Certaines féministes françaises se sont saisies de cette nouvelle forme pour proposer des alternatives aux hommes et femmes fatigués des mêmes schémas présentés dans les pornos traditionnels avec une violence régulière et un fétichisme des minorités. Il y a deux ans, la réalisatrice et pornographe Olympe de G. a lancé une plateforme entièrement dédiée au porno audio : VOXXX pour les femmes et COXXX pour les hommes. Accompagnée d’une ingénieure son, d’un producteur et d’une performeuse érotique, la réalisatrice proposent presque maintenant presque cent épisodes sur ces sites. Les auditeurs peuvent aussi poster leur propre récit audio sur un autre site dédié.
« Avec l’audio chaque auditeur va se créer quelque chose de différent dans sa tête en fonction de qui il est lui et ce qui lui plaît »
À l’écoute, l’acteur ne chuchote pas (ouf) et tutoie l’auditeur pour le guider vers la jouissance. Lélé O, co-créatrice de VOXXX et voix de porno audio voit en l’audio le seul support pour totalement s’identifier à de la pornographie : « S’il y a un mec en fauteuil roulant ou une nana grosse dans un porno classique, tu ne peux t’empêcher d’avoir tout de suite des stéréotypes liés à sa condition. Avec l’audio, chaque auditeur va créer quelque chose de différent dans sa tête en fonction de ce qu’il est et ce qui lui plaît. » De la couleur de peau à la taille des seins, aucune description physique n’est faite dans les récits, ce qui laisse libre cours à l’imagination et aux interprétations.
Charlotte, 23 ans, consomme régulièrement des pornos audio pour cette raison. Obèse, elle ne se sent pas représentée dans les vidéos traditionnelles et n’arrive pas à se projeter. « Quand il y a des grosses à l’écran, elles sont fétichisées, ce n’est pas un porno comme un autre. Avec l’audio, je mets mes écouteurs et j’imagine tout de suite être le personnage principal. »
Chaque texte est écrit dans le but d’être écouté. Lorsque Lélé O se lance dans un nouveau scénario, elle tente toujours de s’inventer une histoire à l’oral en premier : « Généralement, j’improvise, je me raconte une histoire et je m’enregistre. Ensuite, je réécris certains passages pour qu’à l’enregistrement, ce soit le plus naturel possible. » À l’écoute, le porno audio avec ses phrases courtes et le jeu des acteurs reste plus facile à suivre qu’un récit érotique lu. C’est bien beau de vouloir révolutionner le porno, mais est-ce que ça marche vraiment ? VOXXX affirme faire de très bonnes audiences et avoir un public assez varié, même si plus féminin que masculin.
« Ça m’excite beaucoup plus qu’une vidéo. J’en ai un peu marre des gueules identiques de toutes les pornstars et je n’aime pas trop l’amateur »
Les hommes sont en général un peu plus réticents à écouter ce genre de porno alternatif selon Lélé O. Selon cette dernière, une fois immergés dans l’histoire, beaucoup d’hommes apprécient cette narration. Adrien, 31 ans, écoute depuis quelques années du porno audio anglophone et francophone. Même s’il consomme encore beaucoup de porno classique, il affirme avoir des sensations différentes entre la vidéo et l’audio : « J’aime bien pouvoir m’imaginer le physique de la meuf dans ma tête. Ça m’excite beaucoup plus qu’une vidéo. J’en ai un peu marre des gueules identiques de toutes les pornstars et je n’aime pas trop l’amateur » raconte-t-il. Durant ses écoutes, Adrien imagine ses fantasmes les plus fous, un jour avec sa voisine et un autre avec sa patronne.
À l’égal du physique, une voix peut rebuter à l’écoute. Il faut alors trouver celle qui fera vibrer l’auditeur pour le transporter dans l’histoire. Mais on ne peut s’empêcher pas de penser qu’écouter un porno audio est plus exigeant qu’en regarder un. Contrairement aux pornos classiques, l’histoire est importante et il faut choisir la bonne et l’écouter du début à la fin. L’auditeur doit être beaucoup plus concentré, ce qui évite aussi de regarder du porno passivement. Lélé O espère pouvoir attirer un public varié mais nous accorde ce doute : « C’est sûr que ce n’est pas la même chose que cliquer sur une vidéo sur site. Je ne pense que ça s’adresse à des personnes en particulier, il faut surtout rester ouvert. C’est généralement les plus sceptiques qui en sortent convaincus. »
Une simple « offre marketing supplémentaire proposée par l’industrie du sexe qui sait s’adapter aux envies »
On a voulu avoir l’avis d’un spécialiste sur la question. Isabelle Gace, sexologue clinicienne à Paris, ne voit pas dans le porno audio un plaisir plus intense ou plus doux mais une simple « offre marketing supplémentaire proposée par l’industrie du sexe qui sait s’adapter aux envies. » Selon la médecin, l’audio n’est pas une recette miracle, les préférences sensorielles diffèrent entre les personnes. Parmi nos cinq sens, la vision et l’audition sont dits « téléorientés », on reçoit des informations de loin alors que les autres sont, à l’opposé, des sens de proximité avec le toucher dans le contact direct, l’odorat dans l’air proche que l’on hume et le goût qui nécessite d’approche la bouche. À chacun sa préférence au lit comme dans la vie finalement. Contrairement au cliché qui perdure sur la préférence des hommes pour les stimulations visuelles, l’excitation auditive prouve le contraire : « Certains de mes patients hommes apprécient et trouvent très excitant d’entendre les gémissements, rires et cris de leur partenaire. Ils peuvent être tout aussi réceptifs à l’auditif, s’ils y trouvent une source d’excitation, de plaisir, voire de réassurance sur leur capacité à faire jouir leur partenaire. »
De nombreux patients d’Isabelle Gace écoutent du porno audio, notamment ceux qui souffrent d’insomnies et d’anxiété : « Une m’a confié récemment qu’elle aimait s’endormir avec la série audio érotique Plus sexe la vie. Ça lui rappelle son enfance avec son rituel du coucher avec une petite histoire avant de s’endormir ». D’autres lui racontent que c’est le moyen de se détendre en coupant du smartphone et de l’ordinateur.
Si le porno visuel a encore de beaux jours devant lui, l’audio a un réel intérêt chez les plus jeunes très influencés par la pornographie dans leur vie sexuelle. Pas de vision dégradante de la femme ou d’injonction à avoir une certaine taille entre les jambes, ces séances de masturbations guidées semblent parfaites comme contre pied à la pornographie classique. Chez les adultes, ça passe ou ça casse (les oreilles selon les voix criardes sur lesquelles on tombe) mais ça vaut la peine d’essayer.
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