Jusqu’au 3 novembre, date de l’élection présidentielle américaine, VICE France vous proposera chaque jour une interview, un reportage ou une série photo sur les Etats-Unis mais toujours par le prisme de la France.
Pour un néophyte en matière de sport automobile, un quidam qui a découvert la F1 via la série Netflix Drive to Survive et qui s’autorise quelques réflexions acerbes sur les techniques de pilotage de Romain Grosjean, la NASCAR (pour National Association for Stock Car Auto Racing) qui se joue de l’autre côté de l’Atlantique ressemble à une compilation d’accidents spectaculaires organisée sous les oripeaux d’un meeting républicain à destination d’un public de rednecks.
« En Europe, on a encore cette image des pilotes de NASCAR, véhiculée par certains médias, en bourrins qui roulent à fond, tournent à gauche et se crashent, soupire Michel Disdier, 46 ans, dont presque 10 à sillonner les circuits américains. En fait, on est 40 bagnoles en moyenne sur la piste, soit le double de la Formule 1, et on roule bien plus longtemps. Avec tout le trafic, on a relativement peu de carambolages. »
Dans Si la course m’était contée (publié en 1955), Roger Labric parle des courses américaines comme « une exhibition malsaine où le cran du conducteur est remplacé par l’inconscience et l’acrobatie par une brutalité dangereuse devant des foules immenses aux réactions violentes, un peu barbares ». Qu’irait donc faire un pilote dans cette galère ? Michel y est pourtant en quête d’un Graal ; être le premier Français à gagner une course estampillée NASCAR – il boxe dans la catégorie Camping World Truck Series, au volant d’un pick-up amélioré, à quelques encablures de l’épreuve reine, les Cup Series.
« Ça m’a toujours fait rêver, raconte le pilote. Plus jeune, j’avais failli faire une école d’art à Boston. Les grands horizons, les westerns et l’imaginaire américain m’attiraient. » Le déclic ? Un autre frenchie, Jean-Michel Bayle, qui, dans les années 1990, rafle tout en moto-cross. « Quand il a débarqué, les Américains étaient les rois du monde. Jean-Michel a remporté tous les titres et survolé la discipline. C’est un peu comme la victoire des Bleus en 1998. On se dit que, nous aussi, Français, on peut gagner des trophées. »

« On comprend qu’il faut y aller plus fort, se rapprocher du mur alors qu’on est à 300 km/h. Ça devient un travail de précision qui demande une attention énorme »

Michel Disdier ne se facilite pas la tâche et fait de la prestigieuse NASCAR son objectif. « J’avais vu Jour de Tonnerre [film de Tony Scott avec Tom Cruise en pilote tête brûlée et à claques] mais je n’avais pas conscience de l’importance que pouvait représenter la course », poursuit Michel. Avec 75 millions de fans, la NASCAR se targue d’être le sport le plus suivi derrière la NFL mais devant la NBA, le baseball ou le golf. « Je participe à mes premiers essais et j’ai un coup de foudre énorme pour l’ambiance. Tout est fait pour que le public de 7 à 77 ans s’amuse, voient les pilotes et les voitures de près. C’est plus convivial et moins compartimenté qu’en Europe où il faut se lever tôt pour accéder au paddock. »

Ce n’est pas le seul changement auquel le coureur doit faire face. Michel découvre une autre voiture – « asymétrique, comme un crabe » – une position de conduite totalement différente et des circuits ovales. « La première fois, c’est assez déstabilisant, rigole-t-il. On est penché, on ne se rend pas bien compte de la vitesse ou de la limite de motricité. On se dit que ça a l’air facile. Sauf qu’on regarde les temps et on est très loin derrière. On comprend qu’il faut y aller plus fort, se rapprocher du mur alors qu’on est à 300 km/h. Ça devient un travail de précision qui demande une attention énorme. Et encore, on roule seul, sans penser aux autres sur la piste. C’est ce que j’ai fait de plus dur dans la vie. »
En NASCAR, deux Français l’ont précédé sans réussite ; Jo Schlesser, qui fait une courte apparition à Daytona au volant d’une Ford en 1964, puis Claude Ballo-Léna qui participe à plusieurs courses à la fin des années 1970. Pour les victoires, il faut plutôt regarder du côté de Simon Pagenaud et de l’IndyCar Series, compétition plus proche de la Formule 1, ou remonter encore plus loin dans le temps quand René Thomas remporte les 500 miles d’Indianapolis en 1914 malgré un pneu éclaté, une sortie de piste évitée et un tuyau d’échappement qui menace de se faire la malle dans les derniers tours.
Pour les pilotes étrangers, la course automobile en Amérique, c’est un peu le choc culturel exposé par Roger Labric dans sa description des 500 Miles d’Indianapolis (Si la course vous était contée). « Il s’agit d’une véritable corrida ‘à pleins tubes’ sur quelque 800 km parcourus à plus de deux cent de moyenne, chaque pilote appuyant comme un sourd, du départ à l’arrivée, sans autre souci de manœuvre que d’écraser l’accélérateur à fond ! (…) Nos pilotes, habitués à tant d’élégante virtuosité sur les circuits d’Europe, semblent quelque peu dépaysés. »

« Le public américain est un poil chauvin mais je retiens surtout sa bienveillance »

Un antagonisme que l’on retrouve dans Ricky Bobby : roi du circuit, comédie d’Adam McKay et dernier grand rôle de Will Ferrell qui y incarne un impétueux pilote de NASCAR confronté à Jean Girard (Sacha Baron Cohen), coureur de Formule 1 venu se frotter aux méthodes américaines et accessoirement lui donner une leçon de conduite. Michel Disdier rappelle que, dans la vraie vie, plusieurs transfuges de la F1 plutôt capés comme, Juan Pablo Montoya, Fernando Alonso ou Kimi Räikkönen, se sont cassé les dents en NASCAR.
Même si son père, pilote de rallyes dans les années 1960 et 1970 (il remporte notamment celui du Var), n’a jamais fait étalage de ses voitures, Michel a toujours voulu être coureur automobile. D’abord en moto-cross, porte d’entrée la moins onéreuse vers les quatre roues : « J’habitais à Nice et la seule piste de karting à l’époque était au Castellet, ce qui fait un peu loin. En travaillant un été, j’ai eu les moyens de me payer une moto et je me suis lancé ». Puis un essai concluant en Formule 3 000 qu’une réforme de la Fédération internationale de l’automobile rend obsolète. Le rêve de Formule 1 s’estompe, direction les États-Unis.

« Le public américain est un poil chauvin mais je retiens surtout sa bienveillance, sourit Michel Disdier. Quand j’ai fait ma première course à Toledo dans l’Ohio – un des circuits ovales les plus vieux du pays – on m’a obligé à participer à une séance d’autographes. J’étais persuadé que les spectateurs n’en auraient rien à foutre mais je me suis retrouvé avec la file la plus longue. J’étais une attraction. Ils étaient super heureux qu’un Français traverse l’océan pour participer aux courses qu’ils chérissent. »
Ambitieux, le coureur ne veut plus faire de « coups ». Une saison complète de NASCAR demande un investissement financier trop élevé mais Michel Disdier veut participer à une demi-douzaine d’épreuves au moins pour trouver des sponsors – à commencer par le mythique circuit de Daytona en février prochain. Et le pilote de conclure : « Au début de l’aventure, les observateurs disaient : ‘Ils sont exotiques, ils sont rigolos mais ils vont faire quelques courses et ensuite, on ne les verra plus’. Et puis un jour, on arrive à Daytona et on fait le meilleur temps des essais. Aujourd’hui, les mentalités ont changé. On nous prend pour de vrai challenger. On est capable de gagner une course et c’est déjà une réussite. »

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