Tout l’attrait d’une dark room réside dans son éclairage. Il doit faire sombre, mais pas trop sombre. Idéalement, vous ne devriez pas être capable de reconnaître le caissier de votre Carrefour, mais distinguer un amas de corps transpirants dans des positions qui rappellent OnlyFans, ça oui. Ça fait des années que les dark rooms sont indispensables aux espaces queers et restent très en vogue dans certaines régions moins frileuses d’Europe. Pour le dire autrement : c’est une erreur de débutant que de porter vos plus belles pompes au Berghain, car vous devrez probablement les jeter après y avoir passé sept heures. 

Mais les dark rooms rencontrent aussi un regain d’intérêt au Royaume-Uni, une résurgence attendue depuis longtemps, en particulier parmi les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes). « Fondamentalement, la raison pour laquelle elles deviennent à nouveau populaires est liée à l’offre et à la demande », explique Ian Howley, directeur général de LGBT HERO, une association de santé et de bien-être LGBTQ+. « Les hommes gays veulent un endroit où ils peuvent s’amuser, et dans un club, une dark room peut être le lieu idéal pour se débarrasser de ses inhibitions et se libérer sexuellement. »

Cette nouvelle vague de positivité à l’égard du sexe gay est en partie alimentée par l’état d’esprit carpe diem post-pandémique – on sait maintenant qu’il est inutile de reporter l’ère du « un trou est un trou » à demain – et en partie par un meilleur accès au traitement préventif du VIH, la PrEP. Cette pilule révolutionnaire est disponible depuis 2017 via le NHS (le National Health Service, soit le système de santé publique du Royaume-Uni) en Écosse et au pays de Galles, mais n’est devenue « couramment disponible » en Angleterre qu’en avril 2021. « Beaucoup d’hommes qui fréquentent régulièrement les lieux de rencontres sexuelles et les dark rooms sont très conscients de leur santé sexuelle, et très susceptibles d’être sous PrEP ou indétectables pour le VIH, déclare Howley. Ça signifie qu’au sein de notre communauté, les utilisateurs de dark rooms sont parmi les personnes les plus responsables sur le plan sexuel. »

Les dark rooms se situent en principe loin de l’entrée du club et de l’agitation du bar principal. Une position stratégique qui permet d’éviter les regards trop curieux des clients, mais aussi de s’envoyer un ou deux verres avant d’y pénétrer et d’enlever ses fringues. La dark room est généralement un espace fun mais fonctionnel où les coins sombres et la musique assourdissante créent l’ambiance idéale pour des rencontres sexuelles occasionnelles anonymes, sans jugement et avec un minimum de conversation. C’est spontané et excitant, mais ça peut être brutal. Se faire rejeter sur-le-champ d’un signe de tête désinvolte est bien plus douloureux que de lire un « désolé, pas mon genre » sur Grindr.

Lorsque la popularité des dark rooms a grimpé en flèche dans les années 1960 et 1970, il y avait un besoin pressant d’espaces où des rencontres anonymes entre personnes de même sexe pouvaient avoir lieu, à l’abri des regards indiscrets. Jusqu’à l’adoption de la loi sur les infractions sexuelles en 1967, les relations sexuelles entre hommes étaient encore considérées comme illégales en Angleterre et au pays de Galles. Des législations similaires dépénalisant l’homosexualité masculine en Écosse et en Irlande du Nord n’ont été adoptées que dans les années 1980. Cruellement, à un moment où l’homosexualité devenait moins tabou, la communauté LGBTQ+ a été frappée par une crise sanitaire dévastatrice, faisant passer le sexe occasionnel pour un risque calculé. « Pendant l’épidémie de sida des années 1980, de nombreux établissements LGBTQ+ ont fermé leurs dark rooms pour contribuer à prévenir la propagation du VIH », explique Howley.

On a déjà assisté à une « résurgence des dark rooms » avant le boom qu’on leur connaît aujourd’hui, vers 2000-2010. Mais comme l’explique Howley, l’avenir à long terme de ces espaces a toujours été assez incertain. À New York, par exemple, les dark rooms sont illégales, ce qui signifie que les clubs LGBTQ+ doivent être subtils (ou n’en avoir absolument rien à foutre) dans leur manière de les promouvoir. Lorsque l’établissement LGBTQ+ Eagle London a fermé sa dark room en 2017 au Royaume-Uni, le propriétaire Mark Oakley avait blâmé les applications de rencontres comme Grindr qui auraient rendu l’espace moins attrayant pour les personnes à la recherche de rencontres occasionnelles. Il avait également mentionné une « évolution de la culture de la drogue » qui aurait rendu plus difficile le maintien de la sécurité dans ce genre d’espaces. « Vous pouvez chercher autant que vous voulez, mais si quelqu’un s’est déjà envoyé du GHB (une drogue stimulant la libido) et n’est pas encore “monté”, il est très difficile pour vos agents de sécurité de le savoir », avait-il déclaré à l’époque à Time Out, signifiant par là qu’il était impossible de déterminer s’ils étaient trop foncedés pour entrer.

Deux ans plus tard, les clubs du quartier gay de Manchester dotés de dark rooms ont été confrontés à une menace très différente : les visites d’agents chargés de l’octroi de licence. Ces derniers affirmaient que les clubs enfreignaient la loi en permettant aux hommes d’avoir des relations sexuelles sur place. La situation a été résolue en mars 2020, juste avant que la pandémie ne frappe, par une déclaration du conseil local : les soirées fétichistes et les dark rooms pouvaient continuer à exister, mais uniquement en tant que « clubs privés avec affiliation ». En gros, si vous voulez assister aux soirées Club Alert, ces events fétichistes bien connus à Manchester qui promettent « des dark rooms, de la danse et de la débauche », il vous faudra d’abord devenir membre.

Les dark rooms refont aussi surface à Londres, lors de soirées branchées dans des clubs queer, comme Adonis, qui a récemment introduit une « femme dark room » séparée de sa dark room existante destinée aux HSH. Roast, un collectif qui organise des soirées bimensuelles dans le dédale qu’est l’Electrowerkz, considère sa dark room bien remplie comme essentielle à son image sexy. « Roast est une soirée en club réservée aux hommes, destinée aux bears, aux oursons, aux mecs dodus, aux chasseurs, aux transgenres, aux hommes musclés et à leurs admirateurs », explique Lerone Clarke-Oliver, l’un des fondateurs, à VICE. « On veut créer un espace pour les hommes qui se sentaient peut-être marginalisés dans la culture queer grand public. L’envie était de célébrer les corps noirs et bruns, ainsi que les mecs barbus, costauds et poilus. »

Joey Knock, un homme gay cis de 33 ans, fréquente les clubs londoniens avec dark rooms une ou deux fois par mois, notamment les soirées Roast et Trough. « Je me sens plus en confiance sexuellement dans une dark room, rapport à l’éclairage tamisé et à la nature plus transactionnelle et anonyme du sexe, explique-t-il. J’ai aussi de l’acné sur le dos, ce qui sape ma confiance en moi, mais ça n’est pas vraiment visible sous les lumières de la dark room. » 

Knock explique que, d’après son expérience, « il y a en réalité un niveau de consentement et d’étiquette sexuelle plus élevé dans les dark rooms » que sur les dancefloor LGBTQ+ classiques. Dans une dark room, les avances sexuelles sont attendues, tandis que sur la piste d’un club, « on peut vite se sentir harcelé par quelqu’un alors qu’on veut simplement danser ». Knock souligne cependant qu’avec l’éclairage tamisé des dark rooms, c’est plus difficile de faire attention à son propre corps. « En général, les gens entrent en contact en me regardant ou en me frôlant la hanche, mais certains vont directement toucher mon sexe, dit-il. En tant que passif, il y a aussi cette crainte d’être partagé sans le savoir – par exemple si un type se retire, un autre pourrait immédiatement vous pénétrer sans que vous vous en rendiez compte. »

Lerone Clarke-Oliver, cofondateur de Roast, explique que son équipe travaille dur pour garantir la sécurité en stipulant que tous les billets doivent être achetés à l’avance et en refusant l’entrée à toute personne qui ne possède pas de pièce d’identité physique. On encourageo le dialogue et les commentaires et on entretient un canal de communication ouvert avec nos invités – ils seront toujours écoutés s’ils éprouvent le besoin de communiquer quelque chose à l’un d’entre nous », ajoute-t-il. Clarke-Oliver déclare également que, comme de nombreuses soirées sexuelles et fétichistes, le club emploie un « officier du bien-être » constamment disponible. Lors de soirées Roast, leur rôle est « de parcourir le lieu à la recherche de toute personne qui se sentirait mal ou aurait besoin d’aide, en prêtant une attention toute particulière à la dark room ».

Pour Chris Royal, un homme trans de 42 ans du nord de l’Angleterre, les boîtes de nuit avec dark rooms comme le Club Alert de Manchester et le Mancsbound offrent une alternative plus simple aux applications de rencontres. « J’aime me sentir désirable et avoir des rapports sexuels tout en étant observé, et comme il y a d’autres personnes autour, ça me semble beaucoup plus safe que mes aventures Grindr », explique Royal, qui a demandé à ce qu’on utilise un nom fictif. Il affirme aussi que dans une dark room, il y a « moins de risque de panique due à la transidentité » de la part de ses partenaires sexuels, car « les gars n’ont souvent pas réalisé que je suis trans jusqu’à un certain point, voire ne le réalisent pas du tout, en fonction de ce qu’on fait ». Pour lui, c’est un soulagement d’entrer dans ces espaces en sachant « que je n’aurai pas à avoir “la conversation” ou à être fétichisé ».

Alors que les dark rooms regagnent en popularité, Howley affirme qu’elles ne doivent pas intimider les novices. « La plupart de ces espaces possèdent une zone bien éclairée. Vous pouvez y rester jusqu’à ce que vous vous sentiez à l’aise », conseille-t-il. Il recommande également de faire régulièrement des pauses et de boire de l’eau, en particulier si vous avez bu de l’alcool pour gagner en courage, car il peut vite y faire moite et étouffant. « Mais ce qui compte par-dessus tout, c’est le consentement, dit-il. Vous êtes peut-être dans un environnement sexualisé, mais vous devez toujours consentir à toute activité sexuelle et vice versa. Ne faites rien dont vous n’avez pas envie et rappelez-vous que c’est un espace conçu pour le plaisir mutuel et consenti. »

Howley souligne également que le nouvel essor des dark rooms au Royaume-Uni en est encore à ses balbutiements. Bien que la scène queer éphémère NYC Downlow de Glastonbury ait introduit la culture dark room dans l’univers des festivals, elle est encore totalement absente d’Old Compton Street, le cœur de la communauté LGBTQ+ de Londres. « Mais si vous voyagez sur le continent européen, vous trouverez de nombreux bars et clubs qui proposent des dark rooms, et c’est considéré comme une pratique tout à fait normale, dit-il. Ici au Royaume-Uni, on a encore un bout de chemin à parcourir avant d’être aussi sexuellement libérés que nos voisins queers. »

Néanmoins, si vous êtes sexuellement timide, l’éclairage tamisé et l’anonymat d’une dark room sont peut-être exactement ce qu’il vous faut. Après tout, n’importe qui peut se révéler étalon dans une dark room – ou un cavalier, si c’est davantage votre truc. 

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