Ça, c’est exactement le but des speedrunners. Comme leur nom l’indique, ils parcourent les jeux aussi vite que possible, élaborant et déployant toutes sortes de stratégies pour battre des records dans pratiquement tous les jeux vidéo existants. Prenez le premier qui vous vient en tête : il y a de fortes chances qu’il y ait des dizaines, des centaines, voire des milliers de personnes qui s’efforcent de terminer ce jeu très, très rapidement.
Pour les joueurs comme moi, ça peut sembler un peu étrange. Quand je pense que j’ai passé plus de 300 heures sur un jeu Zelda — que certains speedrunners peuvent terminer en moins de 25 minutes — j’en viens à me demander ce qu’ils y trouvent comme plaisir.
Il ne fait pourtant aucun doute que pour certains, le speedrun est aussi fascinant qu’amusant. Le phénomène est d’ailleurs tellement populaire qu’il possède sa propre communauté sur YouTube : sur des chaînes comme Summoning Salt par exemple, vous pouvez trouver l’histoire détaillée des différents records internationaux de speedrun. Ce style de gaming a même engendré un événement caritatif annuel, Games Done Quick, où les speedrunners terminent une série de jeux aussi vite que possible en direct afin de récolter des fonds pour la recherche contre le cancer.
L’un des principaux attraits du speedrun est de démontrer comment les limites du jeu peuvent être facilement contournées. En bref, les speedrunners étudient un jeu de façon si approfondie qu’ils sont capables d’en découvrir tous les glitchs, puis de les exploiter à leur avantage.
Cela leur permet de sauter des niveaux, traverser des zones et skipper de gros morceaux de l’histoire, réduisant ainsi considérablement le temps nécessaire pour venir à bout du jeu. Il y a quelques semaines, un speedrunner connu sous le nom de Mitchriz a réussi à terminer Sekiro : Shadows Die Twice, le célèbre jeu PS4 de FromSoftware, en deux heures… et les yeux bandés.
Mais où est le réel plaisir à jouer de cette façon ? J’ai posé cette question à Karel van Duijvenboden, 37 ans, un Néerlandais d’Utrecht et actuellement speedrunner numéro 1 mondial sur Super Mario Kart. Le gars peut terminer le jeu complet en 29 minutes et 51 secondes. À ce jour, il a déjà participé à 17 championnats Super Mario Kart différents.
VICE : Depuis combien de temps es-tu speedrunner ?
Karel van Duijvenboden : J’ai commencé à 18 ans. C’est un passe-temps qui a pris plus de place que prévu. À l’unif, j’avais pas mal de temps libre alors j’ai commencé à jouer à Super Mario Kart avec des potes. C’était en 2002. En 2007, j’ai participé à mon premier championnat en France.
Tu étais le premier joueur non français à participer, non ?
J’étais le premier joueur qui ne parlait pas français, oui. Il y avait aussi deux Suisses en compétition, mais tous les autres joueurs du tournoi étaient français.
Les Français sont les meilleurs sur Super Mario Kart. Pourquoi ?
Le jeu était incroyablement populaire à l’époque de sa sortie sur la Super Nintendo Entertainment System (SNES) en 1993. Son successeur sur Nintendo 64 n’a pas eu autant de succès, les ventes ont été beaucoup plus faibles. C’est donc la version à laquelle beaucoup de Français jouent encore actuellement. C’est aussi la conséquence d’un cercle vertueux : lorsqu’on accueille les championnats du monde, on s’investit davantage dans le jeu.
Tu skippes pas mal de bouts de piste. Tu n’as jamais l’impression de prendre des raccourcis injustes ?
On peut avoir l’impression de tricher, mais il s’agit surtout de technique. Il faut savoir comment le jeu fonctionne et connaître les cadres exacts dans lesquels faire les bons moves, ce qui demande beaucoup d’entraînement. C’est une question de millisecondes. Pour moi, c’est comme être un athlète de haut niveau. Pour arriver à faire ce qu’on fait, on a dû s’entraîner énormément. On est bien plus doués pour ces jeux que le commun des mortels. Tu ne vas jamais demander à un footballeur pro de taper la balle avec toi dans la rue, pas vrai ? Tu sais d’avance que si tu fais ça, tu vas perdre.
Donc si je t’invite à jouer une partie de Mario Kart avec moi sur ma Gamecube, tu vas d’office me battre ?
Mhh pas nécessairement, car tous les Mario Kart ne sont pas créés de la même manière. Sur Super Nintendo je suis très doué. Je pourrais te donner deux tours d’avance et quand même remporter le truc. Mais sur Gamecube, je ne sais pas.
Est-ce que tu gagnes de l’argent avec le speedrun ?
Non. Je bosse tous les jours comme bio-informaticien, c’est-à-dire que j’écris des programmes qui aident à découvrir des maladies. Dans mon job en particulier, on recherche les déviations de l’ADN qui causent certaines arythmies cardiaques.
Ça ressemble aussi à un truc où la vitesse et l’optimisation sont des facteurs importants de réussite.
Tout à fait. Plus vite tu traites toutes les infos, plus vite tu disposes de celles dont tu as besoin pour rechercher ce qu’il faut dans l’ADN. Je suis constamment en train d’optimiser, et les capacités gagnées avec le speedrun m’aident beaucoup.
Y a-t-il des moments où tu aimerais pouvoir mettre ces compétences en off ?
Parfois, oui. Ces trois dernières années, j’ai été responsable de l’organisation des championnats du monde et c’était énormément de travail ; j’en ai un peu marre de ça. J’ai envie de participer à la prochaine édition, mais je ne pense pas que je reprendrai la première place, même si je crois que pour le moment, je suis toujours numéro 1 en contre-la-montre. La règle est simple : plus tu as d’années de jeu au compteur, meilleurs seront tes temps. Je n’ai donc pas à les défendre activement, alors qu’aux championnats du monde, il faut faire ses preuves encore et encore.
Tu te décrirais donc comme un speedrunner qui aurait besoin d’un peu plus de calme et de tranquillité ?
Dans la vie, mon but c’est de m’amuser. Et pour y arriver, la vitesse n’est pas toujours le paramètre le plus important. Pour profiter au maximum de la vie, il faut savoir prendre conscience de la nécessité d’une certaine… inefficacité.
Cet article a été initialement publié sur VICE Netherlands.
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