Des rayons quasiment vides : tel fut le résultat de plusieurs opérations menées fin janvier 2024 par la Confédération paysanne dans des supermarchés pour en retirer tous les miels importés. De quoi marquer les esprits et alerter l’opinion tant les miels occupent de nombreux linéaires.

Et pour cause, il y en a de toutes sortes : miel d’acacia, de châtaignier, de tilleul, de montagne ou de garrigue… A chacun sa spécificité – monofloral ou polyfloral –, sa coloration et son goût, liés à la fleur (ou aux fleurs) que les abeilles vont butiner.

Par souci de transparence, une définition de ce qu’est le miel a été précisée en 2001 par une directive européenne :

« Le miel est la substance sucrée naturelle produite par les abeilles de l’espèce Apis mellifera à partir du nectar de plantes (…) qu’elles butinent, transforment en les combinant avec des matières spécifiques propres, déposent, déshydratent, entreposent et laissent mûrir dans les rayons de la ruche. »

Or du « miel » ne répondant pas à cette définition traverse en masse nos frontières. Selon Etienne Bruneau, vice-président du groupe de travail « miel » du Copa Cogeca, section apicole du syndicat européen des associations et des coopérations agricoles de l’Union européenne, « le miel serait même, le produit alimentaire générant le plus de fraudes au monde ».

Sont notamment pointées du doigt la Chine et la Turquie, où du miel dit frelaté peut être produit en usine à partir d’un mélange de glucose, fructose, maltose d’acide gluconique et de pollens exogènes (permettant de flouer les tests, car ce sont les pollens qui déterminent l’origine du miel) ou dilué avec du sirop de sucre (obtenu à partir de céréales telles que le riz, le blé, de maïs…).

L’objectif de ces fraudes est d’en diminuer le prix tout en augmentant la quantité. Acheté en vrac à 1,5 euro le kilo en moyenne par des conditionneurs peu scrupuleux, il est ensuite vendu à la grande distribution qui le propose à 3 ou 4 euros le pot aux consommateurs. Impossible, pour les apiculteurs français, de rivaliser. Selon l’Union nationale de l’apiculture française (Unauf), les coûts de production en France sont en effet de l’ordre de 6 euros le kilo.

Directives « petit-déjeuner »

Pour lutter contre cette fraude massive, l’Union européenne (UE) a commencé à réagir timidement en procédant, à partir de 1999, à des analyses afin de détecter la présence de sirop de sucre dans des échantillons de miels importés.

Malgré des résultats inquiétants – 6 % de fraude avérée lors d’une première étude menée uniquement sur les sirops –, l’importation de miels frelatés s’est poursuivie.

« Les méthodes utilisées pour réaliser ses enquêtes n’étaient pas agréées. Et puis, les laboratoires, au nombre de deux ou trois, n’avaient pas les moyens matériels et financiers pour travailler dans de bonnes conditions. Pourtant, le problème est colossal », explique Etienne Bruneau.

300 000 tonnes de miel se vendent ainsi chaque année en Europe, dont 45 % sont importés, dit-il. Son syndicat ayant fait pression pour débloquer des budgets, poursuivre les enquêtes et améliorer la méthodologie de détection des fraudes, de nouvelles analyses sont diligentées à intervalle régulier.

46 % des miels importés dans l’Union européenne sont suspectés d’être frauduleux

Ainsi, entre novembre 2021 et février 2022, l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) a examiné de nouveaux échantillonnages. Conclusion : environ 46 % des miels testés importés dans l’Union européenne sont suspectés d’être frauduleux.

Face à l’étendue du problème, plusieurs mesures sont prises en 2023. Les Etats doivent désormais vérifier que les miels importés correspondent à la définition de la directive du même nom. Mais, faute de moyens et de contrôles suffisants s’appuyant sur des méthodes complètement fiables – sur ce point, l’UE travaille encore à parfaire ses procédés de détection –, nombreux sont les fraudeurs à passer à travers les mailles du filet.

Nouvelle avancée en janvier 2024. Le Parlement européen et le Conseil de l’UE parviennent à un accord pour réviser les directives dites « petit-déjeuner ». Les quatre principaux pays d’origine des miels devront désormais apparaître en toutes lettres sur les pots par ordre d’importance pondérale décroissante. Auparavant, il était juste indiqué « UE et hors UE ».

Un pourcentage précis pourra même être indiqué, mais la décision appartient à chaque Etat membre. Tout comme celle de faire apparaître l’inscription des pays d’origine sur le pot de miel, qui sera plus ou moins visible selon l’interprétation de la directive qui sera faite. De quoi inquiéter les apiculteurs.

Autre motif de colère : la directive ne sera mise en application que dans deux ans. Sans compter que manquent à l’appel plusieurs mesures qui, elles, seront effectives dans cinq ans. La plus attendue par les apiculteurs concerne la traçabilité, qui permet de remonter jusqu’aux producteurs et de détecter les fraudes sur du miel mélangé. S’y ajoute l’interdiction de miels pasteurisés, immatures ou filtrés (méthode permettant de retirer le pollen).

« Si tout ce que nous réclamons est acté, il ne restera sur les rayons des supermarchés que 20 % des miels aujourd’hui vendus. Or nous devons importer : l’Europe ne produit que 60 % du miel consommé sur le Vieux continent, et cela ne s’arrange pas avec le réchauffement climatique, qui entraîne une disparition de la flore dans certains pays », commente Etienne Bruneau.

Un marché tendu, une filière peu défendue

En France, selon l’Unaf, 60 000 apiculteurs, dont 2 500 professionnels, ont produit 20 000 tonnes de miel en 2023. C’est insuffisant, car les Français en consomment 40 000 tonnes environ.

Or, en raison des prix plus élevés qu’ils pratiquent, les apiculteurs français ne trouvent pas assez de débouchés et sont obligés de stocker leur miel. La hausse des prix du miel de qualité, selon la grande distribution, freine le consommateur.

Résultat, beaucoup de producteurs vendent à perte. C’est le cas de Manuel Roger, apiculteur dans le Berry, à la tête de 1 200 ruches, membre de la Confédération paysanne. Il vend 80 % de son miel sur le marché de gros. Pour avoir de la trésorerie et écouler les stocks, il le cède à moins de 4 euros le kilo (au lieu de 6).

« Je n’ai pas le choix. On en est arrivé là à cause du miel frelaté qui a fait chuter les prix sur le marché mondial en vendant des gros volumes de ‘faux’miels », regrette-t-il.

Pour y remédier, la Confédération paysanne réclame la mise en place par les pouvoirs publics de clauses de sauvegardes sanitaires et de prix plancher en dessous desquels on ne pourrait pas importer. « Mais, sans volonté politique, impossible d’instaurer des garde-fous contre la concurrence déloyale », déplore Muriel Pascal, apicultrice en Lozère.

Les apiculteurs sont peu nombreux et peu représentés dans les instances syndicales paysannes

L’une des fragilités du secteur tient au fait que les apiculteurs sont peu nombreux et peu représentés dans les instances syndicales paysannes. Aussi, il est difficile d’instaurer un dialogue avec le ministère de l’Agriculture.

Pour tenter de se faire entendre, ils ont récemment créé une intersyndicale comprenant l’Unaf, la Confédération paysanne, la Fédération française des apiculteurs professionnels (FFAP) et le Syndicat national d’apiculture (SNA). Parmi leurs revendications, l’instauration d’un revenu garanti et protégé grâce à une limitation de l’importation des miels et l’obligation de valoriser le miel français.

Des demandes relayées par des députés comme Marie Pochon, Loïc Prudhomme ou Pierre Morel-À-L’Huissier, qui ont apporté leur soutien à la filière apicole française, regrettant lors d’une conférence de presse organisée à l’Assemblée nationale que « l’avenir de l’apiculture soit menacé et, avec lui, celui du vivant ».

Les consommateurs ont également un rôle à jouer dans cette équation en privilégiant certains miels, si leur budget le leur permet.

« Plus on se rapproche du producteur, moins le risque est grand d’acheter du miel frauduleux. Il faut aussi porter son attention sur les marques. Chez France miel, par exemple, tous les miels sont tracés », affirme Etienne Bruneau.

Acheter du miel bio, dont le cahier des charges garantit la traçabilité, met également à l’abri des fraudes. Celui-ci représente pour l’instant un peu moins de 20 % de la production française.

Produit sans ruches, ni abeilles, le faux miel menace les ruches et abeilles françaises… déjà décimées par les pesticides néonicotinoïdes et le déclin de la biodiversité, mais aussi les acariens, virus et autres frelons asiatiques. « 30 % de notre cheptel meurt chaque année », se désole Christian Pons, président de l’Unaf. Autant de raisons pour lesquelles les apiculteurs espèrent un soutien autrement plus concret de la part des pouvoirs publics.

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