Qui est invité à parler de la réforme des retraites dans la matinale de France Info ? Dit autrement : qui sont les « informés » des « Informés du matin », ce talk radio et télé présenté à 9h06 par Renaud Dély et Marc Fauvelle quand il s’agit d’analyser la grande réforme de ce début de quinquennat ?

L’examen du profil des invités, à chaque fois que le thème des retraites a été traité depuis le 2 janvier, soit à 35 reprises jusqu’au 13 mars, livre quelques enseignements sur leur position dans la profession, mais aussi sur le positionnement de leurs médias, avec une représentativité politique nettement déséquilibrée.

Généralistes de la politique et patrons de rédaction

Commençons par les fonctions des intervenants. Tous sont des journalistes, issus exclusivement de la presse nationale, plutôt en haut de l’échelle : on relève 27,8 % d’éditorialistes et 30,6 % de patrons de rédaction (rédacteurs en chef, chefs de service ou directeurs de rédaction). Ces commentateurs appartiennent donc à des catégories sociales aisées, peu concernées par la précarité et la pénibilité et peu affectées par le report de l’âge légal de la retraite.

Les trois quarts des intervenants (75 %) appartiennent au service politique de leur média, 7 % au service économie et 4 % au service société. Comme le suggérait la part d’éditorialistes, on a donc affaire à des généralistes tout-terrain plus qu’à des spécialistes. Conséquence logique : l’analyse se limite essentiellement au commentaire de la communication et des stratégies politiques et s’aventure rarement sur le fond technique des dossiers.

Le co-présentateur, Renaud Dély, décide des invitations et des sujets, validés la veille par le directeur de la chaîne. Joint par nos soins, l’animateur estime que « France Info est un média grand public, qui ne s’adresse ni à une niche politique, ni aux niches de spécialistes de tel ou tel ou tel sujet. Il faut avoir un souci de pédagogie. La réforme des retraites est un sujet très technique, mais il y a d’autres cases de l’antenne pour traiter ces aspects. »

L’animateur des « Informés » souligne à juste titre le souci de parité, hommes et femmes étant quasiment à égalité en nombre de présences. On peut cependant noter au passage qu’elles occupent presque deux fois moins souvent des fonctions de direction.

Surreprésentation des médias de droite

Voilà pour une première sociologie. Quid de la couleur politique, maintenant ? Les affinités politiques des invités, en se référant à la tendance de leurs employeurs, sont très prononcées. Face à deux médias que l’on a classés au centre-gauche – L’Obs (6 présences) et le Huffington Post (1), se dresse une large gamme de journaux à la fois politiquement conservateurs et économiquement libéraux : L’Express (8 apparitions), Le Point (2), Le Figaro (2), Capital (2), auxquels s’ajoutent Le Parisien (8) et La Croix (2), ici catégorisés centre-droit.

Hors journalistes de France Info, médias de droite et de centre-droit cumulent plus de la moitié des invitations (51,1 %). Ce parti pris implique qu’aucun journal de sensibilité plus marquée à gauche – Libération, L’Humanité, Mediapart, Politis, Alternatives Economiques, par exemple – n’a été invité, hormis Regards avec Pablo Pillaud-Vivien, à une seule reprise.

Le Point est représenté par Géraldine Woessner, égérie de la sphère pseudo-rationnaliste et pourfendeuse d’écologistes, et Mathilde Siraud, qui a rejoint l’hebdomadaire en septembre 2021 après sept ans au Figaro. Pauline de Saint-Rémy est passée du Point à Politico via BFM et RTL. Marcelo Wesfreid, du Parisien, vient de L’Express et du Figaro. Emmanuel Kessler (Capital), directeur des rédactions économiques de Prisma Media (groupe Bolloré), l’a été du service économie de LCI.

« Je ne choisis pas délibérément des journalistes de médias de droite, se défend Renaud Dély. Je n’ai d’ailleurs pas eu de remarques de l’Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, NDLR], ni de ma direction. Ce qui se dit à l’antenne m’intéresse plus que les parcours ou les étiquettes : je souhaite d’abord que mes invités soient compétents, nuancés… et bien sûr disponibles. »

Faible niveau de contradiction

La meilleure manière d’assurer le pluralisme des opinions ne consisterait-elle pas à assurer celui des médias invités ? « Un média n’est pas un parti, rétorque l’animateur. Les invités de L’Express ne pensent pas tous la même chose, par exemple, et il y a des journalistes de gauche au Figaro. »

Ce choix de la pondération et d’un spectre politique à la fois étroit et orienté favorise cependant un faible niveau de contradiction, les critiques jugées radicales ayant été disqualifiées a priori

De fait, si l’émission n’est pas une plateforme pour ultralibéraux radicalisés qui défendraient ardemment la réforme, l’intérêt budgétaire de celle-ci, ses conséquences sociales – en particulier pour les femmes – ou encore les solutions de financement alternatives sont moins traitées que la stratégie du gouvernement, les enjeux pour Emmanuel Macron ou les péripéties parlementaires.

Les critiques contre la réforme restent feutrées en regard de son désaveu dans l’opinion. « L’idée est de faire une émission plutôt nuancée. Les débats qui virent au pugilat, ce n’est pas la politique maison, ni la mienne, et c’est peut-être pour ça que je ne me tourne pas vers ce que vous appelleriez la « vraie gauche » ou la gauche radicale », avance encore Renaud Dély, qui fait remarquer que « Valeurs Actuelles n’est pas invité non plus ».

Ce choix de la pondération et d’un spectre politique à la fois étroit et orienté favorise cependant un faible niveau de contradiction, les critiques jugées radicales ayant été disqualifiées a priori. Et discuter de la réforme comme une intrigue politicienne plutôt que comme un choix de société implique d’en minorer les enjeux.

Un penchant général ?

Les journalistes de France Info (plus du tiers des intervenants), présumés plus neutres, sont là pour compenser ce manque de diversité des plateaux, pourrait-on avancer. Mais les collaborations antérieures ou actuelles de bon nombre d’entre eux avec des médias de même sensibilité en font douter.

Le quotidien L’Opinion, porte-drapeau de la doctrine néolibérale, est ainsi présent sur plusieurs CV, dont celui de Fanny Guinochet, animatrice du « Décryptage éco » de la matinale. Ledit CV comporte aussi le mensuel du Medef (la Revue des entreprises), Challenges, L’Opinion, Liaisons Sociales, L’Express, Le Figaro Entreprises, L’Expansion et enfin La Tribune depuis 2021.

Neïla Latrous, du service politique, a elle aussi collaboré avec L’Opinion, et est passée par LCI, TF1, BFM et Jeune Afrique. Même chose pour son collègue Jean-Jérôme Bertolus, qui a également travaillé pour Le Figaro, Le Nouvel économiste, La Tribune, BFM, i>Télé et LCI, et a été le porte-plume du célèbre préfet Didier Lallement pour un livre paru à l’automne (L’Ordre nécessaire, Robert Laffont).

D’autres « informés » se sont permis des petits accrocs à la supposée « neutralité ». Alix Bouilhaguet avait fait partie de ceux pour qui Emmanuel Macron avait remporté l’élection présidentielle 2022 dès le mois de mars. Quant à Roselyne Febvre (France 24), elle s’est signalée en septembre dernier par un « Je ne peux pas les blairer » adressé à des élus de la France insoumise alors qu’elle ne se savait pas en direct.

Renaud Dély trouve ce recensement « biaisé ». Pourtant, le biais semble encore résider dans l’absence notoire de médias de gauche dans les parcours, hormis pour… Renaud Dély lui-même : « J’ai fait l’essentiel de ma carrière à Libé, puis à L’Obs, et à Marianne quand c’était encore de gauche », s’amuse-t-il à rappeler.

Un tel déséquilibre des couleurs politiques dans « Les Informés du matin » pose cependant question pour une radio qui se positionne sur l’objectivité et la neutralité : « Pas juste l’info, l’info juste » est son slogan depuis octobre 2020. À restreindre la diversité des opinions et la profondeur des débats, l’info risque d’être un peu juste.

Source

Share this post

Articles similaires

24 OCTOBRE 2024

Quel est ce carburant...

<p><img width="1500" height="1000"...

0

23 OCTOBRE 2024

Changement d’heure : ce...

<p><img width="1400" height="932"...

0

22 OCTOBRE 2024

Streaming PSG PSV : comment...

<p><img width="1400" height="932"...

0