Aurora, Colorado, États-Unis. 3 juillet 2020. Des manifestants craignant l’utilisation de dispositifs acoustiques à longue portée par la police, se bouchent les oreilles et se mettent à terre pour se protéger du dispositif. Credit : Tyler Tomasello/ZUMA Wire/Alamy Live News
L’inventeur de ce canon à son racontera en 2004 que cette arme « produit l’équivalent d’une migraine instantanée » et certaines personnes « en tomberont à genoux ». Interrogée par nos soins, la préfecture de police n’a pas souhaité répondre à nos questions sur l’utilisation de cette arme. « Les matériels utilisés sont inscrits dans le schéma inscrit du maintien de l’ordre, nous n’irons pas au-delà de vos questions » nous répond-on, après plusieurs jours d’attente pour cette réponse succincte.
Il y a quelques années, plusieurs particuliers installaient des boîtiers anti-jeunes devant leur propriété. Ces appareils de harcèlement acoustique, qui émettent des fréquences suraiguës uniquement perceptibles par des individus jeunes, ne sont autorisés que dans des circonstances très particulières. En 2008, un Français avait été condamné à 2000 euros d’amende pour avoir installé ce type de boîtier, près de sa résidence secondaire, pour faire fuir les enfants.
Ces mesures révèlent une utilisation de plus en plus régulière d’armes sonores, qui sont loin d’être réglementées. Dans le cas du canon à son, il s’agit d’un LRAD, un long-range acoustic device, utilisé au départ comme du matériel de guerre. Cette arme sonique, aussi appelée à ultrasons ou acoustique, a été utilisée pour la première fois par l’armée américaine au Vietnam dans les années 1970. Utilisé au départ contre les foules en Afghanistan ou en Irak puis pour repousser les pirates maritimes notamment au large des côtes somaliennes, le LRAD s’est invité dans les manifestations.
Considéré comme “une arme à létalité réduite”, le risque d’être blessé ou tué par un LRAD est faible mais pas impossible. Par ordre de comparaison, lorsque vous discutez avec quelqu’un, votre conversation oscille généralement entre les 50 et 60 décibels. Dans le cas du LRAD, il émet 150dB, dépassant largement le seuil de la douleur à 110dB. Un avion en plein décollage, quant à lui, émet 125 décibels en moyenne. Une exposition prolongée peut entraîner des dommages auditifs irréversibles mais aussi d’autres effets indésirables. Selon les valeurs du neuroscientifique spécialisé dans l’audition, Gérald Altmann, entre 140 dB et 170dB, des effets temporaires peuvent apparaître comme des problèmes respiratoires, une sensation d’oppression au niveau de la poitrine, une salivation excessive, des nausées, des fourmillements, des vertiges, des acouphènes, une perte d’audition, des maux de tête et une accélération du rythme cardiaque. À partir de 160dB, les tympans se déchirent. À 200dB, les poumons se fissurent. Et au-delà de 210dB, les hémorragies internes occasionnées peuvent entraîner la mort. Le son peut donc tuer.
L’utilisation du son comme arme n’est pas nouvelle. Dans les années 1940, des haut-parleurs militaires font leur apparition sur les champs de bataille et les chercheurs nazis s’attellent pour trouver comment rendre le son létal. Dans les années 60-70, les chercheurs se tournent vers le développement d’armes infrasoniques et de grenades assourdissantes. À partir des années 2000 naissent les canons à son. Ces dernières années, les pays rivalisent d’ingéniosité dans le domaine de la torture auditive.
En 2019, l’Académie chinoise des sciences a annoncé avoir mis au point son premier canon à son portable. Dans un rapport et dans le quotidien South China Morning Post, les créateurs du projet racontent leur souhaite de mettre cette arme à la disposition de la police chinoise pour mieux gérer les manifestations. La nouvelle version est terriblement efficace. Cette dernière contient un gaz, qui une fois chauffé produit un son à basse fréquence. L’infrason inaudible pour les humains crée des vibrations qui attaquent directement les tympans, les yeux, l’estomac mais aussi le cerveau. Les foules ciblées sont obligées de fuir face aux nombreux effets secondaires (vertiges, troubles intestinaux, vomissements et douleurs).
Peu de spécialistes se sont intéressés au phénomène en France. L’un des rares est Bernard Fontaine, directeur de recherche au CNRS et expert dans les armes à énergie dirigée, décédé cette année. En 2017, VICE France l’interrogeait sur le sujet. Il mettait déjà en garde contre les infrasons. « Ils provoquent des émotions négatives telles que la peur, l’anxiété ou la dépression. Des réactions de fatigue, de stress, d’irritation voire des troubles de l’équilibre ont été décrits lors d’expositions aux infrasons. À forte puissance, ces sons inaudibles ou quasi inaudibles peuvent provoquer des nausées voire des troubles nerveux : l’effet de résonance touche les muscles, le squelette, les globes oculaires et les organes internes. »
Les infrasons permettent de traverser de grandes distances et la plupart des matériaux, contrairement aux ultrasons. Ces derniers, comme le canon à son, ne permettent pas encore de viser un point précis, ce qui en fait une arme d’autant plus dangereuse. On imagine aisément quelqu’un en être victime alors qu’elle est à quelques mètres d’une manifestation.
Différentes études ont montré les conséquences d’une exposition à des ultrasons à forte intensité sur des souris. Des lésions pulmonaires et intestinales irrémédiables apparaissent. Aucune recherche n’a pour l’instant été réalisée chez un sujet humain.
Il y a quelques années, les États-Unis pensent avoir été la cible d’une arme sonore. En 2016, les diplomates américains de l’ambassade à Cuba se plaignent pendant plusieurs mois de mystérieux troubles. Vertiges, nausées, pertes d’audition… Personne ne comprend d’où viennent ces symptômes. Aujourd’hui encore, on ne connaît toujours pas l’origine de ces maux. Si la piste de l’utilisation d’une arme acoustique a été réfutée par Cuba, les autorités américaines ont conclu à un « dispositif acoustique secret » émettant des ondes sonores de fréquences inaudibles.
Les infrasons à très basses fréquences (en dessous de 20 hertz) pénètrent facilement la plupart des bâtiments et véhicules selon Bernard Fontaine. Ces ondes sont inaudibles à l’oreille humaine. Il est donc possible d’agir à distance, sans même que cela puisse s’entendre. « L’usage d’armes acoustiques par exemple pourrait être caractérisé de « non discriminant », dans la mesure où elles ne ciblent pas suffisamment. On peut estimer que ce type d’arme est contraire au droit international humanitaire, et qu’elles peuvent faire l’objet de démarches en vue de les interdire dans le cadre de cette Convention », racontait le spécialiste.
Et c’est aussi l’avis de la justice américaine. En 2018, la cour d’appel de New York a jugé anticonstitutionnel l’usage des dispositifs de harcèlement acoustique sur des manifestants qu’elle présente comme un abus de force. Dans son arrêt, la cour parle des dangers du LRAD : « Le problème posé par des protestataires sur la voie publique ne justifiait pas l’utilisation de la force, a fortiori une force capable de causer une blessure grave, telle qu’une perte auditive ».
En ce qui concerne la France, notre utilisation du son sur les civils se résume, pour l’instant au LRAD et aux grenades assourdissantes pour les opérations de maintien de l’ordre. La grenade peut non seulement faire des blessures physiques mais aussi auditives. Selon Juliette Volcler, autrice de l’essai Le son comme arme aux Editions La Découverte, les grenades françaises envoient une impulsion sonore de 160 dB lorsqu’elles sont à 15 mètres de distance d’une personne. Rappelons que le seuil légal de douleur est fixé à 120dB. Et dans ce cas où il y a changement très rapide de son, de modéré à très bruyant, les effets sont plus dommageables et graves que s’il est continu.
Un certain nombre de spécialistes classent les armes acoustiques dans la catégorie d’armes à énergie dirigée, toutes plus effrayantes les unes que les autres. Certains espèrent coupler plusieurs armes de ce type. Divers programmes visent à utiliser le LRAD en parallèle d’autres. C’est par exemple l’ambition du Pentagone, avec le projet Shérif, qui mélange le LRAD à l’Active Denial System, un autre système de dissuasion non létal à distance. Ce dernier envoie des ondes électromagnétiques semblables à celles de micro-ondes à distance qui produit automatiquement une sensation de brûlure intense sur la peau. Sur les différentes vidéos de présentation de cette arme, les cibles hurlent de douleur lorsqu’elles se retrouvent sous le faisceau invisible et parlent d’une forte sensation de brûlure sans aucune blessure physique. De quoi dissuader n’importe qui d’aller manifester…
VICE France est sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.
En savoir plus sur L'ABESTIT
Subscribe to get the latest posts sent to your email.