CORONAVIRUS – Le démenti de la directrice du laboratoire P4 de l’institut de virologie de Wuhan, Shi Zhengli, est une nouvelle fois catégorique: “Comment diable puis-je apporter des preuves de quelque chose dont il n’y a aucune preuve?”. Celle qu’on surnomme “batwoman” pour ses travaux sur les chauves-souris s’exprimait ainsi le 14 juin dans leNew York Times pour réfuter la théorie selon laquelle le virus à l’origine du Covid-19 aurait pu s’échapper de son laboratoire.
Une pression certaine a sans doute poussé l’une des responsables de l’Institut de Virologie de Wuhan (WIV) à sortir de son silence pour défendre la réputation de son institution. Ces dernières semaines, le débat sur l’origine du coronavirus a été relancé dans les médias: l’accident de laboratoire est de plus en plus évoqué comme un déclencheur possible de la pandémie.
La question n’est pas pour autant tranchée: si certains chercheurs sont pour investiguer sérieusement la piste d’une fuite accidentelle du coronavirus d’un laboratoire, la majorité des scientifiques privilégie encore la piste de la zoonose, c’est-à-dire celle d’une transmission de la maladie de l’animal à l’homme.
Une chape de plomb sur le débat scientifique
Le débat contradictoire sur les origines du coronavirus n’a pas été toujours aisé. Il a en effet été longtemps difficile de discuter de l’hypothèse de l’accident de laboratoire, notamment après la publication par le Lancet en février 2020 d’une lettre signée par 27 experts qualifiant de théorie du complot toute hypothèse suggérant que le Covid pouvait avoir une origine non naturelle.
Une telle prise de position dans une revue scientifique de premier plan a eu pour conséquence de “mettre une chape de plomb et de sceller le débat en traitant de complotiste tout chercheur qui émettait des doutes”, déplore l’épidémiologiste Antoine Flahault contacté par LeHuffpost.
Il s’est pourtant avéré par la suite qu’un important conflit d’intérêts existait pour un des principaux instigateurs de la lettre du Lancet, l’épidémiologiste Peter Daszak. L’association qu’il préside, Eco Health Alliance, finançait depuis plus de cinq ans des recherches sur les coronavirus de chauve-souris au WIV. En conséquence, le chercheur a dû se retirer ce 22 juin de la commission d’enquête lancée par le Lancet sur les origines du Covid.
Le contexte politique de l’époque avec la volonté de Donald Trump de pointer la responsabilité de la Chine et de qualifier le virus de “chinois” pour privilégier l’hypothèse de l’accident de laboratoire a également pesé, explique au Huffpost Vincent Maréchal, professeur en virologie à Sorbonne Université. “À cette époque, il était effrayant d’être associé à Donald Trump et de se faire instrumentaliser par des racistes, par conséquent les gens ne voulaient plus publiquement demander une enquête sur la thèse du laboratoire”, explique la biologiste Alina Chan au New Zealand Herald.
Avec pour conséquence de plus grandes difficultés, selon certains chercheurs, pour publier dans les revues scientifiques des articles à propos de l’accident de laboratoire. Le Lancet a ainsi refusé de publier une lettre demandant de ne pas écarter l’hypothèse d’une fuite, révèle au Huffpost José Halloy, professeur de physique à l’Université de Paris et cosignataire de la tribune avec un groupe de treize autres experts.
Pour cet article, Le Huffpost a tenté de contacter plusieurs instituts de recherche. L’Institut Pasteur n’a pu répondre à nos sollicitations en invoquant un manque de disponibilités de ses chercheurs et l’Inserm a déclaré que ses experts ne souhaitaient pas s’exprimer pour le moment sur la question des origines du coronavirus en raison de son caractère politique.
Le retour en grâce de la fuite d’un laboratoire
Le débat scientifique sur les origines du coronavirus a été récemment chamboulé à la faveur de nouveaux événements à la fois politiques et scientifiques. D’abord, le 30 mars, le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus fait une déclaration pour demander une nouvelle enquête sur l’hypothèse d’une fuite du virus d’un laboratoire en Chine pour expliquer l’origine de la pandémie de Covid-19.
Ensuite l’élection de Joe Biden détend le climat politique. Le nouveau président commanditant à ses services sa propre enquête sur le coronavirus, il devient possible de travailler sur l’accident de laboratoire sans pour autant être accusé de faire le jeu de Trump. Le 13 mai 2021, une tribune de 18 scientifiques est publiée dans la revue Science réclamant une enquête sur l’origine du coronavirus qu’elle soit naturelle ou qu’elle provienne d’un accident de laboratoire.
Autre élément qui pousse certains chercheurs à envisager une fuite de laboratoire, le fait que près d’un an et demi après le début de la pandémie, aucun intermédiaire zoonotique n’ait été trouvé malgré le prélèvement de 80.000 échantillons sur des animaux en Chine.
“L’absence de preuve n’étant pas une preuve, cela ne signifie pas que l’épidémie ne soit pas une zoonose”, explique Étienne Decroly, directeur de recherche au CNRS à l’Université d’Aix-Marseille à Marseille et signataire de la lettre envoyée au Lancet appelant à ne pas négliger la piste de l’accident de laboratoire. “Cela remet tout de même en question le mécanisme d’émergence, car à ce niveau d’échantillonnage, on s’attendrait à identifier l’hôte intermédiaire.”
Deux scénarios pour un accident
Comment donc un accident de laboratoire aurait pu se dérouler? Les scientifiques avancent deux scénarios différents. Celui d’abord d’une fuite accidentelle d’un virus existant à l’état naturel et stocké au sein du WIV. “Une des vocations officielles des laboratoires de Wuhan est d’héberger des projets de recherche sur la manière dont les coronavirus sortent des réservoirs naturels”, précise Vincent Maréchal. Or selon Antoine Flahault, “les protocoles de sécurité n’ont pas été observés de manière rigoureuse” au WIV, un risque révélé en 2018 par des diplomates de l’ambassade des États-Unis à Pékin.
Dès lors un scénario possible de l’origine de l’épidémie serait celui de la contamination d’un chercheur du WIV par un virus encore inconnu de la communauté scientifique. “Tous les virus conservés dans les congélateurs l’Institut de virologie de Wuhan ne sont pas déclarés”, explique au Huffpost Alexandre Hassanin, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et spécialiste des chauves-souris.
“Si vous prenez l’exemple du coronavirus RatG13, qui a fait cette année l’objet d’une publication par le WIV, il a été collecté en 2015. Les scientifiques prennent le temps nécessaire de la recherche avant de faire leur publication ce qui peut prendre des années”, ajoute le chercheur. Le Wall Street Journal affirme que plusieurs laborantins seraient tombés malades en novembre 2020, une affirmation démentie depuis par le ministère des Affaires étrangères chinois. En outre, des épidémies ont déjà par le passé été déclenchées par des accidents de laboratoires, comme celle du H1N1 en 1977 rappelle Antoine Flahault.
L’autre scénario lié à un accident de laboratoire suppose une création ou une manipulation artificielle d’un virus. Dans cette hypothèse, une particularité du Sars-Cov2 qui rend le virus particulièrement contagieux pour l’homme, le “site de clivage de furine”, est pointée par certains chercheurs.
“Les partisans de l’origine par l’accident de laboratoire, avancent qu’il est connu que les coronavirus ont des difficultés à franchir la barrière de l’espèce et qu’au sein d’autres laboratoires, des sites de clivages ont été rajoutés pour comprendre les mécanismes de franchissement de l’espèce -dans le cadre de manipulations dites de gain de fonction-, avance Étienne Decroly: ”Ils estiment que ce site a été ajouté sur le progéniteur du Sars-cov 2.”
La zoonose piste plus probable?
Si l’hypothèse de l’accident de laboratoire est désormais considérée comme une piste sérieuse, elle ne semble pas être celle privilégiée par la majorité de la communauté scientifique.
En premier lieu, parce qu’une autre hypothèse, la zoonose, c’est-à-dire la transmission du coronavirus de l’homme à l’animal, est jugée par de nombreux scientifiques comme plus probable. “L’hypothèse naturelle est suffisamment raisonnable pour qu’on n’ait pas besoin de trouver une origine anthropique, c’est-à-dire une intervention de la main de l’homme, pour expliquer la pandémie”, juge Vincent Maréchal.
“Il y a un an, quand le Sars-cov 2 a émergé, cela a été l’hypothèse principale qui a été évoquée par les scientifiques, car on sait que ce sont des mécanismes qui permettent l’émergence d’un virus dans la population, comme pour le MERS, Sars-cov1 de 2003”, rappelle Étienne Decroly.
“Le scénario d’une contamination par hôte intermédiaire demeure une hypothèse importante étayée également par les données,” déclare Alexandre Hassanin. “On sait que les pangolins ont véhiculé dans deux régions de Chine deux coronavirus proches du Sars-cov 2. Et près d’un million de pangolins
ont été importés en une décennie en Chine dans le cadre d’un trafic illégal.”
En second lieu, les arguments avancés pour justifier une origine artificielle du coronavirus font l’objet de controverse. “Il n’y a aucun intérêt pour les chercheurs chinois de modifier artificiellement le Sars-cov 2. Quel serait leur intérêt de réaliser un tel travail sur un virus inconnu?”, estime Alexandre Hassanin.
La présence du site de furine, avancée comme preuve d’une manipulation artificielle peut être également reprise dans l’argumentaire des partisans de l’origine naturelle. “On sait que le Sars-cov 1 n’a pas de site de furine mais aussi que d’autres coronavirus en disposent, comme le MERS. La même observation est donc vue selon des hypothèses différentes. Il n’y a pas de faits tangibles pour éliminer une hypothèse par rapport à l’autre”, reconnaît Étienne Decroly.
De nouvelles données feront-elles avancer le débat?
Face à l’ambivalence des arguments invoqués, comment le débat scientifique pourrait-il avancer? “Pour nous les scientifiques, la position est simple: il faut que la science revienne au cœur de cette question, il faut qu’on ait accès aux échantillons de manière totale et la plus libre possible afin de recueillir de nouveaux éléments pour documenter l’une ou l’autre des hypothèses”, réclame Étienne Decroly.
Et des indices nouveaux pourraient provenir d’en dehors de la Chine. “L’accumulation des données va pouvoir fournir des arguments assez forts pour déterminer l’origine géographique du coronavirus. Il s’agit de recueillir des données à l’extérieur de la Chine sur les coronavirus présents en Asie du Sud Est. Si on voit que ces coronavirus sont plus divergents que ceux trouvés au Yunnan, cela signifiera clairement que le Covid à l’origine de l’épidémie provient du Yunnan”, postule Alexandre Hassanin.
Ce qui selon le chercheur permettrait également de reconstituer le chemin qu’a emprunté le coronavirus. Si le virus provient bien du Yunnan où les scientifiques du WIV réalisent des prélèvements de coronavirus, ″le scénario le plus probable pour déterminer l’origine du coronavirus, c’est d’envisager que ces virus ont été ramenés à Wuhan par des chercheurs.”
Alexandre Hassanin travaille également sur une prochaine publication dont les données suggéreraient que le Sars-cov 2 se serait transmis à l’homme sans hôte intermédiaire. Une hypothèse qui, si elle était confirmée, selon chercheur pourrait faire pencher un peu plus la balance vers l’accident de laboratoire.
“Pour qu’il y ait une contamination qui franchisse la barrière de l’espèce, il faut que l’individu soit confronté à des concentrations assez importantes. En l’absence d’hôte intermédiaire, cela ne peut se passer qu’en laboratoire, où les virus sont mis en culture et là pour le coup il peut y avoir une contamination qui n’aurait pas lieu dans la nature”, en déduit le chercheur.
En parallèle, d’autres chercheurs ont également lancé de nouvelles investigations sur la question de l’hôte intermédiaire, mais pour prouver son existence. C’est le cas du virologue allemand, Christian Drosten, pour qui des hôtes possibles seraient les animaux à fourrures comme les chiens viverrins dont le commerce et l’élevage en Chine ont déjà été à l’origine de l’épidémie de Sars en 2003.
Le débat sur les origines du coronavirus reste donc ouvert, mais des pistes moins conjecturales, car basées cette fois-ci sur de nouvelles données tangibles, semblent se dessiner.
À voir également sur Le HuffPost: À Wuhan, la visite très surveillée de l’OMS dans le marché berceau de la pandémie de Covid-19