« Le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti », disait Albert Camus. Il peut même le justifier. La dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin par Emmanuel Macron nous a brutalement plongés dans une nouvelle réalité. Pour la première fois, l’extrême droite est aux portes du pouvoir et se dit prête à gouverner. La majorité présidentielle est laminée, la droite divisée.

Seule la gauche oppose une résistance sérieuse avec la création du Nouveau Front populaire. Mais aujourd’hui à 25 % d’intention de vote, contre 31 % pour le Rassemblement national (RN), ce sera un rempart bien fragile si la société civile ne le rejoint pas.

Comme l’a souligné Benoît Hamon le 13 juin lors du Congrès de l’économie sociale et solidaire (ESS) dont il est devenu le président, « ce qui gagne avec l’extrême droite, ce n’est pas la perspective d’éradiquer le malheur, c’est la promesse de punir des boucs émissaires. La liste des boucs émissaires est longue. Ne vous réjouissez pas trop de ne pas y voir immédiatement votre nom. »

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Et l’économie sociale et solidaire sera en tête de liste. 40,9 % de ses emplois sont dans l’action sociale, regroupant les activités d’hébergement social et médico-social, l’aide à domicile, l’aide au travail, l’insertion par l’activité économique, les modes d’accueil, etc.

L’ESS dans le collimateur du Rassemblement national

Or la première proposition du programme social du RN est de réserver les aides sociales aux Français (handicap, pauvreté, personnes âgées, mineurs en danger, sans abris, etc.) et de conditionner à cinq années de travail en France l’accès aux prestations de solidarité, tandis que la priorité nationale s’appliquerait à l’accès au logement social et à l’emploi.

Autant de mesures discriminatoires que les associations seront sommées de mettre en place, tandis que la création prévue d’un ministère de Lutte contre les fraudes organiserait la chasse aux étrangers et aux pauvres. L’Uniopss, la Fédération des acteurs de la solidarité (Fas) ou le collectif Alerte, qui coordonne les associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, ont témoigné de leur inquiétude et de leur mobilisation.

La liberté associative va être directement menacée, ce d’autant que les outils existent déjà avec la mise en place depuis 2022 du contrat d’engagement réciproque par le gouvernement. Le préfet de la Vienne avait contesté l’attribution d’une subvention de la mairie de Poitiers à Alternatiba, en raison de l’organisation par cette association d’un atelier de formation à la désobéissance civile, tandis que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait remis en cause le soutien public à la Ligue des droits de l’homme suite à ses critiques de l’action des forces de l’ordre à Sainte-Soline.

Des outils contre la liberté associative existent déjà avec la mise en place depuis 2022 du contrat d’engagement réciproque par le gouvernement

Les alertes du Mouvement associatif sont restées sans réponse. Rappelons que, quand il a remporté la ville d’Hénin-Beaumont en 2014, Steeve Briois a immédiatement exercé des représailles à l’encontre de la Ligue des droits de l’homme. Toutes les associations de défense des droits sont menacées, notamment pour les causes LGBTQI et féministes. La culture sera instrumentalisée, si l’on en juge par les expériences menées par l’extrême droite en Italie, en Hongrie et en Pologne. Les associations environnementales et plus largement les militants écologistes seront également visés.

Lors des débats de la commission économique de l’Assemblée nationale sur le volet ESS du projet de loi de finances 2024, le RN a été très clair. Le député Grégoire de Fournas a dénoncé « une idéologie néomarxiste qui défend une ESS sans vilains profits, sans méchants actionnaires, et sans se gaver de subventions publiques ».

Le député Lionel Tivoli a de son côté déclaré que « l’ESS doit s’inscrire dans le respect des valeurs de nos terroirs et le rejet des solutions écologiques », ajoutant que « sous l’appellation d’ESS évoluent des entreprises qui peuvent créer une concurrence déloyale, car elles sont placées sous perfusion de l’Etat alors qu’elles ne réussissent pas ou peu ». Et si l’on doutait encore du passage du discours aux actes, il suffit d’observer la situation de Mayotte où les associations ont été victimes de menaces et d’agressions.

Rejoindre le Nouveau Front populaire

Dans ce contexte, la société civile peut-elle rester à l’écart ? Les syndicats ont déjà envoyé des signaux positifs. Quant à l’économie sociale et solidaire, elle a pris une résolution pour appeler « à participer aux mobilisations, à rejoindre les campagnes électorales du camp républicain ». Pour Jérôme Saddier, président sortant d’ESS France, « si l’ESS ne peut être partisane (…), elle ne peut être neutre lorsqu’il s’agit d’atteintes délibérées à l’Etat de droit, d’atteintes à la justice sociale, d’atteintes à l’égalité des personnes en raison de leur genre ou de leurs origines ».

Le nouveau président du mouvement, Benoît Hamon, est plus explicite encore : « Nous ne pouvons pas nous tenir en marge du combat qui s’engage. (…) Nous incarnons tout ce que ces gens [l’extrême droite, NDRL] haïssent : la coopération plutôt que le règne du plus fort sur le faible, le respect de l’humain d’où qu’il vienne, le pouvoir de la parole, de la délibération collective, l’horizontalité plutôt que le culte du chef et l’encasernement. »

Et de convoquer la mémoire de Claude Alphandéry, qui s’était engagé à 13 ans en faveur du Front populaire avant d’entrer dans la Résistance et de lancer un appel quelques jours avant sa disparition en début d’année, dans lequel il interpellait ses compagnons : « Agissez comme si vous ne pouviez pas échouer. »

Vers la fin de la répression des associations avec le NFP

En 1936, l’ESS a accompagné le programme du Front populaire. Le mouvement des Scop a connu une forte croissance, les premières mutuelles ouvrières sont nées, les coopératives agricoles se sont développées en lien avec la régulation du blé, les associatives sportives, culturelles, de jeunesse et d’éducation populaire bénéficient de la politique des loisirs de Léo Lagrange, etc.

Le contrat de législature du Nouveau Front populaire s’inscrit dans cette veine. Il prévoit l’abrogation du contrat d’engagement républicain, l’arrêt du service national universel (SNU) et la fin de la répression des associations et des syndicats. Les droits seront plus largement renforcés à travers la lutte contre toutes les formes de racisme, l’extension des droits des femmes et des personnes LGBTQI ou encore l’accueil digne des personnes étrangères.

Les arts, la culture et le sport seront soutenus, les minima sociaux revalorisés, le droit au logement garanti. Le secteur de la santé et du médico-social bénéficiera d’un plan pluriannuel de recrutement et de revalorisation. Les associations profiteront de la relance des contrats aidés, tandis que d’autres modèles économiques seront promus à travers le soutien aux Scop, le conditionnement des aides au respect de critères sociaux et environnementaux ou la création d’un pôle public bancaire visant à orienter l’épargne vers des besoins sociaux et écologiques.

Alors qu’il y a quelques semaines, l’ESS dénonçait le plan d’économies de 20 milliards d’euros annoncé par Bercy, dont une part importante devait concerner ses activités, l’espoir des jours heureux renaît. Il y a des précédents historiques. Un élan doit se créer autour du Nouveau Front populaire et l’ESS doit y prendre toute sa part.

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