“Je me suicide si Zemmour est élu”
L’angoisse politique
Kevin n’est pas le seul patient qui évoque le début de la campagne présidentielle 2022 comme traumatique. Les idées inouïes, au sens premier, c’est-à-dire non entendues publiquement tout au moins depuis des décennies, car le racisme et le sexisme sont bannis. Assiste-t-on à une levée de refoulement? Que des sentiments primaires de colère, de haine de l’autre fassent partie de l’être humain, c’est certain. Que l’éducation, la culture servent à les contenir, les discipliner, c’est tout aussi certain et c’est indéniablement une condition de vie en société. Sinon, c’est la violence, la loi de la jungle. Ce sont des idées inouïes qui déstabilisent tellement elles sont bêtes. Simplistes. Suffit-il d’affirmer n’importe quoi haut et fort pour que ce soit vrai? Les faits sont là pour prouver le contraire, mais on est déjà passé à autre chose. Un autre sujet tout aussi peu démontré est exprimé, de la même manière, et ainsi de suite…
Kevin reprend la parole. “Le suicide politique, c’est efficace! Autant d’un malheur individuel faire quelque chose d’utile… Et puis, c’est hyper classe. Avec les copains, on se dit autant finir en beauté… Ce serait ingouvernable pour Z si on est des centaines, des milliers peut-être à choisir de mourir pour résister à la barbarie. Le mieux ce serait de s’immoler sur les ronds-points. Ça aurait de la gueule! Les ronds-points, c’est devenu politique avec les Gilets jaunes. C’est une agora désormais. Et s’immoler, c’est comme ça qu’un petit épicier tunisien a fait démarrer les Printemps arabes. Ce Z qui veut débaptiser certaines personnes, leur faire changer de noms, mais vous vous rendez compte?! C’est leur dénier une identité qui leur est propre. Oui bien sûr, une psychanalyste se rend bien compte du poids symbolique de négation de l’être que ça revêt. Si certains préfèrent se faire sauter la cervelle, sur un rond-point, c’est comme les gens préfèrent…”
Un instant de silence. Silence bien venu. Que des trentenaires aient ce type de discussions, ça interroge. Ces plaisanteries en disent long…
Où en sommes-nous?
L’angoisse politique fait frémir. Elle peut pousser des gens à déclarer vouloir voter pour un trublion parce que la déception est déjà bien présente, palpable et les inquiétudes nombreuses. Certes, ce n’est pas seulement tel ou tel qui les crée. En fait, l’angoisse politique résulte de la prise de paroles de certains qui vomissent de la haine et s’invectivent. L’angoisse politique est de plus en plus présente. Elle se manifeste directement ou indirectement. Certains en font une dépression. De nombreux patients sont comme Kévin, de nombreuses personnes dans la société aussi. Sans aller jusqu’au suicide politique bien sûr, dans l’anxiété généralisée de nos concitoyens, l’incertitude occupe une place de choix.
Les effets de l’environnement social sur le psychisme ne sont plus un secret pour personne. Le rebond sur des traumas individuels crée une intensité inattendue. Un effet d’accumulation produit un univers mental où l’interprétation des menaces occupe de plus en plus le sujet. L’univers interne est devenu oppressant.
Peut-on penser LE politique?
Peut-on juste penser? Il est urgent de réfléchir.
Une jeune fille de 14 ans s’est pendue. “C’est pas nous!”. Ce n’est pas un homicide, au sens premier du terme c’est vrai: c’est la faute à personne.
On peut quand même s’interroger sur ce qui amène une jeune fille à passer à l’acte, à se donner volontairement la mort. Quelles violences endurées motivent sa décision?
Et c’est là où le niveau de violence dans lequel nous baignons a un effet, car c’est un terreau. Quand on entend comment s’invectivent les “grandes personnes”, les adultes et les grands de ce monde qui ont accès aux médias, alors on comprend mieux le harcèlement des ados. Ils suivent à la lettre le modèle. C’est ce qui a tué Dinah. Certains peuvent-ils se taire? Ont-ils un peu de conscience?
Injures sexistes
Nous baignons tous dans un brouhaha médiatique permanent, les chaînes en continu et les alertes info sur les téléphones induisent une tension qui n’arrête jamais. Sans toujours tenir des propos injurieux, vulgaires, du registre de l’argot, l’injure est présente, tout le monde l’entend sans que ne soient proférés des mots sales.
Nous pourrions citer de nouveau comment Sandrine Rousseau fut traitée de “Greta Thunberg ménopausée”.
Une autre de mes patientes, Noëlle, participe à l’élection du Prix du Macho de l’année et me tient au courant de certaines saillies. Avant d’être un sketch, censé être drôle, ce sont des phrases qui déboulent dans l’espace public et qui ont des effets délétères.
On s’étonne parfois de la violence des relations dans les cités entre garçons et filles. N’est-ce pas un tantinet hypocrite? Ou serait-ce l’indicateur d’un rejet de classes sociales? Le harcèlement des filles trouve l’une de ses origines dans ce qui se passe chez les adultes.
L’injure n’est-elle pas déjà économique?
Les violences symboliques ouvrent la porte à des angoisses permanentes.
C’est sur les violences symboliques que se bâtissent toutes les autres, les violences psychologiques franches, les violences physiques ou sexuelles comme si elles étaient autorisées. Leur gravité ne dépend pas seulement des mots prononcés ou des actes posés, mais aussi de la façon dont chaque personne les vit. Nous ne sommes pas égaux devant les répercussions psychiques qu’un même fait entraîne. La fragilité particulière et singulière repose sur un vécu.
Aussi la violence politique est à modérer du côté de l’émetteur. Il est à la fois responsable et coupable. Quiconque veut exercer des responsabilités ne peut ignorer l’importance des conséquences de ses faits et gestes. Ignorer l’éthique est une faute politique, car c’est mettre à mal la population. Quel projet politique le mériterait? Au nom de qui prétend-on faire de la politique?
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