Julia Cagé et Thomas Piketty, économistes à Science-Po Paris et à l’École des hautes études en sciences sociales, reviennent avec Julien Théry sur la somme impressionnante qu’ils ont consacrée à l’histoire des élections, mises en relations avec les inégalités sociales, en France depuis l’époque de la Révolution jusqu’à nos jours. Leur “Histoire du conflit politique” est à la fois un livre de recherche, d’histoire et de sociologie électorale, et un livre d’actualité, un livre d’intervention politique.
Les analyses de J. Cagé et T. Piketty se fondent sur une grande masse de données sérielles cartographiées (qu’ils ont d’ailleurs mise à disposition de tous sous la forme d’une base de données librement accessible sur internet : https://unehistoireduconflitpolitique.fr/). D’un côté, ils ont utilisé les résultats électoraux dans les 36 000 communes de France lors de 45 élections législatives et 12 élections présidentielles depuis 1848, et lors d’une vingtaine de référendums ou scrutins assimilés depuis 1793 ; de l’autre, ils ont pris en considération la répartition géographique des richesses ou en tout cas des revenus, autrement les inégalités socio-spatiales sur le territoire national. Avec la mise en relation des niveaux de richesse, et, plus finement, de « classes géo-sociales » dont ils dessinent les contours, avec les choix électoraux, ils ont cherché à comprendre qui vote pour qui, et pourquoi ?
L’une de leurs conclusions oppose deux types de situation historique dans la répartition des forces politiques en présence : bipartition et tripartition. Nous serions depuis la fin du XXe siècle en situation de tripartition, tout comme lors de la période 1871-1910 environ, alors que la bipartition a dominé de l’Entre-deux-guerres aux années 1990. Les trois forces qui composent aujourd’hui le paysage politique seraient un bloc central ‒ qui est, nous disent J. Cagé et T. Piketty, le plus bourgeois de toute l’histoire électorale de la France ‒ autour d’Emmanuel Macron, un bloc national-identitaire à sa droite et un bloc social-écologiste à sa gauche. Or, selon nos deux invités, « La tripartition a toujours été instable alors que c’est la bipartition qui a permis le progrès économique et social ».