à mon fiancé que j’aurais aimé sortir avec cet homme. Il m’a dit : “Faites ce que vous voulez, mais ne me mêlez pas à ça”. J’avais assez peur de lui dire, mais je ne voulais pas non plus lui mentir. Vous considérez ces sentiments comme de l’adultère ? Ça dépend de ce que vous en faites. Vous pouvez toujours avoir plusieurs partenaires en même temps de manière correcte.
« Je ne condamne pas les gens infidèles. On doit comprendre que la monogamie n’est pas la seule option. »
J’ai été avec mon mari pendant plus de trente ans. Pendant les dix premières années, j’ai dit à personne que j’avais ce type de relations, pas même à mon meilleur ami. Après ça, j’ai jamais eu de réactions négatives de la part de mon entourage, mais mes partenaires en avaient parfois, du type : “T’as pas de face ?”. En plus, aucun de mes partenaires n’a jamais eu le courage d’admettre ouvertement qu’ils avaient aussi une deuxième partenaire. Au travail, des collègues étaient au courant. J’ai emmené mon mari et mon petit ami avec moi quand j’ai été promue. Je m’en fous si quelqu’un ne me comprends pas – je suis qui je suis, et je ne le renie pas. »
Maaike.* (28 ans)
« Avoir des sentiments pour quelqu’un d’autre ressemble parfois presque à une psychose. C’est ce qu’a dit mon mari qui est infirmier en psychiatrie quand je lui ai annoncé, deux semaines après l’adultère, que j’avais une relation avec un collègue. J’étais tellement amoureuse que ça ressemblait presque à un trouble du DSM. J’avais aussi besoin de ces deux semaines pour moi afin de décider ce que je voulais faire de ces sentiments. Je me suis sentie à la fois divine et horrible quand j’ai dit à mon mari que j’allais passer la nuit chez un ami et que j’allais en fait voir mon collègue. À la base, je voulais vraiment être honnête avec lui. Mais parfois, ça peut aider de se dire que ça ne fera pas de mal si l’autre n’est pas au courant. Pourtant, j’étais broyée de remords sur le chemin du retour. Plus tard, quand on a dit à notre famille et à nos ami·es que j’avais un petit ami en plus de mon mari, les réactions ont été mitigées. Une personne a immédiatement voulu couper tout lien avec nous, et j’ai jamais pu le dire à un autre membre de la famille. D’un autre côté, une de mes amies pouvait me comprendre : elle voyait ce qui me manquait dans ma relation et comment je pouvais retrouver ça avec un autre.
J’ai eu une relation passionnée mais très compliquée avec mon collègue pendant quatre ans. Bien que mon mari le savait et qu’ils se soient rencontrés d’une belle manière – mon collègue-amant a offert à mon mari une bouteille de whisky et lui a dit qu’il m’aimait, ce que mon mari a également accepté –, sa propre femme ne devait rien savoir. À un moment donné, sa famille a découvert, à cause d’un de mes mails, qu’on avait une relation ; et ça a complètement perturbé sa sphère. Malheureusement, les dommages irréparables que j’ai causés sont irréversibles.
« Malheureusement, les dommages irréparables que j’ai causés sont irréversibles. »
En 2017, notre relation a pris fin. En 2019, on m’a diagnostiqué un cancer. Quand je l’ai croisé, mon ex, le collègue, s’est approché de moi et m’a serré dans ses bras. Mais plus tard, il s’est mis très en colère à cause du mail que j’avais envoyé. Il m’a même menacé, ma famille et moi. Je l’ai pas vu depuis un moment à cause du Covid. Peut-être que ce serait mieux si je n’avais plus jamais à le croiser.
Aujourd’hui, c’est mon mari qui a une petite amie, qu’il a rencontrée en 2015. Je l’ai vue à plusieurs reprises. Parfois, on va à trois au sauna, et je vois aussi ce qu’il voit en elle. C’est simplement une femme très gentille. Je m’engage à ce qu’elle se sente en sécurité et accueillie, ce qui n’était pas le cas avec la femme de mon ex-petit ami. Je vais bientôt me faire une sortie avec elle. »
Tromper est-il le moyen ultime de se libérer ?
Alors que dans notre société, on ne veut rien savoir des soi-disant « coupables », les thérapeutes de couple qui les reçoivent quasi tous les jours (avec leurs partenaires) sont peut-être les personnes qui en savent le plus sur l’infidélité.
La psychologue et coach en relations Joke Bruggenkamp nous décrit l’adultère comme une stratégie que les gens peuvent utiliser inconsciemment lorsque leur relation traverse une période difficile. Une action aussi radicale peut être, selon elle, le moyen ultime de se libérer de schémas relationnels qui ont un effet négatif (in)conscient sur vous. Pensez au fait qu’on ne vous regarde pas, que vous devez toujours vous adapter, que vous ne recevez que peu d’attention ou pas d’attention du tout. « Tromper est presque une réaction physique, explique Bruggenkamp. Votre corps veut être désiré et admiré à nouveau. Puis quand vous trouvez quelqu’un qui rallume la flamme, vous en voulez encore plus. »
« Tromper est presque une réaction physique. Votre corps veut être désiré et admiré à nouveau. Puis quand vous trouvez quelqu’un qui rallume la flamme, vous en voulez encore plus. »
Dans son travail de psychologue et de sexologue, Vanessa Muyldermans voit la tromperie « non pas comme une situation où un·e partenaire est victime et l’autre auteur·e ». Pour elle, il s’agit souvent d’un long processus d’accumulation que vous ne pouvez pas exactement retracer jusqu’au tout premier moment où les choses ont mal tourné, quand le premier « domino » est tombé. De nombreuses personnes qui trompent sont elles-mêmes choquées par cette situation. « Sur le moment, les gens qui trompent ne sont absolument pas conscients des dommages qu’ils vont causer à leur partenaire. Beaucoup n’ont pas non plus l’intention de quitter leur partenaire, mais considèrent leur tromperie comme un événement isolé, ou comme une distraction des problèmes de leur propre relation. »
Alors, devez-vous admettre l’existence d’une tromperie dans votre relation ou est-il préférable de ne pas en parler, pour la paix domestique ? Selon Joke, la meilleure façon de décider, c’est de voir par soi-même. Si vous êtes capable de laisser l’incident derrière vous et de maintenir votre relation avec votre partenaire, vous pouvez choisir de ne rien dire. « Mais si vous ne pouvez pas mettre derrière vous un tel incident et que vous devez faire un effort pour rester vigilant·e quand vous êtes avec la personne qui partage votre vie afin qu’elle ne le découvre pas, eh bien, c’est juste une perte d’énergie. »
*Noms d’emprunt. Les vrais noms sont connus de la rédaction.
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