Pendant des années, Sergio Ballerini a été le seul vendeur de roventini à Florence, ce qui a fait de lui une figure quasi-mythique en ville. Il était tellement aimé que lorsqu’il a décidé de prendre sa retraite il y a cinq ans, j’ai fait un reportage sur lui pour une chaîne d’information locale. J’étais triste de le voir partir, pensant que je ne goûterais plus jamais à ma street food préférée. Mais il y a quelques mois, j’ai entendu parler d’un autre food truck qui vendait des roventini juste à la sortie de Florence.
Ce van des années 70 appartient à Alessandra Arena. Elle publie chaque jour son itinéraire sur sa page Facebook. Ce jour-là, je la retrouve à Ginestra Fiorentina, une « ville » qui ressemble plutôt à un pâté de maisons. Le food truck fait face à la route. Les clients peuvent se garer au rond-point, grimper par-dessus la barrière et commander quelques crêpes à emporter.
Alessandra m’explique que ces crêpes ont autant de recettes que d’appellations. « Chaque village en Toscane les fait à sa façon, dit-elle, mais historiquement, elles viennent de Florence. » C’était autrefois un « plat pauvre », tout comme le lampredotto, une autre spécialité florentine faite à base de caillette, qui est l’une des quatre poches de l’estomac des vaches. « Les riches jetaient le sang, alors les roturiers l’utilisaient pour faire des crêpes ou du boudin », dit-elle. Roventini vient du mot « rovente », qui veut dire « brûlant », car les crêpes sont frites à la poêle et doivent être consommées immédiatement.
Alessandra m’explique la recette traditionnelle, tout en versant une louche de pâte à crêpes rouge dans une poêle bien graissée. « Pour faire les roventini, le sang de porc était dilué dans un bouillon fait à partir de restes de porc bon marché, auquel on ajoutait de la farine et des épices », dit-elle. On obtient le même niveau de calories qu’une tranche de viande, ce qui était hors de prix pour les ouvriers de l’époque.
Alessandra suit la même méthode aujourd’hui. Elle réalise son propre bouillon et y ajoute son mélange secret d’épices toscanes, le sang représentant 25 à 30 % de la recette totale. Elle fait ensuite cuire les crêpes dans une poêle avec de l’huile d’olive extra vierge. Elle propose une variété de garnitures, dont du parmesan, du sucre et du Nutella – étant donné que le goût des crêpes n’est pas très prononcé, elles peuvent aussi être mangées sucrées. J’opte pour du parmesan, un classique.
Lors de ma visite, quelques clients se présentent. L’un d’entre eux me raconte que les crêpes lui rappellent son enfance à Florence, lorsque sa mère l’envoyait acheter une pile de roventini pour le dîner.
Malgré sa popularité, le plat a disparu à Florence après qu’une loi de 1992 a réglementé la vente de produits à base de sang au grand public. Désormais, il n’est plus possible d’acheter du sang de porc sans une licence spéciale délivrée par les autorités locales. Alessandra explique que le sang périme plus rapidement que la viande et qu’il peut être potentiellement porteur de nombreux agents pathogènes. Alessandra se procure le sang directement auprès d’un abattoir de la ville voisine de San Miniato. « Je leur amène un récipient stérile et ils le remplissent, dit-elle, ajoutant qu’ils suivent des protocoles d’hygiène stricts. Je ne suis même pas autorisée à entrer. Une fois, je suis allée à l’intérieur parce qu’il faisait froid et ils m’ont immédiatement jetée dehors. »
Au-delà des questions sanitaires, l’évolution des goûts alimentaires a également rendu les mets à base de sang impopulaires. C’est dommage, car le sang est en fait assez polyvalent : c’est un excellent épaississant, semblable aux œufs, et il était autrefois utilisé pour lier les sauces. Il est également très nutritif, pauvre en cholestérol, riche en fer et presque exclusivement composé de protéines.
Le sang est donc une ressource extrêmement gaspillée, d’autant plus qu’il représente entre 5,5 et 8 % du poids corporel d’un animal. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, il est aussi souvent éliminé de manière inadéquate, ce qui entraîne des problèmes environnementaux.
Nos grands-parents ont grandi avec une mentalité « zéro gâchis » que notre génération a malheureusement perdue. Si nous voulons changer les choses, il y a plein de recettes traditionnelles avec des ingrédients « bruts » qui nous attendent.
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