Kiran Ridley via Getty Images
Des manifestants protestent contre le projet de loi sur la sécurité globale du gouvernement français près de la Place de la Nation, le 30 janvier 2021 à Paris. (Photo by Kiran Ridley/Getty Images)

Depuis plusieurs années, la démocratie paraît reculer un peu partout dans le monde, être en danger, sans tenir ses promesses d’égalité et de garantie des libertés. Les gouvernements autoritaires, conservateurs, ou d’extrême-droite sont aux commandes dans de nombreux pays et avec eux de nombreuses  restrictions des droits fondamentaux et une répression des acteurs et actrices de la société civile. La récente défaite de Trump aux États-Unis ne signifie pas encore une inversion de cette tendance.

Au Brésil, Jair Bolsonaro tente de placer les associations et les mouvements sous surveillance constante; en Inde, Narendra Modi réprime le mouvement paysan en le qualifiant de terroriste et réprime les minorités religieuses chrétienne et musulmane avec des lois discriminatoires et des discours haineux; en Thaïlande, des centaines de jeunes sont emprisonné.es pour avoir participé à des manifestations demandant plus de démocratie; en Russie, Vladimir Poutine met des milliers de citoyen.nes en prison lors de manifestations en soutien à Alexeï Navalny; la junte putschiste en Birmanie fait tirer sur les foules…

La France –berceau des droits humains tels que promulgués en 1789– serait-elle en train de rejoindre le camp des pays où la démocratie est fragilisée par le pouvoir lui-même? Nous y observons malheureusement de violentes atteintes aux droits fondamentaux et un recul démocratique. La République française et sa devise “liberté, égalité, fraternité” subissent des coups répétés de la part de celles et ceux qui devraient les sauvegarder et les promouvoir: le Président de la République, son gouvernement et une majorité de parlementaires français.

La France –berceau des droits humains promulgués en 1789– serait-elle en train de rejoindre le camp des pays où la démocratie est fragilisée par le pouvoir lui-même?

Depuis 2015, une série de lois sécuritaires ont été promulguées en France. Elles prétendent répondre à la vague d’émotion causée par les terribles attentats de 2015 jusqu’à la décapitation d’un professeur en région parisienne ou l’attaque d’une église à Nice en 2020. Ces lois s’accumulent sans évaluation de leur efficacité alors que leurs effets pervers sur l’État de droit ou sur les personnes de confession musulmane sont largement démontrés. Les gouvernements français successifs s’enferment dans une dépendance inquiétante aux ”états d’urgence”, désormais promulgué pour faire face à la pandémie de covid-19.

Actuellement débattues au Parlement français, la loi “sécurité globale” et la loi “confortant le respect des principes de la République”, aussi appelée “loi contre le séparatisme”, constituent des atteintes sans précédent aux piliers de la République Française menaçant plusieurs droits fondamentaux. Le Conseil d’État -plus haute cour de justice administrative- avait pourtant prévenu: “Les mesures du projet [de loi contre le séparatisme] concernent pratiquement tous les droits et libertés publiques constitutionnellement et conventionnellement garantis, et les plus éminents d’entre eux: liberté d’association, liberté de conscience et de culte, liberté de réunion, d’expression, d’opinion, de communication, liberté de la presse, libre administration des collectivités territoriales, liberté de l’enseignement, liberté du mariage, liberté d’entreprendre, liberté contractuelle. L’esprit même de cette loi, dont l’objectif annoncé était de lutter contre l’islamisme radical, s’est vite mué en l’expression d’une idéologie de la suspicion généralisée et du contrôle. Cette loi contient un arsenal juridique redoutable qui pourra être utilisé contre toutes personnes physiques ou morales qui dérangent les intérêts de l’État de par leurs activités, leurs propos ou leur religion. Les personnes musulmanes, ou perçues comme telles, ainsi que les associations et les militants qui défendent leurs droits et libertés sont visées en premier lieu. L’histoire prouve que les pouvoirs autoritaires savent utiliser ce type de loi pour réprimer encore plus largement. 

Outre le piège évident qu’elle représente pour la démocratie française, cette loi contre le séparatisme, ainsi que la loi sécurité globale, constituent des menaces pour la liberté dans le monde. Quel message d’exemplarité le Président Emmanuel Macron, son gouvernement et les parlementaires français veulent-ils envoyer au moment où les populations souffrent d’un recul global des droits humains, des libertés et de la démocratie dans des dizaines de pays?

L’esprit de cette loi, dont l’objectif annoncé était de lutter contre l’islamisme radical, s’est mué en l’expression d’une idéologie de la suspicion généralisée et du contrôle.

Cette sombre conjoncture mondiale a cependant le mérite de mettre en évidence le rôle clé de contre-pouvoir des sociétés civiles et mouvements sociaux qui luttent contre les dérives autoritaires et sécuritaires. En France, de multiples voix s’accordent et s’élèvent contre la dérive autoritaire dans laquelle le gouvernement français s’inscrit actuellement. Des associations et collectifs citoyens, des syndicats, des magistrat.es et avocat.es, des universitaires et journalistes organisent la contestation, soutenus par des centaines de milliers de citoyen.nes, qui protestent dans les rues ou en ligne.

Dans un monde globalisé, la nécessité de dépasser les frontières et faire jouer la solidarité internationale n’est plus à démontrer. Si la société civile française lutte, la communauté internationale doit agir et la soutenir, en dénonçant ces atteintes aux droits humains et aux libertés. Nous, observateurs attentifs de la société française, attachés à la force de sa devise, nous nous devons d’alerter lorsque les fondements de votre État de droit vacillent. Nous exhortons le président Macron et son gouvernement d’abandonner les lois sécurité globale et contre le séparatisme afin que la défense de la liberté, de l’égalité et de la fraternité aient encore un sens de par l’Europe et le monde.

Signataires :

  1. Gráinne de Burca, professeure de droit, New York Univerisity law school (Irlande)
  2. Sébastien Chauvin, professeur associé, Université de Lausanne (Suisse)
  3. Noam Chomsky, professeur émérite de linguistique au Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis)
  4. Angela Davis, écrivaine et professeure émérite de philosophie, Université de Santa Cruz (Etats-Unis)
  5. Alfonso Pérez Esquivel, prix Nobel de la Paix (Argentine)
  6. Franco Fracassi, Journaliste, (Italie)
  7. Sonia Guajajara, femme politique autochtone et présidente de l’APIB (Brésil)
  8. Barbara Havelková, professeure associée de droit, Faculté de droit, Université d’Oxford, chargé de cours en droit, St Hilda’s College, Université d’Oxford (Rép. Tchèque)
  9. Kamel Jendoubi, activiste des droits humains (Tunisie)
  10. Tawakkol Karman, journaliste, prix Nobel de la Paix (Yemen)
  11. Eléonore Lépinard, professeure associée, Université de Lausanne (Suisse)
  12. Frédéric Mégret, Co-directeur, Centre sur les droits de la personne et le pluralisme juridique, Université de McGill (Canada)
  13. Mathias Möschel, professeur de droit, (Autriche, Allemagne)
  14. Fernanda G. Nicola,  professeur de droit, directrice du Programme pour les organisations internationales, le droit et le développement Washington College of Law, American University (Italie)
  15. Ruth Rubio Marin, directeur de la Chaire UNESCO en droits de l’homme et interculturalité, Université internationale d’Andalousie (Espagne).
  16. Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre (Mali)
  17. Chico Whitaker, altermondialiste et activiste (Brésil)
  18. Jody Williams, prix Nobel de la Paix (Etats-Unis)
  19. Jean Wyllys, ancien député fédéral (Brésil)
  20. Jean Ziegler, universitaire, expert Nations Unies (Suisse)
  21. Iphigénie Kamtsidou, Professeure de Droit Constitutionnel, Université Aristote de Thessalonique (Grèce)

À voir également sur Le HuffPost: Cette proposition de Vidal sur l’islamo-gauchisme fait bondir ces universitaires


Source

Share this post

Articles similaires

21 NOVEMBRE 2024

Netanyahu déclare que le mandat d’arrêt de la CPI à son encontre pour de prétendus crimes de guerre est «...

La cour pénale internationale délivre des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant et le leader du Hamas Mohammed DeifLa position d'Israël a toujours soutenu que les décisions de la cour pénale internationale ne s'appliquent pas à...

0

21 NOVEMBRE 2024

‘C’est le combat de tous’ : Vinícius appelle à plus d’aide dans la lutte contre le racisme

Le Brésilien croit que les choses vont dans la bonne direction‘J'ai tant souffert et je souffre encore parfois’L'attaquant du Real Madrid, Vinícius Júnior, a parlé de son combat contre le racisme, le décrivant comme une bataille continue qu'il est heureux de mener, mais en avertissant...

0

21 NOVEMBRE 2024

Le rapport de police détaille les allégations d’agression sexuelle contre Pete Hegseth

Le choix de Trump pour le Pentagone accusé d'agression sexuelle en 2017 après une conférence de femmes républicaines en CalifornieUne femme a déclaré à la police qu'elle avait été agressée sexuellement en 2017 par Pete Hegseth après qu'il a pris son téléphone, bloqué la porte d'une...

0

21 NOVEMBRE 2024

Fils d’une femme tuée par l’IRA condamne la série « cruelle » de Disney

Say Nothing, sur l'enlèvement et le meurtre de Jean McConville en 1972, est horrifiant, déclare Michael McConvilleLe fils de Jean McConville, une femme qui a été assassinée et enterrée secrètement par l'IRA, a condamné une nouvelle série Disney sur sa mort comme étant « horrifiante » et...

0

21 NOVEMBRE 2024

Google doit vendre Chrome pour mettre fin au monopole de la recherche, déclare le département de la justice...

Le dépôt de la plainte intervient après un jugement révolutionnaire en août et le juge examinera les arguments des deux côtés l'année prochaineLe ministère américain de la Justice a proposé une refonte en profondeur de la structure et des pratiques commerciales de Google, y compris la...

0

21 NOVEMBRE 2024

L’Ukraine affirme que la Russie a tiré un missile balistique intercontinental sur Dnipro

Si cela est confirmé, le tir de l'arme marquerait la première fois qu'un missile – qui peut transporter une charge nucléaire – a été utiliséLa force aérienne ukrainienne a déclaré que la Russie avait tiré un missile balistique intercontinental (MBI) sur la ville de Dnipro, ce qui, si...

0