À l’ouverture du sommet sur les océans à Lisbonne ce lundi 27 juin, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a lui déclaré l’”état d’urgence océanique”. Emmanuel Macron se rend sur place ce jeudi 30 juin.
Et pour cause, l’océan subit non seulement le réchauffement climatique mais il est également frappé par des canicules marines de plus en plus fréquentes. Ces épisodes sont peu connus et peu médiatisés, mais loin d’être rares, la mer Méditerranée est d’ailleurs sous le joug d’une chaleur extrême actuellement. Vous pensez sans doute qu’une eau à près de 25°C est une super nouvelle pour vos vacances, mais en réalité c’est dramatique pour la planète.
″À l’exception de la mer d’Alboran (entre le Maroc et l’Espagne), toute la Méditerranée occidentale connaît une vague de chaleur marine depuis le 16 mai environ”, détaille Robert Schlegel. La température de la surface de la mer (SST) atteint des pics à +5°C par rapport à la moyenne le long des côtes espagnoles, françaises et italiennes, comme le montre la visualisation ci-dessous basée sur les données du Copernicus Marine Service.
Copernicus
Ces vagues de chaleur se produisent lorsque les températures océaniques franchissent un seuil extrême pendant plus de cinq jours consécutifs. Robert Schlegel explique que ce seuil est calculé grâce aux enregistrements historiques des températures “basés sur une moyenne de 30 ans (par exemple, 1981-2010) et sont déterminés en lissant les températures quotidiennes moyennes sur ces années”. C’est ce qu’on appelle en sciences une “climatologie” et elle représente la température moyenne attendue pour chaque jour de l’année.
En un siècle, 50% de jours de canicule marine en plus
Dans le climat actuel, les canicules océaniques ne durent qu’une quinzaine de jours en Méditerranée. Dans le pire scénario prévu par le Giec, avec un réchauffement à +5°C, les simulations prévoient qu’elles seront quatre mois plus longues et quatre fois plus intenses, rapporte une étude sur l’évolution des canicules océaniques en Méditerranée du CNRS.
Les scientifiques ajoutent que seul le scénario d’un réchauffement limité à +1.5 degrés par rapport à 1990 permettrait d’endiguer l’aggravation de ces canicules.
Avec le réchauffement climatique, elles seront plus longues, mais aussi beaucoup plus nombreuses. “Entre 1925 et 2016, le nombre de jours annuels de vagues de chaleur marines dans le monde a augmenté de plus de 50%”, rapporte Carole Saout-Grit, physicienne océanographe, contactée par Le HuffPost.
Ces chiffres proviennent d’une étude de la revue scientifique Nature Climate Change dans laquelle les chercheurs établissent un lien direct entre l’augmentation de ces vagues de chaleur et le réchauffement à long terme des océans.
Nature Climate Change https://www.nature.com/articles/s41467-018-03732-9
Même si nous parvenons à contenir le réchauffement à +2°C, “la quasi-totalité des océans connaîtront des vagues de chaleur marines plus fréquentes et plus longues”, poursuit la chercheuse.
Quant aux conséquences, les canicules marines passés présagent des modifications majeures des écosystèmes. En 1999, 2003 et 2006, la Méditerranée a été touchée par une canicule provoquant “de nombreux cas de mortalité massive d’espèces”, déplore le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
L’équateur, bientôt une zone morte?
Une hécatombe qui n’est rien par rapport à celle provoquée par “Le Blob”. On ne parle pas ici de l’espèce unicellulaire qui ressemble à une éponge, mais d’une canicule marine qui a duré trois ans, sur la côte ouest de l’Amérique du Nord entre fin 2013 et 2016. L’eau excessivement chaude pendant cette période a stoppé la croissance du phytoplancton, espèce à la base de notre chaîne alimentaire.
Des canicules moins intenses provoquent aussi des effets rebond considérables sur les écosystèmes. Sous l’effet des anomalies de chaleur, les coraux se couvrent d’un linceul blanc. Effectivement, les organismes stressés expulsent les micro-algues avec qui ils vivent en symbiose et blanchissent. A cause de ce blanchissement qui les rend vulnérables, ”il est presque certain que la grande barrière de corail aura complètement disparu d’ici 10 à 20 ans”, ajoute Robert Schlegel.
Autre conséquence, ces canicules accélèrent la migration des espècesvers les pôles où la température de l’eau est plus basse. “C’est un problème à l’équateur, qui pourrait (mais nous n’en sommes pas certains) devenir une zone morte, car il n’y aura pas d’organismes sur la planète capables de s’adapter aux températures élevées”, continue le chercheur.
Se sauver ou périr
Ce qui est sûr en revanche, c’est que les espèces incapables de migrer périront avec l’augmentation des températures. Dans l’Arctique par exemple, les écosystèmes qui dépendent de la glace seront éradiqués avec la fonte de la glace de mer.
Certes, nous ne sommes pas sur la route d’un réchauffement à 5°C, mais la direction prise par l’humanité aujourd’hui est loin de suffire pour empêcher l’océan de surchauffer. Si nous continuons sur notre trajectoire actuelle d’ici 2050, Robert Schlegel pose un bilan beaucoup plus pessimiste: “la plupart des océans du monde seront contraints de changer. Mais changer en quoi, c’est difficile à dire.”
Face à ce constat alarmant, difficile de trouver une lueur d’espoir. Mais si nous réussissons à maîtriser nos émissions, il est possible que certains écosystèmes survivent. Selon les scénarios d’une étude sur les projections marines au 21e siècle, avec une augmentation des températures à +2.5°C, la plupart des océans connaîtront “des événements de catégorie 1 (modérée) et 2 (forte)”, ce qui est mauvais, mais nous pouvons nous en accommoder. Si nous tenons les engagements pris lors de la Cop26, cette trajectoire pour “sauver” la Planète bleue est encore possible.
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