Écrit par la réalisatrice de documentaires Alice Babin et mis en image par Camille de Cussac, celui-ci, à l’instar des autres livres de la série “Les Grandes Vies” déjà publiés sur Simone Veil, Maya Angelou, Anne Frank ou Frida Khalo, revient sur l’histoire inspirante et rocambolesque de la célèbre artiste afro-américaine.
De son enfance difficile à Saint-Louis, aux États-Unis, à son passé de résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, en passant par le récit des douze enfants qu’elle a adoptés et son discours à la tribune de Martin Luther King. La vie de Joséphine Baker a tout d’un roman. Elle ne se résume pas à son passé de danseuse vêtue d’une jupette à bananes.
Une figure incontournable
Décédée en 1975, c’était aussi une femme d’affaires influente. Qui plus est, “drôle et originale”, nous dit Alice Babin. D’après cette dernière, elle est “un personnage qui permet de porter des idées et des utopies, comme celle de sa tribu ‘arc-en-ciel’, ainsi que des projets facilement assimilables pour des enfants”.
Le projet du livre est prometteur. Il est né à la demande de Gallimard Jeunesse qui, après avoir eu connaissance du chapitre dédié à Joséphine Baker dans le troisième tome d’Histoires du soir pour filles rebelles, a proposé à son autrice de lui consacrer son propre ouvrage illustré.
Ce n’est pas le premier. Ces dernières années, les biographies sur Joséphine Baker poussent comme des champignons, comme en témoignent celles publiées chez Rue du Monde, en 2015, et Kimane, en 2019. Elle a aussi eu droit à des bandes dessinées, comme celle de Catel et Bocquet, en 2017. La dessinatrice Pénélope Bagieu lui a dédié un passage de ses Culottées.
L’engouement autour de Joséphine Baker est cohérent. “De par son engagement politique, c’est un personnage incontournable au regard des politiques mémorielle et éducative actuelles. C’est important de reconnaître qu’elle a été une personnalité majeure du siècle précédent”, concède au HuffPost l’écrivaine afroféministe Kiyémis.
Un récit qui plaît à la France
Cependant, cet engouement est construit, observe la poétesse. Joséphine Baker est dans les livres d’histoire, en France. Le pays compte des établissements scolaires à son nom, mais aussi un vaste maillage de rues ou de places. Des expositions lui ont déjà été dédiées. Des documentaires à la télé, aussi.
Pourtant, comme Rosa Parks et Ella Fiztgerald, à qui l’on a rendu hommage en donnant à des stations du métro parisien leurs noms, Joséphine Baker n’est pas Française. Elle est Américaine. “Tant qu’elles seront les seules figures mises en lumière dans les politiques mémorielles proposées par les pouvoirs publics, on va considérer qu’elles sont les seules femmes noires sur lesquelles on va écrire des livres”, pointe du doigt Kiyémis.
Dans son livre Des vies de combat, la politologue Audrey Célestine rappelle que Joséphine Baker s’est forgé “une image de patriote, d’amoureuse de la France”. Quand, au début des années 1950, elle organise une manifestation devant les portes d’un restaurant new-yorkais qui a refusé de la servir, elle “conforte l’image d’une France ouverte et accueillante, à des kilomètres de l’Amérique raciste et ségrégationniste”, écrit la maîtresse de conférence en sociologie politique.
Le récit de Joséphine Baker plaît à la France. Mais voilà, les seules personnalités de l’Histoire sont-elles celles qui doivent coller au roman national? Kiyémis s’interroge. D’une part, elle rappelle qu’elle n’est pas la seule artiste noire de l’époque. La négritude, l’un des courants littéraires les plus importants de l’entre-deux-guerres composé entre autres d’Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, peut en témoigner.
Des enjeux commerciaux
De plus, comme Joséphine Baker, certaines de ces artistes sont elles aussi d’anciennes patriotes. Paulette Nardal, très attachée à la nation française, a par exemple fait partie de celles qui n’ont pas critiqué l’exposition coloniale de 1931. L’ainée d’une famille de huit filles nées en Martinique est considérée comme la première femme noire à avoir fréquenté la Sorbonne. C’est à elle qu’on doit La revue du monde noir, un titre bilingue central de la négritude.
Son histoire est riche, mais, comme celles de Suzanne Roussi Césaire ou Jane Léro, elle tarde à être mise en lumière dans le grand public. Leurs récits doivent sortir du domaine universitaire. C’est nécessaire pour une représentation globale et plus nuancée de l’histoire des Noirs en France. “Il est important de comprendre que Joséphine Baker n’est peut-être pas devenue Joséphine toute seule”, ajoute Kiyémis, consciente que beaucoup de collectifs ont permis à de grandes figures de naître.
Comme elle, Alice Babin comprend les enjeux commerciaux du monde de l’édition. “Les éditeurs veulent publier des livres qui vont marcher et se risquent moins à parler de figures moins connues, regrette la réalisatrice. C’est un problème de fonctionnement économique.” Elle estime que les lecteurs pourraient faire preuve de plus de curiosité.
Kiyémis, elle, alerte sur cette politique de l’offre. “Si on ne propose rien, le public n’aura pas forcément le temps de s’y intéresser par lui-même. Or, tant qu’il n’y aura pas une véritable volonté politique et intellectuelle poussée par les producteurs de cette mémoire, rien n’avancera”, concède-t-elle. Les ouvrages sur Joséphine Baker sont importants, mais sont révélateurs d’un besoin d’effort mémorial, qui dépasse le seul secteur du livre. Les démarches doivent venir de plus haut.
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