ALAIN JOCARD / AFP
Des enfants brandissent une pancarte “Stop à la violence” le 3 mars 2021 à Bondy, lors d’une marche blanche en mémoire d’Aymane, adolescent de 15 ans, tué par balle dans une maison de quartier de la ville (Photo by Alain JOCARD / AFP)

RIXES – “Les rixes existent depuis plusieurs décennies. Et c’est un problème qui perdure”. Si le constat de Benjamin Moignard, chercheur, membre de l’Observatoire universitaire international éducation et prévention de Paris, laisse poindre une note de fatalisme, l’actualité récente lui donne malheureusement raison.

Après l’agression subie par le jeune Yuriy en janvier dernier, deux autres adolescents âgés de 14 an et vivant en Essonne ont été tués dans des rixes, saturant l’espace médiatique. Le lundi 8 mars, la mort d’Alisha, 14 ans, manifestement tuée par deux camarades, est venue s’ajouter à cette séquence sur fond de harcèlement et d’ultraviolence. Le 13 mars, à Créteil (Val-de-Marne), cinq adolescents étaient mis en examen pour avoir tiré au Taser et au plomb sur des garçons de 12 ans auxquels ils auraient voulu donner une leçon violente pour s’être fait humilier par une bande rivale.

Peut-on pour autant parler d’un seul et même phénomène? “Aucune donnée ne définit clairement la nature des rixes”, nuance Benjamin Moignard pour qui “il faut savoir faire une distinction entre celles engendrées par des motifs ‘futiles’ (désaccords, histoire d’amour, etc.) et celles motivées par le trafic de drogue par exemple.”

Techniquement, la rixe renvoie à une querelle violente ayant lieu entre deux ou plusieurs personnes. Cette pratique, privilégiée à plusieurs, symbolise une démonstration de force impressionnante, qui vise à dissuader la bande rivale. “Les rixes sont ancrées sur des logiques territoriales”, explique le chercheur, “de cette manière, leurs auteurs visent à exposer leur puissance en tant que bande.”

Les réseaux ont un effet amplificateur. Ce sont des accélérateurs émotionnels. Et cela exacerbe les tensions chez chacun et chacune.Véronique le Goaziou, sociologue et ethnologue

Faut-il voir dans la concomitance des récents faits graves le signe d’une accélération? “C’est un phénomène qui reste régulier et qui d’ailleurs, observe, une certaine stabilité”, nuance encore Benjamin Moignard. “Certes, un mort reste un mort de trop. Néanmoins, il faut garder en tête que les rixes ne sont pas aussi fortes qu’en Amérique du Nord par exemple”, souligne le chercheur.

L’époque et ses outils technologiques offrent néanmoins une caisse de résonance à ces manifestations de violences, en amplifiant leur visibilité et ses répercussions. Les réseaux sociaux restent un facteur notable dans ces violences entre jeunes et moins jeunes, note ainsi la sociologue et ethnologue Véronique le Goaziou. “Les réseaux ont un effet amplificateur. Ce sont des accélérateurs émotionnels. Et cela exacerbe les tensions chez chacun et chacune.”

“La montée des violences est une réalité”, nourrie par le trafic de drogues mais aussi, plus récemment, par des “groupes de jeunes qui ont décidé de s’entendre et qui lancent des appels sur les réseaux sociaux pour en découdre” avec d’autres groupes de jeunes, alertait la ministre déléguée à la Ville Nadia Hai dans une interview au Figaro.

Ces jeunes laissés seuls face à leurs téléphones portables deviennent alors “des cocottes minute” d’après la sociologue Véronique le Goaziou. “Ils ne décrochent pas de leurs téléphones portables puisqu’ils n’ont pas d’activités alternatives mises à leur disposition compte tenu de la situation actuelle.”

Les acteurs présents sur le terrain participent à briser certaines chaînes de violence. Seulement, ils se font de plus en plus rares.Benjamin Moignard, chercheur

Si le phénomène est complexe et ancien, le contexte de crise sanitaire, qui influe sur tous les aspects de la vie quotidienne, peut en effet jouer un rôle d’amplificateur, surtout chez les plus jeunes désoeuvrés. La violence observée ces derniers temps est ainsi parfois désignée comme une conséquence directe ou indirecte des fermetures des structures d’accueil (centres de loisirs, salles de sport et autres établissements associatifs), qui jouent traditionnellement un rôle d’encadrement de la jeunesse

Aymane, un adolescent de 15 ans tué par balle à Bondy (Seine-Saint-Denis) dans une maison de quartier après un “différend”, en a-t-il fait les frais? “[Il] a été tué à l’heure où il devait prendre part à son cours de boxe hebdomadaire, qui n’existe plus depuis les restrictions”, rapportait Libération. Mais selon le parquet, les animateurs de la maison de quartier où il est mort étaient déjà intervenus une première fois pour séparer Aymane et ses agresseurs. 

Sur le fond, ce contexte sanitaire vient s’ajouter à des manques plus structurels. “Les acteurs présents sur le terrain participent à briser certaines chaînes de violence. Seulement, ils se font de plus en plus rares”, pointe Benjamin Moignard en soulignant l’importance des animateurs et éducateurs spécialisés.

Le conseil interministériel des villes, qui s’est tenu le 29 janvier dernier, à Grigny (Essonne), a annoncé la mise en place de certaines mesures comme la création d’ici l’automne de 300 postes de médiateurs et de 300 postes d’éducateurs spécialisés dans les quartiers de reconquête républicaine (QRR). L’objectif est également de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes.

Trop peu, trop tard? Pour Véronique le Goaziou, chercheuse associée au CNRS, “ce sont des mesures prometteuses sur le papier, mais concrètement, il ne se passe rien. […] Et puis, les seuls centres sociaux ou petites associations qui sont maigrement financés finissent par fermer, car leurs employés sont mal payés ou épuisés.”

Les mettre en prison ne sert à rien. La prison, c’est l’école du crime.Véronique, sociologue et ethnologue

Face aux difficultés que rencontre la stratégie préventive, certains responsables politiques privilégient un renforcement des sanctions pénales à l’encontre des auteurs de ces rixes ou de leur entourage. La sociologue rappelle néanmoins que “la réponse pénale seule n’est pas suffisante. Les mettre en prison ne sert à rien. Au contraire, la prison c’est l’école du crime.”

Selon elle, le problème doit être traité à la source en s’appuyant et renforçant la présence des acteurs locaux professionnels. Autrement dit, “l’État peut réprimer les acteurs de ces violences autant qu’il le souhaite, les effets resteront les mêmes. La réponse pénale doit être complétée par un travail sur le terrain.”

La ministre Nadia Hai pense la même chose: “Aucune action ne peut être efficace si elle ne repose pas sur deux jambes: la prévention et la sanction. On ne peut avoir une approche du ‘tout sécuritaire’ sans s’attaquer aux réels maux de ces violences”, aggravés par les restrictions sanitaires, souligne-t-elle.

Le renforcement de la médiation fait partie des objectifs du plan gouvernemental de lutte contre la violence chez les jeunes qui doit être adopté d’ici le 1er mai.

À voir également sur Le Huffpost: Marche blanche pour Aymane: les habitants de Bondy, entre tristesse et incompréhension


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